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D'Algérie - Djezaïr
Mouvement de réconciliation

Proposer une devise

"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.

D'Algérie-Djezaïr

Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.

ORGANISATION

Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.

Massacres des algériens d'origine européenne à Oran le 05 juillet 1962.

Pages du dernier livre de l'historien JJ Jordi.

ORAN : 26 juin – 8 juillet 1962
Il n’est pas question ici de retracer l’histoire des derniers mois de « l’Oranie française  » mais de voir comment le « problème » des enlèvements et des disparus est directement intégré dans la politique de terreur qui se développe en Oranie et à Oran spécifiquement. Il est vrai que le 5 juillet à Oran est la journée la plus tragique concernant les disparitions d’Européens, et de toute la guerre d’Algérie, mais elle n’est pas le tonnerre qui éclaterait dans un ciel sans nuage. Le 5 juillet est une suite logique, organisée et préméditée par l’ALN stationnée sur la frontière algéro-marocaine et par les dirigeants de la wilaya 5. Suite logique parce que des enlèvements planifiés, allant crescendo, se produisent dès la fin avril sur trois « routes » menant à Oran ; organisée et préméditée par la mise en place à Oran même, dans les quartiers musulmans de l’infrastructure nécessaire au 5 juillet. Nous y reviendrons  comme nous analyserons le livre-témoignage du Général Katz, commandant le XXIVè Corps d’Armée d’Oran .
Il est vrai que lorsqu’on dit ou lorsqu’on évoque les massacres d’Oran, un seul jour, le 5 juillet, vient naturellement dans la bouche de chacun d’entre nous. Cependant, force est de constater que si le 5 juillet n’est qu’un jour, certes le plus important, parmi ceux qui ont endeuillé la ville, il n’en est pas le seul. En réalité, quatre phases caractérisent les « événements d’Oran ». La première se situe entre le 26 juin et le 29 juin où 54 disparitions touchent l’Oranie et plus principalement Béni Saf, Rio Salado et Oran. Je ne parle ici que des enlèvements dont on n’a pas à ce jour trouvé les corps et non les enlèvements qui s’élèvent à près d’une centaine de personnes. Le chiffre est somme toute considérable. La période qui succède, celle des jours qui précèdent l’indépendance (30 juin-4 juillet) voit au contraire une baisse significative des enlèvements et disparitions s’élevant respectivement à 30 personnes et 17 disparitions. La troisième phase est constituée des 5 et 6 juillet où l’on assiste à des centaines d’enlèvements et durant laquelle je comptabilise 263 disparitions pour le seul 5 juillet et 29 pour le 6. Enfin, à partir du 7 et jusqu’au 10 juillet, quelques 18 disparitions viennent s’ajouter au chiffre déjà considérable dans une ville qu’une grande majorité de la population européenne a déserté. Oran qui comptait à la fin de 1961, 202 796 « Européens » et 194 738 « Musulmans », n’abrite plus que 70 000 Européens à la fin juin 1962. Au total, c’est près de 381 personnes qui « disparaissent » du 26 juin au 10 juillet à Oran principalement (chiffre auquel nous devons ajouter un certain nombre parmi les 60 personnes classées en« sorts incertains »). Près d’une trentaine de « Musulmans » apparaissent dans cette macabre comptabilité mais le fait que nous retrouvions, pour la plupart d’entre eux, leurs dossiers dans les archives du Service central des rapatriés montre qu’ils s’agissaient, à tout le moins, de « pro-français » puisque les familles ont demandées à être rapatriées à la suite de l’événement.

Dans l’instant, Oran, la ville « espagnole », la ville la plus européenne d’Algérie, celle qui compte encore en 1961 et en ce début de 1962 plus d’Européens que de Musulmans, devient l’espace où les tensions entre Européens et Musulmans sont les plus paroxystiques. Depuis la fin de 1961, on voit se développer une véritable ségrégation « raciale » et la ville est plus que jamais une ville double, un espace cloisonné, voire fortifié, où la mort attend celui qui ose s’aventurer dans le territoire de l’autre. L’OAS a ses quartiers, le FLN a les siens et chacun s’organise pour un affrontement final. Au-delà des rapports officiels, un témoignage nous est précieux : c’est celui du Directeur de l’agence de la Compagnie générale transatlantique qui observe, apeuré mais lucide, cette situation. Est-il besoin de rappeler qu’Oran, durant cette période tragique, écrit-il, avait tous les jours les honneurs des communiqués de la presse et de la radio comme la ville d’Algérie à l’avant-garde en fait de troubles, de meurtres et de destructions ? C’est à Oran que l’OAS a tenu le plus longtemps la population sous son joug alors que tout était perdu pour elle et que ses chefs avaient été arrêtés où étaient passés à l’étranger. De janvier à juin, l’insécurité est permanente en ville et sur le port et la carence des pouvoirs publics est totale… La migration des Européens des faubourgs vers le centre de la ville a continué au cours des derniers mois de 1961 pour se terminer au début de l’année ; l’expulsion des Musulmans du centre de la ville avec destruction de leurs biens a suivi parallèlement. Les deux communautés restent tendues sur leurs positions avec des lignes de démarcation nettes au-delà desquelles c’est la mort pour l’imprudent qui s’y risque. En conséquence, les dockers professionnels ne se présentent plus à l’embauche : ce sont le plus souvent des occasionnels qui, poussés par la faim, prennent de grands risques pour venir à l’embauche et pensent le plus souvent à voler sur les quais qu’à travailler… Les employés musulmans qui risquent leur vie en venant travailler en ville européenne s’absentent définitivement en situation de maladie… La vie en ville est entravée par des opérations policières, les bouclages de quartiers, les fouilles d’appartements ; ces opérations se soldent pas des fusillades, des interventions d’engins blindés et les façades des maisons en portent encore des traces. L’OAS, dès février, mais avec renforcement en mars, entreprend tous les soirs des attaques systématiques des cantonnements de CRS et surtout de gardes mobiles. A partir de 19 heures, les gens s’enferment chez eux. Parallèlement, les plasticages continuent tous les soirs, et l’on compte certains soirs une centaine d’explosions… Fin mars, notre camionneur abandonne son service, les camions se risquant en ville étant soit volés, soit incendiés et leurs équipages abattus sur place s’il s’agit de musulmans, ou l’inverse sur les routes d’accès à la ville où les musulmans établissent des barrages et arrêtent les véhicules abattant ou enlevant les européens. Les meurtres, les lynchages se multiplient … C’est la grande peur. En mars, les entreprises de la zone industrielle d’Oran situées en plein quartier musulman demandent une protection des forces de l’ordre. Ne l’obtenant pas, elles ferment leurs portes… Les grèves se multiplient… Pendant les premiers mois de l’année, nous effectuons des visites avec les Pouvoirs publics, l’Armée et la Marine pour faire protéger nos installations et nos navires mais ceux-ci, absolument dépassés par les événements ne peuvent rien faire. La situation ne fait qu’empirer. Dès avril, l’exode des Européens d’Oranie commence. A la mi-février d’abord c’est le premier exode de sujets espagnols regagnant l’Espagne. L’exode des israélites fuyant vers la France ou vers Israël s’était poursuivi depuis 1961… A partir de juin, l’OAS autorise et conseille même aux européens de partir d’Oran. C’est la « fuite éperdue », un véritable exode que les paquebots revenus à Oran ne peuvent éponger. On voit défiler des cas absolument tragiques… Ce mouvement s’accentue dans la crainte des événements qui peuvent se passer lors le la proclamation de l’indépendance. Les navires partent chargés au-delà de leur capacité… Le 26 juin, l’OAS fait sauter, sur le port, les installations de soutage de la BP qui prennent feu. C’est une vision d’apocalypse ; les navires sont obligés d’appareiller en catastrophe (le Kairouan largue ses amarres laissant environ 200 passagers). La proclamation de l’indépendance se passe dans un calme relatif. Puis c’est la journée tragique du 5 juillet 1962. Dans différents points de la ville, des européens sont assassinés ou enlevés, c’est ainsi que disparaît le chef comptable de notre agence. La grande peur sévit à nouveau à son paroxysme… C’est la période la plus atroce .

II – 2 – 1 L’archéologie d’un massacre
A l’approche de l’année 1962, Oran a une physionomie radicalement différente de celle que la ville avait quelques années seulement auparavant. Très rapidement, deux villes se font face par la redistribution des personnes dans leurs « communautés originelles ». Dès 1956, les Européens quittent la Ville Nouvelle qui devient quasi exclusivement un quartier musulman : les « Espagnols », c’est-à-dire les Français d’origine espagnole, gens pauvres pour la très grande majorité ont déserté le quartier de Lamur et celui des Planteurs, deux fiefs du FLN, pour se recaser, pour se réfugier dira un des témoins, dans les faubourgs près du centre (Saint-Eugène et Eckmühl principalement). Cette ségrégation est bien le produit d’une peur bien réelle et des lignes de front, le boulevard Edouard Herriot, ceux de Stalingrad et Paul-Doumer, le ravin de Raz el Aïn, délimitent l’espace de chaque communauté. A partir d’octobre 1961, l’OAS tient les quartiers européens.
Dans « son espace », le FLN organise sa ville : un hôpital de fortune, dit hôpital Bendaoud est installé dans un dispensaire tenu jusqu’alors par des religieuses qui ont fui avec les premières violences ; des infirmeries clandestines sont montées à la Cité Petit, au Petit Lac, à Lamur et aux Planteurs, et un système de ravitaillement et de distribution de vivres est mis en place. Bien entendu, le FLN développe l’encadrement de « sa ville » par un système de surveillance des lignes de front et par un contrôle strict des personnes. Il faut dire que si l’OAS règne sur les quartiers européens, l’organisation est capable de porter la terreur dans les quartiers musulmans comme le 14 février où des attentats au plastic meurtrissent le quartier de Ville-Nouvelle ou comme ce 28 février, toujours en Ville-Nouvelle, où un véhicule piégé explose faisant plusieurs morts… De son côté, le FLN n’est pas en reste. Le préfet d’Oran dans son rapport du 3 février 1962 écrit que le redoublement des attentats du FLN est la cause première de la réaction des Européens… Les musulmans ont la prétention de chasser les israélites des quartiers où ils habitent. La population européenne se réfugie dans l’espoir que l’OAS saura faire obstacle à toute modification de sa condition… Le terrorisme a transformé Oran en Chicago . Le 11 février 1962 dans une note remise à Pompidou par le Comité des Affaires Algériennes, il est écrit : Malgré les mots d’ordre officiels des dirigeants de l’OAS, la foule européenne est raciste et les musulmans le lui rendent bien. Il en résulte un fossé durable creusé entre les deux communautés. Les quartiers mixtes n’existent plus. Lamur-Médini par exemple qui comptait près de 5000 européens pauvres il y a un an n’abrite plus qu’une vieille espagnole de 75 ans qui a failli se faire assassiner . Le 9 mars à Eckmühl, 16 personnes dont 3 femmes périssent carbonisées dans un garage où elles s’étaient réfugiées et qui est incendié par un commando FLN…
Avec le cessez-le-feu du 19 mars, les cartes sont complètement redistribuées. Désormais, les forces de l’ordre françaises n’ont plus qu’un seul ennemi : l’OAS, sans que pour autant la terreur installée par le FLN dans son propre espace et dans les quartiers européens ne cesse contrairement à ce qu’on dit. Ici, il faut désormais en finir avec le mythe du FLN appelant au calme ses troupes comme on peut le lire ici où là, et respectant les accords d’Evian. En avril, mai et juin 1962, à la folie criminelle de l’OAS se superpose la science tout autant criminelle du FLN à Oran. Ici, les sources d’archives qui ont manqué sans doute à Alain-Gérard Slama comme à Fouad Soufi ne sont pas équivoques.
Le 7 avril, une lettre anonyme parvient à la Commission d’armistice à Rocher Noir à Alger. Elle a trait au climat de terreur que font régner à Oran, dans les quartiers Victor-Hugo et Cité du Petit-Lac deux responsables FLN. Aussitôt, la lettre est transmise à la préfecture de police d’Oran et au XXIVème Corps d’Armée. Le Général Katz qui en fait l’analyse reconnaît que les nommés Moussadek Abdelhamid (en réalité Ben Guesmia Chadly Djillali) et Benaoumeur, alias Si Omar (Moudien Ali) contrôlent les deux quartiers en question. Recoupant les informations en sa possession, il écrit qu’il n’est un secret pour personne à Oran que des 2èmes bureaux « musulmans » se sont installés dans presque tous les quartiers musulmans et que bon nombre de Musulmans ont été jugés et condamnés par des tribunaux spéciaux… En particulier, dans le quartier de la Medersa, un tribunal présidé par Si Abdelkader el Yadjourid et le Cheikh Boudjemaa effraie la population. Apparemment, les exactions auxquelles se livrent ces deux dirigeants FLN sont désavouées par le commandement de la Wilaya 5. Une directive du commandant de la wilaya 5, datant du 3 mars, précise que le frère Abdelhamid continue toujours de mener des troubles au sein de l’organisation du centre d’Oran. Une fois pour toutes, pour mettre fin à ces malaises, vous êtes tenus de convoquer ce frère qu’il faudra maintenir au maquis ou lui ordonner catégoriquement de rejoindre le Maroc. Le frère Omar (Benaoumeur) continuera à assurer la responsabilité du réseau 6 . Terreur envers les musulmans mais aussi envers les européens comme le reconnaît le dirigeant d’un groupe de fidayin de la Wilaya 4 – région 4 – zone 4 qui affirme qu’à partir d’avril, tous les soirs, quatre à dix membres de l’OAS, capturés à la lisière du quartier musulman étaient égorgés, découpés en morceaux et jetés à la Sebkhra. En fait, tout ce qui était européen y passait  !
Quelques jours plus tard, le 12 avril 1962, le rapport n°9 de la wilaya V, zone IV, région 4 porte sur la situation militaire dans la Ville Nouvelle à Oran, et aux Planteurs où la situation est déclarée comme trouble car Si Goum (ou Antar) impose un régime dictatorial. Au Petit-Lac, je crois qu’il serait bon de rappeler que le régime de terreur est installé et persiste, la répression est à son maximum mais le responsable du secteur ignore tout, paraît-il, de la situation. Alors on se demande ce qu’il fait là. Des cadavres sont jetés au petit lac dans l’eau de temps en temps et un deuxième bureau fonctionne en permanence. La mésentente est grande entre les deux responsables de ces secteurs, Si Attou et Si Abdelhamid. La population se plaint beaucoup de leurs initiatives… avant de conclure : il faut signaler que les vols de voitures, les pillages de magasins deviennent chose courante pour les militants. Et la nouvelle vague de police  est pour beaucoup dans ce malheur .
Devant cette première vague d’enlèvements d’Européens et de diverses exactions, à la mi-avril 1962, l’ordre des avocats d’Oran publie un document par lequel il s’élève au nom de ses mandants contre les enlèvements de nombreux européens, hommes, femmes et enfants (80 à ce jour pour Oran) contre l’envahissement et le sac des villas situées en bordure des quartiers musulmans sans que les forces de l’ordre aient jamais cru devoir intervenir .
Le 4 mai, la gendarmerie d’Oran interpelle un certain Kaday Chouail Chaïla, domicilié 6, rue Agat à Sanchidrian à Oran, dans le quartier du Petit-Lac. Il est habillé en tenue militaire mais lors de son contrôle par les forces de l’ordre, il a sur lui des effets personnels appartenant à des Européens. Au cours de son interrogatoire par le 2ème bureau français, il dit être le secrétaire depuis octobre 1961 de Attou, chef du secteur urbain du Petit-Lac (secteur R 15). Sans aucune pression de la part des forces de l’ordre, il avoue plusieurs assassinats de FSE à Victor-Hugo – Petit-Lac au cours de la seconde quinzaine d’avril. Il reconnaît aussi l’existence d’un charnier vers la décharge publique à proximité de la Sebkha du Petit-Lac et indique qu’une vingtaine d’Européens sont prisonniers dans l’école de la rue de Guelma et au 23 rue du Général-Brossard à Victor-Hugo. En outre, il apporte des renseignements sur l’organisation du FLN à Oran. La ville est découpée en secteurs mis en place avant le 18 mars 1962. En théorie, précise t-il, un secteur est composé d’un chef de secteur, d’un secrétariat, de policiers, d’un « 2ème bureau », d’un centre médico-social, d’une service de ravitaillement et d’un certain nombre de djounouds. Dans le secteur d’Attou, il y a entre 35 et 50 policiers ex-fidayines chargé de faire respecter l’ordre au sein de la population, de contrôler le service de garde, d’appréhender les délinquants et d’appréhender les Européens en vue de recueillir des renseignements sur l’OAS. Les interrogatoires sont du ressort du « 2ème bureau ». Les djounouds sont plus nombreux, autour de 300, répartis en groupes opérationnels de 6 à 10 hommes. Ils reçoivent leurs ordres directement de membres de l’ALN. Concernant l’enlèvement d’Européens, Kaday Chouail Chaïla confirme que l’ordre est venu du PC central d’Oran commandé par deux officiers de l’ALN, Si Fethi et Si Fouad, en tout début avril, et que les enlèvements avaient pour but la recherche systématique de renseignements sur l’OAS ajoutant que, petit à petit, ces directives initiales ont été perdues de vue. Dès son arrestation, l’Européen est amené au PC du secteur. Là, il subit un premier interrogatoire. Dans le secteur d’Attou, dont Kaday Chouail Chaïla est le secrétaire, le suspect est présenté torse nu devant Attou et 5 à 6 fidaï, et il est flagellé par Attou avant d’être interrogé. Il ne s’agit là que d’un premier interrogatoire puisque les suspects sont ensuite acheminés en voiture fermée jusqu’au 2ème bureau du secteur où selon Kaday, ils subissent un interrogatoire plus poussé ! Ils sont ensuite « jugés » : les condamnés à mort, de quelque secteur qu’ils viennent, sont incarcérés à la Maison 59 de la rue N°7 à la Cité des 4 chemins et sont exécutés par égorgement par 6 fidaï dirigés par Belhacene Lahouari, leurs corps étant jetés au Petit-Lac. Les détenus non condamnés à mort sont incarcérés au 35, rue Bey Mohamed en Ville-Nouvelle. Entre le 10 avril et le 4 mai, Chouail Chaïla évalue à 30 le nombre d’Européens exécutés et à une quinzaine celui des Musulmans ! Pour la plupart, ces enlèvements sont dus au groupe de Mohamed Youcef (situé dans la maison n°10 à Gai Logis) et à celui d’Abdelkader Belhacene, chef du secteur de Gambetta. Le tribunal FLN a récupéré les locaux de la SAU du Petit-Lac et l’hôpital FLN est installé dans les ex-établissements Picard (rue Sidi Chami). Kaday Chouail Chaïla est ensuite transféré le 8 mai dans les locaux de la gendarmerie pour de nouvelles auditions qui n’apportent pas d’autres informations.
L’ensemble des procès-verbaux d’interrogations de Kaday Chouail Chaïla est porté à la connaissance du Procureur de la République d'Oran qui décide une nouvelle garde à vue de 15 jours mais sans lui motiver son inculpation pour séquestrations arbitraires et complicité d'assassinats, comme on aurait pu le penser à la lecture de son témoignage  !
Quelques jours plus tard, le 17 mai, le Chef d’escadron Coadic, chef du 2ème Bureau de l’Etat-Major mixte de la Préfecture de police d’Oran rédige une note pour le Général Katz. Il dit clairement avoir établi en avril une liste des Européens enlevés par le FLN sur Oran ainsi qu’un inventaire des endroits où ces Européens sont arbitrairement détenus. Il propose alors au Général Katz de faire procéder à des fouilles et perquisitions mais ce dernier remet ces investigations à plus tard estimant que le climat général ne s’y prête pas. Coadic propose alors de faire parvenir ces renseignements aux responsables du FLN afin qu’il sache que les autorités militaires françaises sont parfaitement au courant de leurs pratiques espérant ainsi la libération des Européens. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait après l’enlèvement d’un Européen dans le Sous-Secteur Est et qui a été récupéré par l’armée française le 5 mai. Le 15 mai, ajoute t-il, à l’occasion de la première session de la Commission mixte de cessez-le-feu, il demande aux membres de l’ALN de tout mettre en œuvre pour retrouver les Européens disparus et leur fournit non seulement une liste de noms mais les emplacements précis de leur détention. Un Européen, enlevé par quatre musulmans la veille, sera « récupéré » et remis aux forces de l’ordre par un membre de la commission mixte le lendemain. Coadic est alors persuadé que l’on peut retrouver des personnes enlevées par la démonstration que les militaires français connaissent tout des agissements des membres du FLN et de l’ALN mais qu’il serait souhaitable de « jouer la carte confiance » en laissant aux musulmans la capacité de la libération des personnes enlevées. Le général n’est cependant pas de cet avis et ne proposera que la transmission de listes de noms. On ne sait bien sûr si la méthode avancée par Coadic aurait eu plus de résultats mais dans tous les cas, la transmission des listes des personnes enlevées n’a pas permis de libérations !
L’armée française est donc bien au courant des pratiques du FLN sur Oran. D’ailleurs, la presse nationale française s’en fait l’écho. Dans le Monde du 15 mai 1962, on relève qu’un certain Lahcène Lahouri (nous venons d’en parler plus haut) dirige une bande qui égorge les Européens à un endroit baptisé « Abattoirs » à la cité des Quatre chemins d’Oran. Le centre médical et la SAU du Petit-Lac servent de lieux de tortures. Les journalistes demandent aux autorités à être conduits sur les lieux cités mais cela leur est refusé.
La wilaya 5 est tenue par le colonel Othman mais c’est le colonel Boumedienne, dirigeant l’Etat-Major général de l’ALN à la frontière tunisienne, qui en est le vrai chef . A la fin du mois de mars, le capitaine Bakhti alias Nemmiche Djilali est envoyé par Boumedienne dans la wilaya 5 pour prendre le commandement de la Zone Autonome d’Oran et pour participer à la Commission mixte veillant à l’application du cessez-le feu d’après le 19 mars sur Oran. Bakhti est un compagnon non seulement de Boumedienne mais aussi de Ben Bella. A son arrivée, Bakhti prend contact avec l’armée française et avec le général Katz qui vient lui aussi d’être nommé commandant du groupe autonome d’Oran par le gouvernement français. Pour l’armée française, bien informée, il ne fait pas de doute que Bakti a l’intention de monter des incidents dans le but de tester le comportement des forces armées sous ses ordres . Il est parfaitement au courant de tout ce qui se passe dans les quartiers musulmans et s’il entre en conflit avec certains chefs locaux comme Si Attou ou Si Abdelhamid, il n’en reste pas moins qu’il laisse faire.
A l’approche de l’indépendance, vers le milieu du mois de juin, des « prises de pouvoir » dont on ne saisit pas dans l’immédiat l’importance se produisent en Oranie. Tout d’abord la Nahia  (« région ») 523, fidèle à Boumedienne, s’agrandit en affirmant son autorité sur Rio Salado, Er Rahel, Lourmel, Bou Tlelis et El Ançor. La Mintaka 52 qui « contrôle » la Nahia 523 a ainsi annexé le territoire compris entre la côte et la voie ferrée d’Aïn Temouchent à Bou Tlelis et règne sur un espace considérable allant de Nemours à Béni-Saf. Cela n’a été rendu possible que par l’envoi par Boumedienne de plusieurs katibas (bataillons d’élite des mintakas), chacune composée d’une centaine d’hommes environ, qui « oeuvrent » en Oranie et qui entourent Oran à la fin juin. Plusieurs katibas font régner alors une grande insécurité dans les régions de Aïn Temouchent, de Béni-Saf, de Tlemcen et coupent les routes vers Oran. Elles créent un vent de panique à Saint Lucien, Cassaigne, Rochambeau, Legrand, Perregaux, Er Rahel, Lourmel, Bou Khanefis… Destructions de fermes et de récoltes, incendies et enlèvements se multiplient . Saint Lucien, Cassaigne, Rochambeau, Legrand, Perregaux, Er Rahel, Lourmel, Bou Khanefis. C’est sur la route de Beni-Saf à Oran que disparaissent le 28 juin Jean-Jacques Sicsic et Emile Bensoussan, et le lendemain, Colette Sicsic (épouse de Jean-Jacques), Jean-Louis Lévy, Yvonne et Mimoun Cohen (parents de Colette) ! Ce même jour, Roger Crepet, Gustave Wolf et Joseph Sabatier disparaissent sur la route de sidi bel Abbes à Oran ; Joseph Vernier et Yvon Martinez sur la route entre Chanzy et Sidi bel Abbes, Antoine Viudes et Robert Berthelot sur celle de Valmy à Oran, René Merino sur la route de Rio Salado à Oran… et l’on pourrait poursuivre. Au jour du scrutin d’indépendance, ces katibas tiennent les grands axes qui mènent de la frontière marocaine à Oran.
Ces prises de pouvoir de l’EMG sur l’Oranie tiennent au contexte politique qui voit s’affronter les membres du CNRA, ceux du GPRA et ceux des différentes wilayas. Déjà, lors de la réunion du CNRA à Tripoli le 27 mai, deux camps s’étaient opposés : le premier avec Ben bella, Khider Rabah Bitat, Ben Tobal et Boussouf s’appuyant sur l’EMG et une bonne partie de l’ALN, veut démontrer que le GPRA a commis des erreurs et que les Accords d’Evian sont humiliants. Le second avec Krim Belkacem, Yazid, Ait Ahmed et Boudiaf soutenu par la fédération de France considère que la politique d’Evian est la seule qui soit réaliste. Entre les deux, Ben Khedda ne se prononce pas dans l’immédiat. Peu après il dira l’intangibilité des accords d’Evian . Puis c’est la rupture. Le 30 juin à 20 h 30, Ben Khedda président du GPRA rend public un ordre du jour adressé à l’ALN qui prévoit la dissolution de l’EMG et la dégradation de Boumedienne, de Slimane et de Mendjelli. Les wilayas réagissent différemment à cet ordre :
– la wilaya 1 (Aurès, Nementchas, monts du Hodna, ville principale Batna)a toujours fait preuve d’une obéissance totale à l’EMG
– la wilaya 2 (Nord Constantinois) a toujours affirmé sa fidélité au GPRA
– la wilaya 3 (Kabylie), toujours unie, ne bouge pas mais Tizi Ouzou reçoit Krim Belkacem triomphalement le 3 juillet.
– la wilaya 4 (Algérois) est plus nuancée. Elle a suivi les ordres de Ben khedda et souhaite voir le principe de la collégialité l’emporter
– la wilaya 5 (Oranie) s’oppose aux directives du GPRA. Ben Bella est attendu à Marnia et toute la wilaya 6 (sud de l’Atlas tellien, désert) s’aligne sur les positions de l’EMG.

De leur côté, Boumedienne, Slimane et Mendjelli nient tout pouvoir à Ben Khedda , et Ben Bella s’envole pour Tripoli pour demander au roi Idriss de bloquer en territoire libyen l’armement destiné au FLN afin que le GPRA ne puisse se l’approprier . Ben Bella se présente alors comme le champion de l’indépendance contre les agents de la France comme Belkacem Krim, Ben Khedda, Boudiaf et Ben Tobal. Il les accuse même de s’être laissés acheter par le gouvernement français qui leur aurait remis 4 milliards pour leur propagande électorale. Ben Bella déclare même au roi Idriss qu’il avait l’appui de la majorité des chefs de Wilayas et de Ferhat Abbas. Il s’agit donc pour l’EMG et Boumedienne de discréditer le pouvoir civil du GPRA en montrant qu’il n’était pas capable de maintenir l’ordre et la sécurité en Algérie et il fallait un événement de grande ampleur . Bakhti, fidèle de Boumedienne, est l’instrument de cette politique sur Oran . Saad Dalhab, Ministre des Affaires étrangères du GPRA, s’en était d’ailleurs inquiété auprès de Louis Joxe et l’en avait informé lors de leur rencontre le 14 juin 1962, sans que cela fasse écho du côté français !
A l’approche de l’indépendance, Bakhti est le seul vrai maître à Oran. Il sait que les forces françaises sont importantes, qu’elles sont passées de 8 500 hommes à près de 12 000 en mars pour atteindre 18 000 hommes en juin 1962. Mais il sait aussi qu’elles ne peuvent intervenir sans passer par lui. Depuis les Accords d’Evian, en cas de violation du cessez-le-feu, si des éléments regroupés de l’ALN se livraient à des opérations de pillage, saccage, destruction, harcèlements ou embuscades sur nos forces et nos installations ou sur les biens publics ou privés, nos forces ne devront riposter que pour assurer leur propre défense. Toute autre action ne pourra être engagée que sur réquisition par l’autorité civile. La défense des biens privés et publics incombe aux forces de maintien de l’ordre (gendarmerie et force locale). Dans tous les cas, l’incident sera simultanément porté à la connaissance de la commission mixte locale et du haut commissaire. Celui-ci décidera de la suite à donner, a précisé Michel Debré, Premier ministre en mars 1962 . Bakhti sait aussi que le général Dodelier, qui est le conseiller militaire du Président de la République, Charles de Gaulle, a transmis des ordres précis aux troupes qui ne peuvent riposter que si elles sont attaquées, mais au cas où des éléments regroupés de l’ALN ou du MNA se livreraient à des opérations de pillage, saccage, destruction, harcèlements ou embuscades sur nos forces ou sur des biens publics et privés : nos forces ne devront riposter que pour assurer leur propre défense et celle de leurs installations. Toute autre action ne pourra être engagée que sur réquisitions par l’autorité publique . Il sait enfin, par les rencontres qu’il a pu avoir avec le Général Katz que depuis le 23 mai 1962, l’Algérie ayant acquis sa souveraineté interne, la France se trouve de ce fait même déchargée de toute responsabilité en matière d’ordre public. De ce principe, il résulte que la France ne devrait avoir alors à maintenir aucune force spécialisée de maintien de l’ordre (gendarmerie ou CRS) et que l’armée française stationnée en Algérie ne devrait assumer aucune mission de maintien de l’ordre . En tout début juillet, Bakhti et Katz se rencontrent afin que les manifestations à prévoir autour des 3, 4, 5 et 6 juillet à Oran se déroulent bien et que les réjouissances algériennes ne débordent pas sur la ville européenne. Dans la ville cependant, si l’on en croit Bruno Etienne, le groupe opérationnel (la katiba) de Cheir Belkacem, commandant du camp A de Dar Kaddani au Maroc, est bien présente .

II – 2 – 2 Le 5 juillet
Dans l’ensemble de l’Algérie, et en particulier à Oran, le scrutin référendaire du 1er juillet appelant les Algériens à se prononcer pour ou contre l’indépendance se déroule comme les autorités françaises et du FLN l’avaient prévu, c’est-à-dire dans un certain calme. Dans les quartiers musulmans, cependant, une grande effervescence règne, assez légitime d’ailleurs, avec des manifestations où sont arborés des drapeaux « vert et blanc », des emblèmes du FLN, le tout dans un concert de klaxons, de chants patriotiques et de you-you des femmes. Dans son ouvrage, le Général Katz note que du 1er au 5 juillet  se déroulaient sans cesse des manifestations de Musulmans surexcités, dans un état semi-hystérique. Mais, de ses contacts avec le capitaine Bakhti, il en retire que ces manifestations ne sauraient dépasser les frontières des quartiers musulmans. D’un autre côté, les autorités civiles, militaires et religieuses de la ville se veulent rassurantes auprès de la population européenne encore présente à Oran et prêchent la réconciliation et l’oubli du passé. Une trentaine de personnalités de la ville se réunissent pour créer le 28 juin une commission de réconciliation et la réunion publique du lendemain à la Place Foch, sous le patronage de Monseigneur Lacaste et de Cheikh Tayeb el Mahadji rassemble plusieurs milliers de personnes. Le capitaine Bakhti y déclare ; Un voile épais a séparé les deux communautés. Ne cherchons plus les responsables, ayons seulement la force d’âme propre à oublier tout ce qui a pu nous séparer. Bakhti, en tant que chef de la Zone Autonome d’Oran interdit toute manifestation dans l’attente de la date officielle de proclamation de l’indépendance qui sera choisie par les dirigeants du GPRA et normalement prévue le 6 juillet . Pourtant, au Plateau Saint-Michel, un poste militaire français est attaqué par des militaires FLN le 2 juillet et on relève des coups de feu dans les rues d’Assas et Parmentier les 2 et 3 juillet. Le 3 juillet, le colonel Othman, fidèle à Boumedienne, qui dirige la Wilaya 5 (hors Oran) fait défiler dans les artères d’Oran les sept katibas qu’il a reconstituées depuis le cessez-le-feu et qui sont arrivées dans la ville dans la nuit du 2 au 3 juillet. Et ce même jour, devant le Palais des Sports de la ville, Bahkti, tout en appelant à la réconciliation, demande à ce que l’on n’oublie pas les 1 500 000 morts et disparus pour l’indépendance.
Au soir du 4 juillet, et contre les promesses faites à la France, le GPRA appelle sur Radio-Alger à de grands rassemblements pour le lendemain, 5 juillet, date de proclamation d’indépendance. Cela surprend l’ALN (« de l’extérieur ») toute puissante à Oran. Bakhti informe alors le général Katz des festivités du lendemain et l’informe que seuls les quartiers musulmans seront concernés. Rassuré, mais l’est-il vraiment, le général Katz part pour la base aérienne de la Sénia ! A Alger, le couvre-feu est fixé à 16 h. 30 par le tout nouveau préfet d’Alger, Hocine Tayebi, afin de dissuader des Européens de sortir dans la rue et d’être pris à partie. A Oran, le préfet nommé par Bakhti , Lahouari Souïah, ne prend aucune mesure en ce sens, pas plus que le général Katz.

Dès 8 heures du matin, ce 5 juillet, dans les quartiers musulmans de Medioni, Lamur et Ville-Nouvelle, des cortèges se constituent et convergent sur les 10 heures par les boulevards Andrieu et Maréchal-Joffre, par les boulevards Paul-Doumer et Sébastopol vers la Place Foch en plein quartier européen. Un autre cortège partant du quartier Lamur descend le boulevard Giraud et se positionne près de la gare de chemins de fer, puis une partie du cortège poursuit son chemin par le boulevard Magenta afin de rattraper le cortège du boulevard Sébastopol ou de se rendre directement Place Foch par le boulevard Clémenceau. A 11 heures une foule immense occupe la Place d’Armes (Place Foch) et les boulevards qui y mènent. Les archives notent qu’il n’y a pas un service d’ordre suffisant pour une telle manifestation mais que de nombreux civils musulmans sont en armes. Il n’y a pas davantage de service d’ordre français ! Dans l’attente et une certaine effervescence – pourquoi les Musulmans sont-ils descendus vers la Place d’Armes ?, pour assister au défilé militaire de la victoire non prévu ?, pour y écouter le discours d’un dirigeant de l’ALN tout aussi imprévu ?, pour montrer aux Européens qu’une page est désormais tournée ?, on ne sait pas – des coups de feu éclatent, puis une fusillade semant la panique : c’est l’OAS devient la rumeur qui enflamme la foule. Des Musulmans en armes dans des voitures Aronde commencent alors à tirer sur des Européens qui s’immobilisent et qui sont rapidement pris à partie par une foule d’hommes et de femmes armés de couteaux et de gourdins encadrés par un élément de l’ALN (en tenue léopard) et de la force de l’ordre (en tenue kakie) . Qui a tiré ? Sur le moment, nul ne le sait et on s’est beaucoup perdu en conjonctures. Dans le Monde du 12 avril 1972, Thierry Godechot, secrétaire privé du général Katz livre son analyse : L’origine de la fusillade est difficile à établir. L’OAS ? Il n’y avait plus de commando depuis une semaine. Un Européen enragé par le spectacle des Arabes triomphants ? Folie incompréhensible. Une provocation des Algériens eux-mêmes, désireux de se venger de ce qu’ils ont subi depuis des mois ? La chose n’est pas impossible. En tous cas le général Katz a rétabli l’ordre dès qu’il l’a voulu, c’est-à-dire à 17 heures.
Le déroulé que nous proposons se base sur l’examen des JMO  des différentes compagnies sur place et sur l’ensemble des télégrammes qui parvenaient à la salle d’Opérations du XXIVème corps d’Armée à Oran (nom de code Pétunia) :
– 11 h.20, des coups de feu éclatent boulevard Joffre et boulevard Clémenceau provoquant un mouvement de panique parmi les Européens dont quelques-uns se réfugient dans le lycée Lamoricière. Le bureau de poste d’Oran-Joffre (48 bd Joffre) demande par télex si l’armée ne pourrait pas intervenir. Le personnel est enfermé dans le bureau et demande une escorte militaire.
– 11 h. 30, des coups de feu éclatent près du cinéma Rex et rue de la Bastille où des Français sont enlevés par des groupes organisés de musulmans.
– 12 h., Square Garbey, contrôlé par ALN, coups de feu.
– 12 h., Bd Paul-Doumer, FSE lynché et récupéré par forces de l’ordre. Décédé suite blessures (provenance 2ème Zouaves).
– 12 h. 05, Coups de feu, rue Thiers
– 12 h. 10, incendie rue Sidi Lahouari
– 12 h. 10, vives fusillades quartier Bugeaud (provenance 10ème BCP )
– 12 h. 15, nombreux coups de feu dans ravin Raz-el-Aïn, population se replie vive allure vers Planteurs (provenance 10ème BCP)
– 12 h. 15, Commandant GAOR (général Katz) à SS (sous-section) Nord, SS Nord-Ouest, SS Nord-Est, SS Est, SS Sud, SS Ouest, SS Centre. Primo : rappelle consigne rigoureuse des troupes. Secundo : Troupes restent consignées sauf s’il est attenté à vie des Européens. Dans ce cas prendre contact avec le secteur avant d’agir. Fin
– 12 h. 18, bagarre entre force ALN et ATO, bd Joffre à hauteur bd Andrieu (provenance nom de code « Plafond », 2ème Zouaves)
– 12 h. 20, coups de feu quartier Saint-Pierre et fusillade cité Lescure. Panique FSE
– 12 h. 50, graves incidents en ville européenne puis Place Garguentah entre FSE et FSNA. Le feu a été ouvert, nombreuses victimes. Portes habitations européennes enfoncées par FSNA, bd Sébastopol (provenance gendarmerie Oran). Coups de feu provenant de la Mairie en direction de l’Opéra. Riposte des éléments de l’Opéra (provenance 4ème Zouaves).
– 13 h., 100 Européens enlevés place Hoche par ALN amenés vers ville nouvelle. Européens auraient tiré depuis terrasses sur manifestation ALN (provenance 2B-CAO)
– 13 h. 15, Intervention près gare Oran dégagement de civils FSE pris sous le feu de tireurs musulmans (provenance 8ème RIMA)
– 13 h. 20, Familles européennes habitant quartier cinéma Rex amenées par force locale vers ville nouvelle (provenance OC 6, Place Foch)
– 13 h. 45, contact sur transit de Radio Oran qui demande secours urgent : bandes incontrôlées tuent femmes et anéantissent (sic) (provenance 10ème BCP). La quasi totalité du personnel de la gare abandonne le travail suite à coups de feu. Paralysie totale de la gare. Les trains s’arrêtent à Orléansville (provenance Chef de gare Oran).
– 14 h., employés civils P. et T. en danger, employés civils Palais de justice en danger, Commandant des Sapeurs Pompiers parmi eux. Familles européennes haut bd Joffre emmenées vers ville Nouvelle. Patrouilles FLN contrôlent Européens rue Philippe. Plusieurs sont arrêtés (provenance gendarmerie mobile Oran)
– 14 h. 16, Eléments du 8ème RIMA de la gare d’Oran se portent au secours d’Européens occupants voitures, carrefour rue Hyppolite Giraud et rue Sidi Ferruch. FSE harcelés par tirs provenant 300 mètres ouest carrefour. FSE blessés bd Marceau. Un peloton 9/6 Bis se rend sur les lieux (provenance 8ème RIMA)
– 14 h. 23, signale tireur FSE ouvre le feu à partir d’un toit dans quartier Saint-Pierre en bordure rue Général-Leclerc (provenance « Adorer », 8ème RIMA)
– 14 h. 47, Musulmans tirent sur tous les FSE aux environs Gare (provenance 8ème RIMA)
– 14 h. 50, en raison multiplication tentative enlèvements FSE région quartier Delmonte limite quartier musulman, fais intervenir une compagnie pour action surveillance et patrouilles (provenance 67 RI)
– 15 h. 05, éléments force locale et ALN pillent immeubles européens avenue Tlemcen (provenance 3/43ème RI)
– 15 h. 10, sommes obligés accroître notre périmètre de sécurité dans gare d’Oran (provenance 8ème RIMA)
– 16 h. 15, ambiance particulièrement tendue quartiers Eckmühl, Choupot, Terrade, Brunie. Villas pillées. Rond-point Jules-Ferry (Brunie), Européens enlevés.
– 16 h. 15, haut parleur musulman décrète couvre feu Bd Front de Mer. Demande confirmation, nombreux réfugiés FSE en gare d’Oran (provenance nom de code « Adorer » 8ème RIMA)
– 16 h. 50, barrage FLN carrefour avenue Sidi Chami – Bd de Lattre, 70 FSE arrêtés et conduits dans local proche où ils subissent sévices (provenance 67 RA)
– 17 h., une vingtaine d’Européens sont lapidés au Petit-Lac
– 18 h. 50, le consul général de Suisse à Alger, M. Studes et celui d’Oran, M. Gehrig demandent instamment protection FSE et colonie suisse, notamment 17 rue de Parmentier, quartier Saint-Michel (provenance Cie gendarmerie d’Oran)
– 19 h. 10, 50 Européens, certains fortement malmenés pris cet après midi à Oran détenus par FLN cité Gai Logis sont en danger grave. Information par civil DCAN, par connaissance intime d’un musulman.
– 21 h. 20, Vous rend compte affolement personnel DCAN B 14. Le personnel ayant subi nombreux sévices corporels par musulmans en uniforme dans locaux commissariat central.

Il faut attendre 18 h.45 pour que le général Katz demande aux gendarmes mobiles de patrouiller uniquement dans les quartiers européens . Trois heures auparavant, il avait ordonné que les blindés des escadrons de gendarmerie mobile se positionnent à l’extérieur de leur cantonnement ! Il est évident que le général Katz sait très tôt ce qui se passe et il peut en suivre le déroulé mais il a des ordres de non-intervention et comme le dit le colonel Croguennec, alors capitaine du 2ème Zouaves, il exécute les ordres de Paris sans chercher à comprendre, tel le caporal moyen obnubilé par la dure guerre arabe OAS. Hélas, il n’était pas caporal, il aurait pu réagir plus tôt et plus vite. L’OAS n’était plus là . Les militaires, qui inondent son bureau de rapports dès le soir même du 5 juillet, et bien entendu dans les jours qui suivent, lui donnent une idée relativement précise de la situation. Si tous les rapports soulignent la volonté de groupes de Musulmans armés d’arrêter les Européens, aucun ne mentionne que l’origine des fusillades est à mettre au crédit d’Européens de l’OAS. Le capitaine Perret, commandant la compagnie du Génie 1/3/1, rend compte en revanche des problèmes qu’a connus la section des sapeurs-pompiers de la rue Dutertre, appelée à 10 heures le 5 juillet à secourir des femmes européennes accidentellement enfermées dans un logement situé près de l’Opéra (très proche de la Place Foch). Aussitôt, alors que la ville est calme, une équipe de 2 pompiers civils et 4 sapeurs de la compagnie se déplace vers l’Opéra. Arrivée près de l’Opéra, l’équipe est arrêtée par le bruit d’une fusillade et se réfugie dans le couloir d’une habitation. Le calme étant revenu, l’équipe regagne son véhicule et décide de retourner à la caserne. Arrivés Place Sébastopol, les pompiers sont interceptés par des militaires de l’ALN et des civils musulmans armés qui les alignent contre un mur, les frappent à coups de crosse les accusant formellement d’avoir tué des Musulmans et d’avoir provoqué des attentats au plastic. Le sergent Ricard qui commande l’équipe explique le pourquoi de leur présence et réussit à calmer les musulmans qui les entourent. Encadrée par ces derniers, l’équipe est amenée au commissariat central avant d’être relâchée à 14 heures 30 et ramenée sous escorte à la caserne.
Le capitaine Croguennec, commandant la compagnie du 2éme Zouaves cantonnée à l’école Jules-Ferry, rédige un rapport au soir du 5 juillet. Vers 12 h., précise Croguennec, la compagnie supporte sans broncher les coups de feu tirés par les Musulmans, et le capitaine n’a qu’une seule peur : que des tirs touchent l’école et que les jeunes appelés ripostent avec une puissance de feu telle qu’un massacre aurait été inévitable. A 13 heures 20, de la terrasse de l’école, les militaires font part à leur capitaine que des Européens sont conduits mains sur la tête, vers le commissariat central situé à 2 à 300 mètres de notre lycée. Croguennec sait qu’il doit intervenir malgré les ordres stricts de consigne. Il attend cependant que les fusillades s’estompent quelque peu. Entre-temps, vers 13 heures, le poste de garde aperçoit deux Français mains au mur en très mauvaise situation. Des militaires du 2ème Zouaves interviennent, les libèrent sans problème et les amènent dans l’école. Il s’agissait de deux reporters de Paris-Match dont Serge Lentz. Profitant d’un moment de calme, Croguennec décide de se rendre en jeep, accompagné d’un sous-officier, Brénugat , jusqu’au commissariat central. Le capitaine entre seul dans le commissariat où règne une grande effervescence. Tout le monde est très nerveux, remarque t-il, mais aucun musulman du FLN ne bronche. Il découvre dans le grand hall une foule de Français terrorisés, muets, et une grande inquiétude se lit sur les visages. Un arabe en civil très bien habillé, s’exprimant dans un excellent français, s’approche de lui. Croguenec se présente et s’étonne de la présence de personnes raflées par les militaires de l’ALN : les accords d’Evian, dit-il sur un ton autorisé, donnent à l’armée française le droit et le devoir de protéger ses ressortissants, puis se tournant vers les civils présents, il ajoute : Veuillez rejoindre ma jeep à l’extérieur et la suivre s’il vous plaît. Sans attendre de réaction de la part de son interlocuteur, il se dirige vers la porte, l’ouvre et fait sortir toutes les personnes civiles présentes (environ 200 ). Au dernier civil sorti, il sort à son tour, s’assied dans sa jeep et dirige sa « colonne » vers l’école Jules-Ferry. A l’abri, les civils reçoivent des rations de combat et de l’eau puis à partir de 18 heures ils sont ramenés chez eux par camions militaires. Croguenec a un double sentiment, celui d’avoir désobéi aux ordres et celui d’avoir agi selon sa conscience. Il précisera dans sa lettre que la désobéissance est permise lorsque l’ordre donné est illégal.
Le rapport (qui est aussi un témoignage), ensuite, du lieutenant Louchart, commandant la 1ère compagnie du 75ème Régiment d’Infanterie de Marine est particulièrement intéressant. Le 5 juillet, la 1ère compagnie du 1er Bataillon du 75ème RIM est stationnée sur la route de la Sénia, près du collège technique et la gare de circulation routière. Les militaires savent qu’il se passe « quelque chose » dans le centre ville et dans les quartiers européens mais les ordres de consigne ne leur permettent pas de sortir de leur cantonnement. A 16 heures cependant, un Européen, ayant échappé à un groupe de musulmans se présente à la Compagnie et est raccompagné à son domicile, à Valmy, par une patrouille. A 18 heures des coups de feu éclatent à 150 mètres du cantonnement. Deux Européens viennent d’être abattus par des Musulmans. Le lieutenant Louchart prend sur lui de sortir avec des hommes et à leur arrivée sur les lieux du crime, 2 voitures démarrent protégés par des hommes en tenue kakie. Une troisième voiture est interceptée avec à son bord un membre de la commission mixte ! Le calme revient et la patrouille rejoint son cantonnement. A 21 heures, un Européen qui vient de se faire voler, et qui a échappé à des tueurs, se réfugie à la compagnie. Il précise qu’au carrefour sur la route Nationale ; d’autres Européens ont été arrêtés. Aussitôt, Louchart envoie une patrouille qui se fait accueillir par des coups de feu et qui riposte, provoquant la fuite des plusieurs musulmans en voiture.



Selon les endroits, des militaires de l’armée française contournent l’ordre de consigne du général Katz et se portent au secours des civils malmenés par des éléments de l’ALN. Ainsi en est-il d’une compagnie du 8ème RIMA stationnée à la gare d’Oran et cela à plusieurs reprises, du 67ème RI dans le quartier Delmonte… Ainsi en est-il du lieutenant Rabah Khellif, qui commande la 4e compagnie du 30e BCP (30e Bataillon de Chasseurs Portés) et qui se porte au secours des civils européens. Nous n’avons pas retrouvé son rapport, ni celui du commandant de l’unité dans les archives militaires, mais le propre témoignage de Rabah Kheliff, les témoignages de ceux qui ont eu la vie sauve grâce à son action et la reconnaissance du colonel Nicolas, commandant le sous-secteur est d’Oran et le 67e Régiment d’Infanterie le 11 juillet 1962 ne laissent planer aucun doute quant à son action. Rabah Kheliff, comme d’autres jeunes officiers, sait, ce 5 juillet, que des civils européens sont regroupés en divers points de la ville dans l’attente d’être exécutés, sans que l’armée française intervienne. Il décide de passer outre les ordres et prévient par téléphone son colonel, qui répond : « Faites selon votre conscience, quant à moi je ne vous ai rien dit ». À la tête de la moitié de sa compagnie, le lieutenant Kheliff gagne un des points de regroupement des Européens, devant la préfecture. Il y voit une section de l’ALN, des camions de l’ALN et des colonnes de femmes, d’enfants et de vieillards. Plusieurs centaines, en colonnes par trois ou quatre, qui attendaient là et qu’on s’apprêtait à embarquer pour une destination inconnue. Il pénètre dans la Préfecture et demande à parler au nouveau préfet Lahouari Souiah. Kheliff exige et obtient de lui la libération des civils retenus prisonniers. Il est alors pris à partie par des civils musulmans mais arrive à garder son sang-froid et à calmer ses militaires prêts à le défendre. A son retour, Katz le réprimande et demande son retour immédiat en métropole .
Enfin, le 5 juillet au soir, suivant l’action du capitaine Croguennec, car, entre-temps, d’autres civils européens ont été amenés au commissariat central, le Lieutenant-Colonel X, Directeur du Recrutement d’Oran réussit à faire libérer du Commissariat central son personnel civil et 300 européens arrêtés par les services de sécurité musulmane. Averti de cela, le lendemain, le Commandant de détachement d’Oran entreprend les premières démarches visant d’abord à récupérer les militaires français enlevés. Il se rend au Commissariat Central mais il ne trouve plus trace des militaires enlevés. Il se rend ensuite à la morgue d’Oran où écrit-il, il ne fut pas possible de les reconnaître (parlant des militaires) tant les personnes étaient affreusement mutilées et non identifiables !
On le remarque bien, les exactions ont continué bien après 18 heures 45.




Le 8 juillet, le capitaine Cointet, commandant l’escadron 7/7 de gendarmerie mobile à Oran établit un premier bilan d’après ce qu’il a pu voir à la Morgue de l’hôpital civil d’Oran le 5 au soir. Il vient en effet de servir d’escorte au Médecin-colonel, directeur du Service de santé, envoyé par le général Katz. Les deux gradés relèvent la présence de plus d’une vingtaine de cadavres mais ne peuvent en identifier qu’une dizaine d’après leurs papiers. A la Morgue de l’Hôpital militaire Baudens, où ils se rendent ensuite, ils en recensent aussi une dizaine qu’ils arrivent à identifier et remarquent d’autres corps qu’on ne peut identifier tant leurs corps sont mutilés ! Parmi ces cadavres, 2 ont été tués à l’arme blanche, les autres l’ont été par balles et portent des coups dus à un acharnement sur les corps constate le Médecin-Colonel. Cette violence leur est insupportable et ils en informent directement le général Katz. De cette violence et de ces exécutions sommaires, tous en sont conscients, y compris la presse nationale. Le Monde du 7 juillet 1962 publie laconiquement au sujet du 5 juillet : « des patrouilles de l’ALN circulent dans les rues du centre et ouvrent le feu à la moindre apparition d’un civil européen ». Seul le général Katz la refuse au nom de l’intérêt de l’Etat.

II – 2 – 3 Le général Katz de l’histoire à la mémoire
Régulièrement accusé d’être le « Boucher d’Oran » par les Français d’Algérie, et surtout par les témoins de cet événement tragique , le général Katz décide de donner sa version des faits en 1993 en publiant son livre L’Honneur d’un général, Oran 1962, préfacé par Charles-Robert Ageron. Si l’on suit Katz dans ses mémoires, et que l’on met en parallèle ce qu’il écrit avec les archives militaires de juillet 1962, et que le général Katz a signées parfois, on reste frappé du décalage entre les documents d’archives et le livre de 1993 ! Alors qu’aucune archive ne le mentionne, et que même le FLN ne l’avance pas dans le déclenchement du massacre, Katz suggère (mais il ne peut l’affirmer et pour cause, les « commandos » de l’OAS ont fui l’Oranie après les 26-27 juin) que l’origine des incidents ont éclaté à cause de l’OAS, et penche pour une provocation des hommes de main de Claude Micheletti  qui avait la haute main sur l’OAS à Oran en mai et juin 1962. Dans les nombreuses distorsions entre les faits relatés par les archives (vues et parfois paraphées par Katz en 1962) et ceux avancés par Katz en 1993, quelques-unes sont édifiantes. Dans son ouvrage, Katz soutient par exemple qu’à 12 h. 15 Bakti est venu le voir pour lui demander l’intervention de l’armée française car il ne pouvait plus assurer la protection des Français. Sur ce, il décide de survoler en hélicoptère la ville et donne l’ordre de faire sortir immédiatement tous les escadrons de gendarmerie mobile . Ainsi, affirme t-il, l’armée est intervenue sur le champ. Or tous les documents que nous avons consultés ne mentionnent jamais cette rencontre entre Bakti et Katz pas plus que d’un survol de la ville en hélicoptère. D’un autre côté, l’ordre d’intervention n’a été donné qu’à 18 h. 45 par Katz lui-même et pas avant ! Cela lui permet sans doute de poursuivre et d’affirmer, puisque « l’armée est intervenue », que le drame, bien qu’il ait eu des conséquences les plus néfastes, n’a guère duré plus d’une demi-heure  ! Cette affirmation est contredite par les nombreux témoignages d’époque, par ceux qui ont suivi mais aussi par les JMO des éléments de l’armée française et dont le général Katz était fort bien informé.  Nous avons montré que les tueries ont commencé à 11 heures 20 et se sont poursuivies jusqu’à 19 heures 10. D’un autre côté, le témoignage sans équivoque du consul de Suisse en poste à Oran, Monsieur Gerhig, prouve qu’à 18 heures 50, se produisaient encore des exactions puisqu’il est obligé de demander à l’armée française la protection de la colonie suisse de la ville du quartier Saint-Michel. Le fait même que cette demande ait été traitée par la gendarmerie qui en avertit Katz montre que l’armée française n’était pas encore déployée à cette heure. Ensuite, le général Katz se dédouane de ses responsabilités en précisant qu’il avait reçu des ordres et que finalement il les avait exécutés . Il va même un peu plus loin, accusant le Ministre d’Etat chargé des Affaires algériennes (Louis Joxe), le Haut-commissaire de la République française en Algérie (Christian Fouchet) et le Général Commandant interarmées (général Fourquet) de légèreté et d’insuffisance puisque « dans les jours précédant l’indépendance, une vingtaine de notes ou messages contradictoires sur l’attitude à tenir en cas d’incidents était arrivés sur son bureau » . Certes, la France ne devait plus avoir une seule responsabilité dans le maintien de l’ordre après l’autodétermination, nous l’avons vu, mais il n’en reste pas moins que « tout militaire a un devoir permanent de porter assistance à des personnes en danger » où que ces personnes soient. A quelques jours de l’indépendance que l’on sait acquise à Paris, le Comité des Affaires algériennes, à la demande du Chef de l’Etat, le Général de Gaulle, diffuse une note qui précise que l’intervention dite d’initiative (de l’armée française) ne devra être envisagée pour assurer la défense de nos nationaux que dans le cas de légitime défense ou d’attaque caractérisée. Enfin, dans son instruction du 13 juin, le général Fourquet mettait l’accent sur le fait que les unités de l’armée française doivent asile et protection à toute personne qui vient le leur demander. S’il faut engager une unité, l’ordre et l’autorisation du Commandant de Corps d’Armée sont nécessaires. Or, Katz est le général commandant « provisoirement » le Corps d’armée d’Oran et il aurait pu, sans désobéir d’aucune façon aux ordres, ordonner à l’armée française en poste à Oran, bien supérieure en nombre et beaucoup plus armée que les forces de l’ALN, de prendre position et de protéger les personnes qui en faisaient la demande. Enfin, et c’est un point crucial dans le livre du général Katz, ce dernier dément catégoriquement l’existence d’un prétendu charnier au Petit-Lac  alors que dès fin avril 1962, il reçoit déjà des informations en ce sens. Pour lui, l’odeur pestilentielle qui submerge Oran en ce début juillet est due au non ramassage des ordures depuis quelques semaines et à la forte chaleur. Pour en avoir une idée plus sûre, il ordonne – c’est écrit ainsi dans son livre- une enquête poussée pour m’assurer qu’il n’y a pas de charnier. L’officier de gendarmerie qui en est chargé et qui a toute la confiance de l’ALN ne décèle rien. L’odeur n’est pas plus pestilentielle qu’ailleurs. A quel moment cette enquête a-t-elle été effectuée, le général Katz ne nous le dit pas. Pourtant, nous sommes en mesure d’affirmer que le général Katz a eu en mains plusieurs rapports indiquant très clairement la présence d’un charnier au Petit-Lac et il en a même vu les photos. Nous reproduisons l’essentiel de la note suivante :
Note 1512/XXIVème C.A./2/ en date du 12 juillet 1962
Dans la journée du 7 juillet 1962, un renseignement d’excellente valeur parvenu au GAOR fait état de l’enfouissement de cadavres FSE, victime du « pogrom » du 5 juillet, au bord du Petit-Lac, enfouissement effectué à coups de bulldozer. Une reconnaissance photo par hélicoptère fut immédiatement ordonnée et exécutée dans la soirée du 7 juillet.
L’étude des photos, confirmée par RAV  effectuée par un officier qualifié, a permis de relever le fait suivant :
parmi la série d’une dizaine de fosses alignées sur la rive Nord-Ouest du Petit-Lac, une fosse du centre a été tout fraîchement comblée. La photo jointe montre à l’évidence les traces d’un engin de terrassement. Le renseignement donné est donc bien recoupé.
Le 8 juillet, le Général Commandant le GAOR, (il s’agit du Général Katz), fait communiquer ce renseignement au capitaine Bakhti, chef de la Zone autonome d’Oran. Une katiba est envoyée sur place à la demande du GAOR. Aucun résultat de cette « enquête » n’est parvenu.
Et s’ensuit une note manuscrite de Katz : le groupement autonome d’Oran a tenté d’aller sur place vérifier l’information ; il en a été rigoureusement empêché par le nommé Bakhti.

Signé le Général de Division KATZ, Commandant provisoirement le XXIVème Corps d’Armée !

Ainsi, ce n’est pas un officier de gendarmerie qui est allé enquêter avec la confiance de l’ALN mais une Katiba et la reconnaissance par hélicoptère montre très nettement l’existence d’un charnier au Petit-Lac. Sans doute, quelques vingt années après les événements, la mémoire du général Katz connaît quelques faiblesses. Ce que l’on peut dire, in fine, est que le général Katz était au courant de ce qu’il se passait et qu’il n’a demandé aux troupes sous ses ordres de n’intervenir que tardivement. Ensuite, le lendemain et les jours qui ont suivi, il n’a pas davantage tenté une quelconque pression sur les autorités algériennes, et Bakhti principalement, pour récupérer des personnes enlevées alors qu’il était informé de l’existence de lieux de détention d’Européens.
   





Comme nous l’avons déjà souligné, l’armée française a des informateurs qui l’informent régulièrement de ce qui se passe dans les quartiers musulmans. L’un d’entre eux, revenant du quartier du Petit-Lac certifie le 7 juillet avoir vu une tranchée fraîchement refermée au bord du Petit-Lac, à hauteur de la partie « Souvenir Français » du cimetière militaire (carrés 09 K 50 60). Poursuivant sa mission d’investigations, cet informateur affirme au Chef d’escadron Coadic, Chef du 2ème Bureau, que des éléments de la population du quartier l’ont assuré que de nombreux Européens, abattus le 5 juillet, ont été enterrés à environ 60 cm de profondeur. Des renseignements recueillis de différentes sources depuis le 5 juillet ont déjà fait état de la présence au Petit-Lac de cadavres d’Européens exécutés conclut le chef d’escadron Coadic, chef du 2ème Bureau du GAOR. Et selon un témoin musulman oculaire, les Européens enlevés le 5 juillet par la bande d’Attou, ont tous été tués, brûlés et enterrés. Deux charniers sont alors connus grâce à cet informateur : l’un dans la Sebkhra à 200 mètres environ de la cité des Troènes, l’autre à la ferme Ardil. L’un des plus acharnés de la bande d’Attou selon le témoin est un nommé Zaarat ou Zaakat. Il est strictement impossible que le général Katz n’ait pas eu ces informations. Est-ce pour cela qu’il ordonne aux gendarmes mobiles de faire la police, d’occuper les commissariats et d’effectuer des patrouilles en ville européenne dès l’aube du 6 juillet ? Nous pouvons le penser mais il est bien trop tard. Et durant cette journée du 6, si les exactions contre les biens se raréfient, les enlèvements se poursuivent puisque près d’une trentaine d’Européens vont « disparaître ».
Dans sa thèse, Essai d’étude comparative de la Guerre d’indépendance de l’Algérie de 1954-1962 à travers deux villes : Oran – Sidi-bel-Abbès, Miloud Karim Rouina donne la transcription de plusieurs témoignages d’acteurs, membres du FLN ou de l’ALN, de ce 5 juillet. Deux d’entre eux, les témoins 10 et 13 (c’est ainsi que Miloud Karim Rouina les nomme) nous livrent des récits particulièrement importants  sur ce 5 juillet. Le témoin « 10 » est né à Aïn-Témouchent en 1928 et exerce après la seconde Guerre mondiale le métier de maçon à Oran. Il entre au FLN en 1955 dans un  groupe de choc. En mars 1962, il entre dans la police algérienne: … Le 5 juillet 1962, j’étais de service. Dès le début des événements, on nous a distribué des MAT (mitraillettes) au Central. Nous (la police) sommes descendus en ville pour arrêter les gens qui tiraient. Nous avons remonté environ 800 personnes au commissariat central. Parmi ces gens arrêtés, il y avait des européennes, des militaires de Djibouti et des harkis entre autres. Nous avons été aidé par la garde-mobile française… Nous (la police) avons eu un accrochage avec des parachutistes à la gare. Les gardes-mobiles partis, nous emmenions les « prisonniers » à la Sebbkha près du Petit-Lac pour les tirer à la mitraillette. En fait, nous n’avions même pas le temps de les tuer car dès que les Européens, harkis, militaires de Djibouti descendaient de la fourgonnette, le peuple s’en emparait et les achevait, qui au couteau, qui à la hache, qui par le feu… Le lendemain, l’ordre fut donné de désarmer la police. Nous sommes restés sans armes pendant une semaine… Le 5 juillet 1962, l’armée française n’est pas intervenue. Le témoin « 13 » est né à Tlemcen en 1934. Il exerce le métier de typographe et entre en FLN en 1956 alors qu’il est militaire appelé entre 1955 et 1957. En 1958, il va à Oran et il travaille à l’imprimerie « Excelsior ». Le 5 juillet, j’étais avec un copain dans une fourgonnette. Je faisais monter les Européens… qui acceptaient de monter assez facilement. Il suffisait de les regarder. Pourtant je n’étais pas armé. On a fait plusieurs voyages. Les Européens que nous faisions monter étaient déposés à Médioni. Le peuple, hommes et femmes, s’en chargeait… Je crois que ce fut une vague de démence. 24 heures après, je n’aurais pas pu refaire la même chose.
A 16 heures 15, nous l’avons vu, le couvre-feu est décrété par l’ALN, sans pour autant mettre un terme aux exactions et aux enlèvements.
La ville cependant se calme vers 18 heures et Bahkti assure qu’il a de nouveau « la main » sur ses troupes. Il déclare vouloir remettre de l’ordre à Oran. Il y est aidé par un renfort de troupes quasi inespéré qui attendait son ordre. Dans la nuit du 5 au 6 juillet, un premier convoi de 1 500 membres de l’ALN passe la frontière marocaine pour Oran bien armés. Un millier d’entre eux se positionneront au matin du 6 entre la Ville-Nouvelle et les quartiers européens sous les yahia ALN scandés par la foule. Le vendredi 7 à la nuit, neuf katibas transportées par 47 camions immatriculés dans le département de Tlemcen font une entrée triomphale à Oran.
Alors que Paris se tait, Alger est atterré par les événements et le fait savoir. Pour faire bonne mesure, le nouveau préfet Lahouari Souyah et Bahkti annoncent par voie de presse que les responsables des troubles seraient châtiés sans pitié… D’ailleurs, ils disent connaître parfaitement ces groupes de tueurs musulmans opérant des quartiers musulmans et assurent que la justice sera rendue. Le 10 juillet, Bahkti réunit à Pont-Albin, près d’Oran, la presse de l’époque et les télévisions. Il leur avoue que l ‘ALN sait depuis quelques mois qu’une bande d’assassins, commandée par un certain Attou sévit à Oran. Les quartiers du Petit-Lac, de Victor-Hugo et de Lamur leur sert de base arrière et il les désigne comme les principaux et uniques responsables des meurtres du 5 juillet. Il précise que deux bataillons venaient de reprendre ces quartiers et avaient liquidé Attou  et une partie de sa bande, exhibant enfin aux journalistes présents quelques dizaines de musulmans, les mains liées dans le dos, dans l’attente de leur procès . La mise en scène est assez efficace puisque la presse et les télévisions de l’époque relatent l’événement du Pont-Albin, laissant augurer pour le nouvel état indépendant, une ère de paix et de justice. Mais il ne s’agit que d’une mise en scène : Attou n’a pas été liquidé et il finira sa vie bien après l’indépendance, à Oran même, après avoir travaillé dans les Abattoirs de la ville ! De son côté, Bakhti avait joué pleinement son rôle. Le 3 août, il est remplacé par le lieutenant Mohamed Rachid pour pouvoir suivre Boumedienne. Il deviendra son directeur de Cabinet puis sera Ministre des Moudjahidines de 1980 à 1986.

II – 2 – 4 Quel bilan possible ?
Tout conflit semble générer des difficultés à quantifier le nombre de morts, de disparus, d’exactions diverses. Cela reste le cas pour la guerre d’Algérie un demi-siècle après sa fin. Dès 1962, nous assistons à une surenchère de comptabilités macabres et cela pour chaque événement qui l’a ensanglantée. Le 5 juillet à Oran n’y a pas échappé. Peut-on alors, et le plus sérieusement possible, arriver à quantifier « une fois pour toutes » ce drame ?
Dans ce cadre, le conflit des chiffres semble poursuivre la guerre d’Algérie bien ancré dans les idéologies de l’époque. Au lendemain du 5 juillet, la presse reprend les déclarations du docteur Naïr, médecin FLN de la base d’Oujda, présent sur Oran depuis quelques jours. Celui-ci affirme que les massacres d’Oran ont fait 101 morts dont 76 Algériens et 25 Européens, 145 blessés dont 105 Algériens et 40 Européens. Ce même jour, Jean-François Chauvel du Figaro évalue ces massacres à 96 tués dont 21 Français et le Monde parle de 120 morts. Le 9 juillet, l’Echo d’Oran titre sa une : Tragique bilan du 5 juillet : 101 morts et 145 blessés reprenant les premiers chiffres donnés par le docteur Naïr. Les autorités françaises se taisent et ne donnent aucun chiffre. Pourtant, dès le 6 juillet et les jours qui suivent, des plaintes de toutes sortes affluent au commissariat central d’Oran. En une journée, 125 Européens dont 6 militaires sont portés disparus, et 400 vols de voitures ont été signalés. Des familles réfugiées en France attendent des nouvelles de leurs proches avant d’être rassurées ou de se rendre dans un commissariat français pour établir une plainte et un constat de disparition. Seuls, quelques journaux régionaux évoquent l’Enfer d’Oran et leurs centaines de morts . Puis un premier silence se fait. Il faut attendre le 7 mai 1963 pour que les premiers éléments chiffrés sur les disparus pendant la guerre d’Algérie soient donnés par le Secrétaire d’Etat aux Affaires algériennes, de Broglie, devant l’Assemblée nationale : 3 080 disparus. Puis, le 5 novembre, devant le Sénat cette fois-ci, De Broglie affirmait que le nombre des disparus n’excédait pas les 1 800 car ses services et ceux du ministère des Affaires étrangères avaient, depuis mai, retrouvé quelque 1 200 personnes pour la très grande majorité d’entre elles vivantes. Aucune évaluation n’est faite pour Oran ! Dans ce silence, des associations de rapatriés pouvaient alors avancer leurs chiffres : 3 000 morts et disparus pour le seul 5 juillet 1962, 5 000 pour certains, voire 25 000 pour les plus extrémistes ! Cette surenchère devait avoir une seule conséquence : devant de tels chiffres, l’incrédulité l’emportait et la seule évaluation restait celle du docteur Naïr alors même qu’en 1977, Jean-Pierre Chevènement, dans son ouvrage, Le vieux, la crise, le neuf, Editions Flammarion, jeune énarque et sous-lieutenant attaché à partir du 5 juillet près le premier consul de France à Oran, Jean Herly, écrivait, page 29, que sa principale tâche était de retrouver les huit cents disparus du 5 juillet. En 1986, le capitaine M. L. Leclair, avançait une évaluation de plusieurs centaines de disparus uniquement pour Oran sans autre précision . En 1992, dans la seconde édition de son recueil de témoignages, L’Agonie d’Oran, Geneviève de Ternant dresse la liste de 195 personnes mortes ou disparues pour le seul 5 juillet et 19 autres pour les jours précédents ou suivants, soit 214 personnes. En 1994, en réponse aux 500 morts et disparus avancés par Alain-Gérard Slama, Jacques Lenoir ramenait ce bilan à 40 ou 50 morts et disparus  ! Plus d’une dizaine d’années plus tard, Jean Monneret, ayant eu accès à des sources d’archives militaires (Service historique de la Défense) soumises à dérogation, estime en décembre 2007 que le total des disparus et morts pour les 5, 6 et 7 juillet est de 365 personnes  mais, ajoute t-il, il reste néanmoins tout à fait impossible d’affirmer un chiffre définitif, nombre de cas « incertains » restant enregistrés au Quai d’Orsay.
Les archives que nous avons consultées permettent sans doute de se rapprocher de la vérité. Parce que, contrairement à ce qui est avancé parfois, des rapports ont été réalisés donnant, grâce à leur confrontation, une idée plus historique de l’événement. Il y a d’abord celui du général Katz lui-même, celui du commandant Humbert (en poste à la gendarmerie mobile d’Oran), celui de Jean-Fernand Laurent et celui d’Alfred Necker. Rapports officiels sans doute mais assez précis et informés pour qu’ils ne soient pas transmis au CICR qui en fait la demande auprès de Jean de Broglie avant de commencer ses recherches en 1963 ! Le secrétaire d’Etat est favorable à cette transmission et il le dit au ministre des Armées, Pierre Messmer, qui refuse catégoriquement : Malgré le vif désir que j’ai d’aider le CICR dans sa tâche, il ne me paraît pas possible de déroger à la règle fondamentale selon laquelle les rapports établis par les personnels civils ou militaires relevant des Armées ne peuvent être communiqués en dehors des Armées . Un homme pourtant, à l’automne 1962, prend le temps de lire ces rapports, d’en effectuer les croisements et de les confronter avec les innombrables notes qui lui sont parvenues : il s’agit de Jean-Marie Huille.
Jean-Marie Huille est en 1962 Commissaire de la Marine et Conseiller technique pour les Affaires militaires au Cabinet de Jean de Broglie, alors Secrétaire d’Etat chargé des Affaires algériennes auprès du Premier ministre de 1962 à 1967. En 1962, il succède à Hubert de Seguins-Pazzi, conseiller de Louis Joxe, dont il récupère les archives. Dans une note adressée à de Broglie, il précise : il y a eu 671 victimes françaises des événements d’Oran (disparus et décédées)… Les disparus constituent dans leur très grande majorité des cas de très fortes présomptions de décès. Il est évident que nous n’en saurons jamais davantage et que nous ne retrouverons aucun corps .
Jean-Marie Huille est clairvoyant quant au sort des personnes enlevées et qui restent disparus après fin juillet. Il ne partage pas l’espoir qui anime le Chef d’escadron Coadic, chef du 2ème Bureau de l’Etat-Major mixte de la Préfecture de police d’Oran. Ce dernier estime que malgré le nombre des assassinats, des Européens sont encore vivants. S’intéressant toujours avec beaucoup d’acuité au problème des enlevés, le Chef Coadic a la certitude que l’on peut en retrouver. Il fait procéder à de nombreuses enquêtes par des informateurs musulmans, recoupe les renseignements de valeur et de précision parfois très variables et établit, au 22 juillet, une fiche de renseignements sur la détention des Européens par le FLN. Des lieux de détention sont signalés depuis avril-mai dans les quartiers Lamur, Ville Nouvelle ou Victor-Hugo mais d’autres lieux plus précis apparaissent après le 5 juillet. Ainsi, Coadic pointe l’école de la rue Benacef (Ville Nouvelle), un immeuble de la Cité de recasement aux Planteurs, une habitation de la rue de l’Yser. Le 16 juillet, la présence d’Européens est formelle à l’école Langevin comme le 19  à l’hôpital civil et le 20 à la Prison civile d’Oran. Coadic acquiert aussi la certitude que des Européens enlevés fin juin et début juillet à Oran sont détenus près d’Arzew, d’Aïn-Temouchent, Mostaganem et Sidi Bel Abbes. Pour lui, les Européens encore détenus sont une monnaie d’échange pour le FLN pour faire libérer les musulmans encore détenus en France et il pense que certains Européens pourraient être libérés vers la mi-août après les élections prévues. Le temps entre l’enlèvement et la libération permettrait d’autre part aux membres du FLN de soigner les Européens maltraités ou blessés et de les présenter sans prêter à critique. Pourtant, peu de libérations interviennent en août alors que des enlèvements ont eu lieu. Au 24 août, le capitaine Sala qui a remplacé le Chef d’escadron Coadic souligne qu’il n’y a que très peu de personnes vivantes parmi celles enlevées les 5 et 6 juillet. En revanche, parmi celles enlevées postérieurement, il y aurait encore des vivantes dont il espère la libération pour les élections du 2 septembre ! Il n’y aura pas davantage de libérations !
Jean-Marie Huille, ensuite, précède le sentiment qu’aura le représentant du Comité international de la Croix-Rouge, Claude Pilloud, lors de sa rencontre en mars 1963 avec le capitaine Bahkti devenu Directeur de Cabinet de Boumedienne. Claude Pilloud, qui a pu se procurer le rapport d’Alfred Necker (par ses propres moyens et sans aucune demande officielle), considère les faits relatés par Bahkti comme inexacts sauf en ce qui concerne deux points avancés par son interlocuteur : l’ALN n’a établi aucune liste de disparus ou de tués. Les cadavres ont été ensevelis par la population après avoir été déchiquetés et volés. Aucune trace ne peut être relevée au Petit-Lac, les bulldozers ont tout effacé le 6 juillet. Tous les disparus sont morts, des fouilles ou des exhumations sont inutiles, elles n’auraient aucune chance de réussite .
Ce dernier point devait être confirmé quelques mois plus tard par la copie d’une lettre donnée par un informateur algérien à l’armée française le 25 octobre 1963, et dont la valeur est jugé A2, soit d’une très grande fiabilité. Le 3 octobre 1963, un certain Abderrahmane Belmokhtar habitant la commune d’Alaïmira (département d’Oran), écrit au Président de la Délégation spéciale de la ville d’Oran au sujet de son salaire de cantonnier qu’il n’a pas touché entre mars 1962 et mars 1963. Cela fait trois fois qu’il se plaint auprès du Président de la Délégation spéciale d’Oran afin de toucher son arriéré de salaire et, pour appuyer sa demande, il précise en quoi il a aidé à la Révolution de l’Algérie. Il déclare qu’il a été durant 12 années (de 1950 à 1962) chargé de la surveillance du matériel de l’entreprise Nougaro (ou Nogaro) qui était situé au Petit Lac. A partir des Accords d’Evian, il relâche la surveillance, ce qui permet au FLN de s’accaparer le matériel de l’entreprise. Et c’est avec ce matériel qu’il écrit avoir enseveli les morts tués par nos frères le 5 juillet 1962 , ajoutant je suis titulaire d’attestations des Frères de FLN que je peux présenter en cas de besoin. On ne sait s’il a pu récupérer ses arriérés de salaire !
Enfin, l’examen des dossiers administratifs personnels du Service central des rapatriés et des différentes archives me donne un chiffre de 355 personnes disparues et 326 personnes décédées -dont les décès ont été constatés- (soit 681 personnes) du 26 juin au 10 juillet 1962  sur le grand Oran soit, à quelques unités près l’évaluation de Jean-Marie Huille. Nous pouvons donc affirmer, et en tenant compte des cas dits incertains, que les journées tragiques d’Oran ont fait quelque 700 morts européens (décédés et disparus) auxquels il fait rajouter une centaine de morts musulmans.

Dans ce chaos, pourtant, des hommes ont gardé leur raison et quelques témoignages rendent hommage à des Musulmans qui se sont débrouillés (parfois au péril de leur vie) pour arracher à la mort certaine des Européens. Dans la quasi totalité des cas, il s’agit de personnes qui reconnaissant un ami d’école ou de lycée, un collègue de travail, ou une simple connaissance du quartier ont caché, soustrait, récupéré des Européens soumis à la vindicte populaire. Il suffit de parcourir les trois tomes de l’Agonie d’Oran ou de visionner le film de Gilles Perez Les Pieds-Noirs, histoire d’une blessure, pour en avoir une juste idée. D’autres initiatives cependant, à mettre au crédit de l’armée française, permettent la libération d’Européens. Au soir même du 5 juillet, quelques personnes enlevées (8 hommes, 2 femmes et 2 enfants) et conduites dans la Cité du Petit-Lac par des Algériens sont ainsi remises en liberté après l’intervention d’un officier « gradé militaire » (les archives ne mentionnent pas son nom) auprès du responsable FLN Si-Omar « alias Ben Ouameur » (SHD4), et les 6 et 7 juillet, d’autres libérations interviennent au Commissariat central d’Oran. Bien peu sans doute au regard de ce drame, mais il convient de ne point l’oublier.
Pour les organisateurs de ce « 5 juillet », les buts furent atteints. D’un côté, bien qu’acclamés à Alger, Ben Khedda et le GPRA n’en étaient pas moins discrédités par ces événements. Commençait alors une anarchie, une véritable absence de pouvoir, qui allait durer pendant tout l’été 1962 jusqu’à ce que Ben Bella se voit attribuer le pouvoir fin septembre avec l’appui de l’ALN de Boumedienne (qui prend le ministère de la Défense). De l’autre, les Français d’Algérie qui avaient cru en la possibilité de rester sur leur terre natale, prolongeaient l’exode commencé en avril 1962. D’Oran, partirent des milliers et des milliers de Français sans espoir de retour, ce qui était aussi le but recherché de Boumedienne qui ne pouvait admettre une Algérie avec « son million de colons » !



Jean-Jacques JORDI, Chapitre sur « Oran, juillet 1962 » dans Un silence d'Etat, les Disparus civils européens durant la guerre d'Algérie, Ed. SOTECA

Wagner le 22.11.11 à 12:08 dans p/ cette histoire qui nous concerne. - Lu 5785 fois - Version imprimable
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Commentaires

DOCUMENT ALN 5 juillet 62 et livre Jordi

 
                  +  DOCUMENT  DE PRESSE RETROUVE DU 10 JUILLET 62 POUR L HISTOIRE
Message du 14/11/11 19:28
De : JF PAYA cercle Alg du Poitou
Copie à : "CERCLES ALGERIANISTES
Objet : tr: DOCUMENT ALN 5 juillet 62

NOTE DE RENSEIGNEMENT DU 2 EM BUREAU D ORAN 1962
SUR LE COMMUNIQUE DU 5 JUILLET 1962 DE L ETAT MAJOR DE L ALN EXTERIEUR
OUJDA
DIFFUSE INTEGRALEMENT DANS LE 3 EM VOLUME DE "L 'AGONIE D ORAN "( ED
GANDINI NICE)
Source 2em Bureau Oran    JF Paya
CURIEUSEMENT CONCLUSIONS DU 2 EM BUREAU "AFFAIRE D ORDRE INTERIEURE
...PROBLEME INTERNE PUREMENT ALGERIEN ! NE PAS S IMMISCER
AUCUNE RECHERCHE SUR LA PRISE DE POUVOIR ET LE " MAINTIEN DE L ORDRE "
PAR L' ALN EXTERIEURE ( NON PREVUE PAR LES ACCORDS EVIAN ) APRES LA
PROVOCATION du 5 JUILLET
QUI SUSCITA LES MASSACRES ET LES ENLEVEMENTS SEULS CERTAINS JOURNALISTES
DONT CELUI DE" LA DEPECHE DE ST ETIENNE"DU 10 JUILLET 62 AVISé
IMPLIQUENT"
CERTAINS CIVILS MUSULMANS Armés PROVOCATEURS" (CITATION) IL ETAIT
 POURTANT FACILE DE SAVOIR A ( pas relayé par les médias de l époque et le pouvoir )
QUI PROFITAIT LE CRIME ET DE DEVELOPPER UNE RECHERCHE JF PAYA
       Article Dépèche de St Etienne cité ci dessus
       "L'ALN  ne croit plus aux provocations de l'OAS Elle sait comme les
témoins qui ont suivi
         la fusillade que celle ci a surtout été provoquée et alimentée par
de jeunes civils musulmans
         armés .Elle sait aussi que ces incidents ont permis d'assouvir de
vieilles vengeances dont
         les Européens ont fait les frais ;Elle s'emploie donc à chatier les
coupables de façon exemplaires"
         ( Ici il faut mettre un bémol le journaliste n'à rien vu il
transmet les réponses du Cpt Si Bakhti)
         Il poursuit "Hier (8 Juillet) Neuf Katibas ,un millier d'hommes ,au
visage fermé,sont arrivés
         dans la nuit de Samedi à Dimanche à Oran et ont été accueillis avec
délire (Il a vu )
         ELLES VIENNENT DU MAROC "Vous pouvez dire que ce sont les Katibas
de BenBella
        et du colonel Boumédienne nous dit Si Bakhti" nous ne connaissons
comme autorité que
        l'Etat Major de l'ALN et surtout pas M Ben Khedda" Fin de citation
NB Bakhti avait été mis en place
        à la commission mixte de cessez le feu (acc Evian) avec l'aval de
lexécutif  d Alger !

Jean Francois PAYA

Jean-François PAYA - 23.11.11 à 11:32 - # - Répondre -

Document 2em bureau Oran 5 Juillet 62

C:\WINDOWS\Temporary Internet Files\Content.IE5\JMW39N5F\001.jpg


Commentaire dans mon texte précédent 

Jean-François PAYA - 23.11.11 à 12:28 - # - Répondre -

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