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D'Algérie - Djezaïr
Mouvement de réconciliation

Proposer une devise

"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.

D'Algérie-Djezaïr

Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.

ORGANISATION

Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.

Algérie 1962 : de quoi les Pieds-Noirs ont-ils eu peur?

Au commencement était un article tendancieux de Pierre Daum parut en mai 2008 dans le Monde Diplomatique.
Son titre " Sans valise ni cercueil, les Pieds-Noirs restés en Algérie".


Le voici :


Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie

 

Depuis quarante-cinq ans, les rapatriés ont toujours soutenu l’idée qu’ils avaient été « obligés » de quitter l’Algérie au moment de l’indépendance en 1962, car, menacés physiquement par les « Arabes », ils n’auraient pas eu d’autre choix. Pourtant, à la fin de la guerre, deux cent mille pieds-noirs ont décidé de demeurer dans le nouvel Etat. Témoignages de personnes qui y vivent encore aujourd’hui.
                    Par Aurel et Pierre Daum


Alger, janvier 2008. Pour trouver la maison où habite Cécile Serra, il vaut mieux ne pas se fier aux numéros désordonnés de la rue. En revanche, demandez à n’importe quel voisin : « Mme Serra ? C’est facile, c’est la maison avec les orangers et la vieille voiture ! » Cécile Serra reçoit chaque visiteur avec une hospitalité enjouée. Dans son jardin magnifiquement entretenu par M. Mesaour, son voisin, trône la carcasse rouillée d’une Simca Aronde modèle 1961. « Ah ! On en a fait des balades dans cette voiture avec mon mari ! Tous les week-ends, on partait à la pêche avec un groupe d’amis ; il y avait M. Gabrière et M. Cripo, avec leur femme. Jusqu’en 1981. Puis mon mari a commencé à être fatigué. Mais du bon temps, on en a eu ! »
A écouter les récits de cette délicieuse dame de 90 ans à l’esprit vif et plein d’humour, on aurait presque l’impression que la « révolution » de 1962 n’a guère changé le cours de son existence de modeste couturière du quartier du Golf, à Alger. « Et pourquoi voulez-vous que ça ait changé quelque chose ? vous apostrophe-t-elle avec brusquerie. J’étais bien avec tout le monde. Les Algériens, si vous les respectez, ils vous respectent. Moi, j’ai jamais tutoyé mon marchand de légumes. Et aujourd’hui encore, je ne le tutoie pas. »
La grand-mère maternelle de Cécile Serra est née à Cherchell, en 1858. Son père, tailleur de pierre, a déménagé à Alger dans les années 1920. « Il a fait construire cette petite maison en 1929 et, depuis, je n’en suis jamais partie. » Comment se fait-il qu’elle n’ait pas quitté l’Algérie en 1962 ? « Mais pourquoi serais-je partie ? Ici, c’est notre pays. Tout est beau. Il y a le soleil, la mer, les gens. Pas une seconde je n’ai regretté d’être restée. » Son mari, Valère Serra, était tourneur dans une entreprise pied-noire (1). « Pendant la guerre, il se déplaçait souvent pour vendre des produits. Il disait à nos voisins [arabes] : “Je vous laisse ma femme et mon fils !” Et il ne nous est jamais rien arrivé. Sauf quand y a eu l’OAS [Organisation armée secrète] (2). La vérité, c’est que c’est eux qui ont mis la pagaille ! Mais “La valise ou le cercueil”, c’est pas vrai. Ma belle-sœur, par exemple, elle est partie parce qu’elle avait peur. Mais je peux vous affirmer que personne ne l’a jamais menacée. »
En 1962, les ateliers où travaillait Valère ont été liquidés, et il a pris sa retraite. Cécile a continué sa couture. « En 1964, avec l’Aronde, on est partis faire un tour en France. Pour voir, au cas où... A chaque fois qu’on rencontrait des pieds-noirs, qu’est-ce qu’on n’entendait pas ! “Comment ! Vous êtes toujours là-bas ! Vous allez vivre avec ces gens-là !” Alors on s’est dépêchés de rentrer chez nous.
Cécile Serra fait partie des deux cent mille pieds-noirs qui n’ont pas quitté l’Algérie en 1962 (3). Etonnant ? Non, tout à fait logique. Comme le souligne Benjamin Stora, un des meilleurs historiens de l’Algérie, « depuis qu’ils sont rentrés en France, les rapatriés ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient donc nécessairement tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité (4)  ».
Jean-Bernard Vialin avait 12 ans en 1962. Originaire de Ouled Fayet, petite commune proche d’Alger, son père était technicien dans une entreprise de traitement de métaux et sa mère institutrice. Ancien pilote de ligne à Air Algérie, il nous reçoit sur son bateau, amarré dans le ravissant port de Sidi Fredj (ex-Sidi-Ferruch), à l’ouest d’Alger. « Mes parents appartenaient à ceux qu’on appelait les libéraux. Ni engagés dans le FLN [Front de libération nationale] ni du côté des partisans jusqu’au-boutistes de l’Algérie française. Juste des gens, malheureusement très minoritaires, qui refusaient d’accepter le statut réservé aux “musulmans” et les injustices incroyables qui en résultaient. On s’imagine mal aujourd’hui à quel point le racisme régnait en Algérie. A Ouled Fayet, tous les Européens habitaient les maisons en dur du centre-ville, et les “musulmans” pataugeaient dans des gourbis, en périphérie. » Des habitations précaires faites de murs en roseau plantés dans le sol et tenus entre eux par des bouts de ficelle, sur lesquels reposaient quelques tôles ondulées en guise de toiture. « Ce n’était pas l’Afrique du Sud, mais presque. »
En janvier 1962, une image s’est gravée dans les yeux du jeune garçon. « C’était à El-Biar [un quartier des hauteurs d’Alger]. Deux Français buvaient l’anisette à une terrasse de café. Un Algérien passe. L’un des deux se lève, sort un pistolet, abat le malheureux, et revient finir son verre avec son copain, tandis que l’homme se vide de son sang dans le caniveau. Après ça, que ces mecs aient eu peur de rester après l’indépendance, je veux bien le croire... » Pour ses parents, en revanche, « il n’a pas été question une seconde de partir. C’était la continuité. Ils avaient toujours désiré une vraie égalité entre tout le monde, ils étaient contents de pouvoir la vivre ».
En septembre 1962, ses deux mille Européens ont déserté Ouled Fayet, sauf les Vialin. Les petites maisons coloniales se sont retrouvées rapidement occupées par les Algériens des gourbis alentour — « ce qui est tout à fait naturel », précise l’ancien pilote. Sa mère rouvre seule l’école du village. Dès 1965, la famille acquiert la nationalité algérienne. « Et finalement, je me sens algérien avant tout. A Air Algérie, ma carrière s’est déroulée dans des conditions parfaitement normales ; on m’a toujours admis comme étant d’une autre origine, mais sans faire pour autant la moindre différence.
André Bouhana, lui non plus, n’a jamais craint de demeurer là. « J’ai grandi à Ville Nouvelle, un des quartiers musulmans d’Oran. Je parlais l’espagnol, comme mes parents, mais aussi l’arabe dialectal, puisque tous mes copains étaient arabes. Ce n’est pas comme les Européens qui habitaient le centre-ville. Donc, au moment de l’indépendance, pourquoi j’aurais eu peur ? » Aujourd’hui, à 70 ans, Bouhana habite dans une misérable maison à Cap Caxine, à l’ouest d’Alger. Entouré de nombreux chiens et chats, il survit grâce aux 200 euros de l’allocation-vieillesse que dispense le consulat français à une quarantaine de vieux pieds-noirs sans ressources. « Mais, surtout, j’ai des amis algériens, des anciens voisins, qui vivent en France, et qui m’envoient un peu d’argent. » Et sa famille rapatriée ? « Vous rigolez ! Pas un euro ! Ils ne me parlent plus. Ils ne m’ont jamais pardonné de ne pas avoir quitté l’Algérie. »
Et puis, il y a Félix Colozzi, 77 ans, communiste, engagé dans le maquis aux côtés du FLN, prisonnier six ans dans les geôles françaises (dont la terrible prison de Lambèse, près de Batna), devenu ingénieur économiste dans des entreprises d’Etat. Et André Lopez, 78 ans, le dernier pied-noir de Sig (anciennement Saint-Denis-du-Sig), à cinquante kilomètres d’Oran, qui a repris l’entreprise d’olives créée par son grand-père, et qui y produit à présent des champignons en conserve. Et le père Denis Gonzalez, 76 ans, à l’intelligence toujours très vive, « vrai pied-noir depuis plusieurs générations », qui, dans le sillage de Mgr Duval, le célèbre évêque d’Alger honni par l’OAS, a choisi de « rester au service du peuple algérien ».
Et même Prosper Chetrit, 78 ans, le dernier juif d’Oran depuis la mort de sa mère, qui rappelle que « trois mille juifs sont demeurés à Oran après 1962 », et que, « pour eux, la situation n’a commencé à se détériorer qu’à partir de 1971, quand les autorités ont confisqué la synagogue pour la transformer en mosquée, et que le dernier rabbin est parti. Mais moi, précise-t-il, tout le monde sait que je suis juif, et tout le monde m’estime ».
« On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir »
Il était donc possible d’être français et de continuer à vivre dans l’Algérie indépendante ? « Bien sûr ! », s’exclame Germaine Ripoll, 82 ans, qui tient toujours avec son fils le petit restaurant que ses parents ont ouvert en 1932, à Arzew, près d’Oran. « Et je vais même vous dire une chose : pour nous, la situation n’a guère bougé. Le seul vrai changement, c’est quand on a dû fermer l’entrepôt de vin, en 1966, lorsque la vente d’alcool est devenue interdite. Mais ça ne m’a jamais empêchée de servir du vin à mes clients. »
Au fur et à mesure de ces entretiens avec des pieds-noirs, ou « Algériens d’origine européenne », comme certains préfèrent se nommer, une nouvelle image apparaît, iconoclaste par rapport à celle qui est véhiculée en France. L’inquiétude des Européens était-elle toujours justifiée ? La question demeure difficile à trancher, sauf dans le cas des harkis (5). Certes, les déclarations de certains leaders nationalistes ont pu paraître inquiétantes. En premier lieu, la proclamation du 1er novembre 1954, qui affirme la volonté du FLN d’ériger une Algérie démocratique « dans le cadre des principes islamiques ». Toutefois, la plupart des pieds-noirs de France semblent avoir complètement oublié que durant cette guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s’adresser à eux afin de les rassurer. « Moi, je les lisais avec délectation », se souvient très bien Jean-Paul Grangaud, petit-fils d’instituteurs protestants arrivés en Kabylie au XIXe siècle et qui est devenu, après l’indépendance, professeur de pédiatrie à l’hôpital Mustapha d’Alger, puis conseiller du ministre de la santé. Dans le plus célèbre de ces appels, lancé de Tunis, siège du gouvernement provisoire, le 17 février 1960 aux « Européens d’Algérie », on peut lire : « L’Algérie est le patrimoine de tous (...). Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent à reconnaître en vous des supercitoyens, par contre, ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. » La seule déception qu’ont pu ressentir ceux qui ne sont pas partis est liée à l’obtention de la nationalité algérienne, puisqu’ils furent obligés de la demander, alors qu’elle devenait automatique pour les Algériens musulmans. Mais c’était en 1963, donc bien après le grand départ des pieds-noirs.
En ce qui concerne leurs biens, les Européens qui sont restés n’ont que rarement été inquiétés. « Personne ne s’est jamais avisé de venir nous déloger de notre villa ! », s’exclame Guy Bonifacio, oranais depuis trois générations, à l’unisson de toutes les personnes rencontrées. Quant au décret de nationalisation des terres, promulgué en 1963 par le nouvel Etat socialiste, il n’a concerné que les très gros domaines, les petites parcelles laissées vacantes, et éventuellement les terres des Français qui, bien que demeurés sur place, ont refusé de prendre la nationalité algérienne. Vieille Oranaise pourtant toujours très remontée contre les Algériens, Jeanine Degand est formelle : « J’ai un oncle qui possédait une trentaine d’hectares du côté de Boutlélis. En 1963, les Algériens lui ont dit : “Ou tu te fais algérien, et tu gardes ta ferme ; ou tu refuses, et on te la prend.” Il avait sa fierté, il a refusé, et on la lui a prise. C’est sûr que, s’il avait adopté la nationalité, il l’aurait toujours. »
Il n’a non plus jamais été suffisamment souligné avec quelle rapidité la paix complète est revenue en Algérie. « Je suis arrivé dans le pays à l’été 1963, raconte Jean-Robert Henri, historien à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, à Aix-en-Provence. Avec ma vieille voiture, j’ai traversé le pays d’est en ouest, dormant dans les coins les plus reculés. Non seulement, avec ma tête de Français, il ne m’est rien arrivé, mais à aucun moment je n’ai ressenti le moindre regard d’hostilité. J’ai rencontré des pieds-noirs isolés dans leur ferme qui n’éprouvaient aucune peur. » « C’est vrai que, dès août 1962, plus un seul coup de feu n’a été tiré en Algérie, affirme F. S. (6), l’un des historiens algériens les plus reconnus de cette période. C’est comme si, le lendemain de l’indépendance, les Algériens s’étaient dit : “On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir.” » Marie-France Grangaud confirme : « Nous n’avons jamais ressenti le moindre esprit de revanche, alors que presque chaque famille avait été touchée. Au contraire, les Algériens nous témoignaient une véritable reconnaissance, comme s’ils nous disaient : “Merci de rester pour nous aider” ! »
Finalement, on en vient à se demander pourquoi tant de « Français d’Algérie » ont décidé de quitter un pays auquel ils étaient aussi charnellement attachés. Lorsqu’on leur pose cette question, en France, ils évoquent presque toujours la peur, alimentée par le climat de violence générale qui régnait en Algérie dans les derniers mois de la guerre — avec, mis en exergue, trois faits dramatiques de 1962 : la fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars à Alger ; le massacre du 5 juillet à Oran ; et les enlèvements d’Européens (lire « Trois événements traumatisants »).
« Le déchaînement de violence, fin 1961 - début 1962, venait essentiellement de l’OAS, rectifie André Bouhana. A cause de l’OAS, un fossé de haine a été creusé entre Arabes et Européens, qui n’aurait pas existé sinon. » Et tous d’insister plutôt sur l’extrême modération avec laquelle le FLN a répondu aux assassinats de l’OAS. « A Arzew, se souvient Germaine Ripoll, l’OAS était présente, mais les Algériens n’ont jamais menacé aucun Français. » Quant aux enlèvements (deux mille deux cents Européens disparus entre 1954 et 1962, sur une population d’un million), un certain nombre d’entre eux étaient « ciblés ». « Dans mon village, affirme Jean-Bernard Vialin, seuls les activistes de l’OAS ont été enlevés. »
« Les Européens ont eu très peur, analyse Stora. Mais peur de quoi ? Peur surtout des représailles aveugles, d’autant que les pieds-noirs savaient, et savent toujours, que le rapport entre leurs morts et ceux des Algériens était d’au moins un pour dix  (7) ! Quand l’OAS est venue, un grand nombre d’entre eux l’a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l’OAS. Pourtant, une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens. »
« Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés »
Mais, si la raison véritable de cet exode massif n’était pas le risque encouru pour leur vie et leurs biens, qu’y a-t-il eu d’autre ? Chez Jean-Bernard Vialin, la réponse fuse : « La grande majorité des pieds-noirs a quitté l’Algérie non parce qu’elle était directement menacée, mais parce qu’elle ne supportait pas la perspective de vivre à égalité avec les Algériens ! » Marie-France Grangaud, fille de la bourgeoisie protestante algéroise (d’avant 1962), devenue ensuite directrice de la section sociale à l’Office national algérien des statistiques, tient des propos plus modérés, mais qui vont dans le même sens : « Peut-être que l’idée d’être commandés par des Arabes faisait peur à ces pieds-noirs. Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés. Et puis, surtout, nous n’avions aucun rapport normal avec les musulmans. Ils étaient là, autour de nous, mais en tant que simple décor. Ce sentiment de supériorité était une évidence. Au fond, c’est ça la colonisation. Moi-même, j’ai dû faire des efforts pour me débarrasser de ce regard... »
Entre 1992 et 1993, la chercheuse Hélène Bracco a parcouru l’Algérie à la recherche de pieds-noirs encore vivants. Elle a recueilli une soixantaine de témoignages, dont elle a fait un livre, L’Autre Face : « Européens » en Algérie indépendante (8). Pour cette chercheuse, « la vraie raison du départ vers la France se trouve dans leur incapacité à effectuer une réversion mentale. Les Européens d’Algérie, quels qu’ils soient, même ceux situés au plus bas de l’échelle sociale, se sentaient supérieurs aux plus élevés des musulmans. Pour rester, il fallait être capable, du jour au lendemain, de partager toutes choses avec des gens qu’ils avaient l’habitude de commander ou de mépriser ».
La réalité offre des cas parfois surprenants. Certains des pieds-noirs rencontrés en Algérie tiennent encore des propos colonialistes et racistes. S’ils sont encore là, c’est autant pour protéger leurs biens (appartements, immeubles, entreprises) que parce que « l’Algérie, c’est [leur] pays ».
Conséquence logique de ces différences de mentalité : la plupart des pieds-noirs demeurés au sud de la Méditerranée n’ont que très peu de contacts avec ceux de France. « En 1979, à la naissance de ma fille, dont la mère est algérienne, je suis allé en France, se souvient Jean-Bernard Vialin. Dans ma propre famille, on m’a lancé : “Quoi ! Tu vas nous obliger à bercer une petite Arabe ?” » Lorsqu’il est en France, Guy Bonifacio évite de rencontrer certains rapatriés : « Ils nous considèrent comme des collabos, constate-t-il avec un soupir. Combien de fois ai-je entendu : “Comment tu peux vivre avec ces gens-là, ce sont des sauvages !” » Néanmoins, Marie-France Grangaud amorce un sourire : « Depuis quelques années, de nombreux pieds-noirs reviennent en Algérie sur les traces de leur passé. L’été dernier, l’un d’eux, que je connaissais, m’a dit en repartant : “Si j’avais su, je serais peut-être resté.” »
 

Aurel Dessinateur.
Pierre Daum Journaliste.
 (1) L’origine de l’expression « pieds-noirs » continue d’être l’objet de nombreuses hypothèses. Apparu très tardivement — quasiment au moment du rapatriement des Français d’Algérie —, ce mot désigne les Européens (y compris les juifs naturalisés par le décret Crémieux en 1870) nés en Algérie avant 1962. Par extension, certains l’utilisent en parlant des Français nés en Tunisie et au Maroc avant l’indépendance de ces deux pays.
(2) Apparue en 1961, l’Organisation armée secrète (OAS) regroupait les partisans de l’Algérie française les plus extrémistes. Posant des bombes et assassinant en pleine rue des musulmans et des Français modérés, l’OAS a joui du soutien d’une majorité de pieds-noirs.
(3) Cf. Bruno Etienne, Les Problèmes juridiques des minorités européennes au Maghreb, Editions du CNRS, Paris, 1968, p. 236 et suivantes.
(4) On trouve un nouvel exemple de cette vision mythifiée de l’histoire dans le long documentaire de Gilles Perez, Les Pieds-Noirs. Histoire d’une blessure, diffusé sur France 3 en novembre 2006, et largement rediffusé par la suite.
(5) Plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers, d’entre eux ont été massacrés sans pitié au moment de l’indépendance. Lire à ce sujet le tout récent ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2008. Lire également « Le hurlement des torturés », Le Monde diplomatique, août 1992.
(6) Parce qu’il occupe de hautes responsabilités au ministère de la culture, cet homme nous a demandé de masquer son identité.
(7) Sur la guerre d’Algérie, chaque chiffre fait l’objet d’importants débats. Pour avoir un ordre de grandeur, on peut cependant avancer, côté français : quinze mille soldats morts au combat (plus neuf mille par accident !), deux mille huit cents civils tués et deux mille deux cents disparus. Côté algérien : cent cinquante mille combattants tués par l’armée française (et plusieurs dizaines de milliers de victimes de purges internes), environ soixante mille civils morts, plus de treize mille civils disparus, entre quarante mille et cent vingt mille harkis tués, et un million de paysans déplacés. Cf. Guy Pervillé, « La guerre d’Algérie : combien de morts ? », dans Mohammed Harbi et Benjamin Stora (sous la dir. de), La Guerre d’Algérie, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 477 et suivantes.
(8) Paris-Méditerranée, Paris, 1999.
 

Dans la foulée, ne manquèrent pas les réactions de quelques uns de nos membres fondateurs, mais pas qu'eux, qui par des arguments étayés firent le pendant des thèses éculées de P. Daum ne pouvant que leurrer un public non initié aux complexités et subtilités de la guerre d'Algérie que certains, de la sorte avec ce type de "reportage", se plaisent à entretenir en autant de "guerre des mémoires". 
Mais à quelles fins? 
Pour à tout prix (et il fut cher payé) faire croire que la fin fut heureuse, justifiait tous les moyens et ainsi défausser de leurs lourdes responsabilités ceux qui feignirent d'y croire même au prix des reniements et du mensonge???




Eveline Caduc, écrivain, universitaire:


Lettre ouverte au Monde Diplomatique

 

 

Quel est l’impératif qui peut obliger un lecteur à réagir par un écrit – dont il sait qu'au mieux il se retrouvera tronqué dans un vague « courrier des lecteurs » – à un article paru dans un journal considéré comme une référence dans son domaine ? Je ne parviens pas à trouver de réponse à cette question. Je vous écris donc simplement pour vous dire ceci: ce n'est pas avec l'article signé par vos envoyés spéciaux Pierre Daum et Aurel « Sans valise ni cercueil, les  pieds-noirs restés en Algérie » - où se retrouvent presque toutes les formes de ce que les sémioticiens appellent l'écriture oblique (jeux de l'implicite et de l'ironie) - que vous ferez avancer l'indispensable travail de réconciliation entre la France et l’Algérie.

Cet article, paru en page centrale du Monde diplomatique de mai 2008, plaira sans doute à ceux qui ont toujours pensé que la «blessure» des  Pieds-Noirs n'était qu'un juste retour des choses et que leur peur, en 1962, était largement fantasmée. «Orienté», «intellectuellement malhonnête», ou simplement «naïf» ou «maladroit », je vous laisse choisir le jugement que pourront porter les autres.

 

Voici les non-dits, les sous-entendus et quelques-unes des imprécisions qui expliquent cette impression après une lecture attentive de « Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie ».

 

Reprenant le constat de Benjamin Stora, votre article recense 200 000 Pieds-Noirs présents en Algérie en 1963. Je puis en effet témoigner qu'au moins à Annaba (anciennement Bône) un commissaire de police et une directrice d'école, exerçant tous deux en « quartier arabe » (comme on disait du temps de l’état français), s’y trouvaient encore cette année-là. Avant juillet 62 ils avaient en effet reçu des futurs responsables algériens une demande d’aide à la formation de leurs successeurs ainsi que des assurances quant à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens dans l’Algérie nouvelle. Mais, dans le même temps, ils s‘étaient vu conseiller de ne pas être présents au pays au moment de l'indépendance. C'était donc bien la preuve que ces responsables prévoyaient et redoutaient des débordements sanglants et des actes de vengeance aveugle lors des fêtes qui suivraient. Comme ce fut le cas, particulièrement horrible, le 5 juillet et les jours suivants à Oran. Le commissaire de police, qui rejoindra définitivement ses enfants en France en 1964, et la directrice d'école, qui le fera en 1967, font donc bien partie, en 1963, de ces 200 000 Pieds-Noirs recensés. Mais ils n'étaient pas présents en Algérie à la fin de la guerre, contrairement à ce que laisse entendre le sous-titre résumant votre article. Ils faisaient donc partie des « privilégiés » qui pouvaient partir d’Algérie puis y revenir à la fin de l’été en raison de leur utilité pour le jeune état.

Mais quelles garanties pouvaient avoir tous ceux qui n'avaient que trop entendu ou lu, inscrite sur les murs après le 19 mars 62, la sinistre formule « la valise ou le cercueil » qu’il est facile a posteriori d’appeler « provocation »? Tous ceux qui exerçaient de petits emplois – commerçant, transporteur routier, pêcheur, cultivateur ou menuisier - ou qui n'avaient pour tout bien au soleil qu’une boutique, un atelier ou une camionnette, une terre ou un appartement soudain clairement devenus objets de convoitise ? Quelles garanties pouvaient encore avoir tous ceux qui, dans les déchaînements de violence - entre l'OAS et le FLN ou entre les éléments incontrôlés du FLN et ceux de l’OAS - avaient appris qu’un des leurs avait été enlevé on ne savait où, qu’il avait disparu ? Quelles garanties pouvaient encore avoir tous ceux qui apprendraient une autre disparition dans l’horreur d’un jour d‘été à Oran alors même que l’Algérie était devenue indépendante? Comment ne pas perdre toute confiance en un avenir possible dans leur pays, même s’ils ne l’avaient jamais quitté et qu’ils n’en connaissaient aucun autre ?

Or dans l’exode massif et sans espoir de retour de ces familles serrées autour de baluchons sur le pont d’un bateau, votre article cherche une autre raison que « le risque encouru pour leur vie et leur bien ». Et aucun conditionnel ne vient atténuer votre étonnement : « Finalement, on en vient à se demander pourquoi tant de « Français d’Algérie » ont décidé de quitter un pays auquel ils étaient aussi charnellement attachés » . Et la réponse que vous proposez, en rassemblant différents entretiens, est une sorte de racisme atavique étrangement perceptible encore chez certains Pieds-Noirs restés en Algérie. Même si vous prenez la précaution de dire que « la réalité offre des cas parfois surprenants », votre argumentation n’est guère convaincante !

 

En revanche, tous les Pieds-Noirs devenus Pieds-Verts[1] que vous avez interrogés en Algérie donnent à entendre qu’ils sont restés parce qu’ils s'étaient toujours bien entendus auparavant avec les « musulmans ». Ce qu’auraient pu dire aussi nombre de ceux qui sont partis. Mais certains de ceux qui sont restés précisent comment, d’une façon ou d’une autre, ils ont aussi manifesté leur refus de l’injustice sociale caractérisée dont étaient victimes les Arabes et les Berbères sous l'État colonial. Et de fait, certains de vos interlocuteurs semblent avoir réussi leur projet de vie au pays. Il en est cependant beaucoup d'autres qui, ayant toujours témoigné de la même sensibilité, ont été obligés de partir parce qu'ils contestaient les décisions gouvernementales contraires à leurs droits de citoyens ou qu'ils revendiquaient la liberté d'expression que le pouvoir leur refusait. En particulier les intellectuels qui, alors même qu'ils avaient pris la nationalité algérienne dès l’indépendance, ont dû quitter le pays au début des «années noires » sur les conseils pressants de leurs amis algériens inquiets devant les menaces ciblées dont ils étaient l’objet.

 

Mais finissons comme vous avez commencé: avec ceux qui sont encore maintenant en Algérie et qui disent avoir fait le bon choix en y restant puisqu’en ayant conservé leur environnement naturel - maison et relations de voisinage - ils ont l’assurance d’échapper à l’isolement d’une maison de retraite. Dans ses dernières lignes, votre article semble les opposer aux Pieds-Noirs vieillissants qui, le temps d'un voyage, reviennent « au pays » dont tous les habitants - ou presque - leur disent « soyez les bienvenus ! ». Et qui, un moment, doutent de leur choix en pensant à la maison de retraite où ils risquent, en France, de finir leurs jours dans la solitude, alors que les maisons de retraite étaient quasiment inconnues dans leur Algérie … comme elles le sont encore dans l’Algérie actuelle!

Alors? L’Algérie comme substitut d’une maison de retraite pour quelques centaines de Pieds-Noirs, citoyens muets ayant survécu aux « années noires »? Qu’en pensent les jeunes Algériens qui, aujourd’hui encore, ne parviennent pas à y construire leur projet de vie[2]?

 

Éveline Caduc.

universitaire, abonnée au journal Le Monde.

auteur de La Maison des chacals,

 roman historique sur l’après guerre d’Algérie

éditions du Rocher , 2006.

membre de l’association Coup de soleil

membre du mouvement D’Algérie-Djézaïr

Site internet :  « Mémoires d’Algérie"
 
http://www.djezaweb.com/Documents/documents.htm

 



[1] D’origine aussi étrange et presqu’aussi récente que le terme Pieds-Noirs, le mot Pieds-Verts désigne les Pieds-Noirs qui, ayant choisi de rester en Algérie après l’indépendance, ont demandé et obtenu la nationalité algérienne.

[2]  cf "Harragas ", un avenir tout prix "
article de Florence Beaugé
Le Monde édition date du Samedi 17 mai 2008



Jean-Jacques Jordi, historien:


Jean Jacques Jordi

Historien                     

22 Mai 08

 

 

Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie est le titre d’un long article de Pierre Daum qui défend l’idée que les Pieds-Noirs seraient partis d’Algérie en 1962 par choix et non obligés par la violence de cette fin de guerre. Le journaliste s’appuie en cela sur les Pieds-Noirs restés en Algérie à l’été 1962, et je crois même qu’il a repris dans l’encart intitulé Combien sont-ils ? les chiffres que je donnais dans mon ouvrage de l’Exode à l’exil paru chez L’Harmattan en 1994. Et pourtant, que d’erreurs d’appréciation dans cet article qui ressemble davantage à une sorte de plaidoyer vaguement tiers-mondiste visant à accréditer la thèse des bons et des méchants et à faire l’économie des responsabilités des uns et des autres dans ce départ précipité.

S’appuyer sur des témoignages est désormais acquis pour l’historien mais à la condition de croiser ces témoignages avec d’autres et surtout avec les archives. Or, dans cet article, il y a une unanimité entre les témoins et les sources d’archives convoquées à cet effet, unanimité trop flagrante pour être vraie. De plus, les témoignages ne sont qu’une reconstruction et une ré-interprétation de ce qui s’est passé. Les faits de mémoire dont nous abreuve Pierre Daum, sans doute pour nous faire croire que son enquête est fiable, sont constitués comme des preuves et relèvent d’une construction du passé doublé d’une construction symbolique. En ce sens, sa démarche n’est pas éloignée de celle utilisée par les défenseurs actuels de l’Algérie française qui emploient exactement les mêmes arguments, mais renversés cette fois de l’autre bord ! Je ne vais pas argumenter sur les erreurs qui fourmillent dans cet article et je vais me borner à en repérer les plus flagrants.

 

Que Pierre Daum le veuille ou non, « la valise ou le cercueil » est une réalité et cela très tôt dans les campagnes puis dans les villes. Laisser dire que personne n’était menacée, sauf les membres de l’OAS – Pierre Daum sait-il que l’OAS a été créée en avril 1961 et que la folie sanglante des membres de cette association terroriste ne débute qu’à partir de l’extrême fin de 1961 et se poursuit jusqu’en juin 1962- sans dire que la terreur est une volonté politique du FLN maintes fois affirmée est un mensonge par omission. La caractéristique la plus marquante de la révolution algérienne est l’usage de la terreur, et cela est reconnu autant par des observateurs contemporains que par des historiens des deux côtés de la Méditerranée (Mouloud Feraoun la rapporte dans son journal et cela a été confirmé par C.-R. Ageron et bien d’autres). Comment ne pas se rappeler la déclaration du Cheikh Ibrahimi du 7 juin 1955 (avant l’attaque, le 20 août 1955, d’une trentaine de villes et villages du Nord-Constantinois par des milliers de fellahs encadrés par des moudjahidines) qui interdisait la torture, la mutilation, le meurtre des femmes, vieillards et enfants ainsi que l’incendie des récoltes et l’abattage des animaux domestiques (radio du Caire). S’il proscrivait ces pratiques c’est bien qu’elles avaient cours. Comment ne pas rappeler le tract d’Abane et de Ben M’Hidi annonçant en juin 1956 que pour chaque maquisard guillotiné, 100 français seront abattus sans distinction et que les groupes de choc de l’ALN reçurent l’ordre de descendre n’importe quel Européen de dix-huit à cinquante-quatre ans à partir du 20 juin suite, il est vrai à l’exécution de 2 indépendantistes musulmans par la France. Le docteur Tami M’djbeur rappelle dans son ouvrage édité à Alger en 1981, Face au mur ou le Journal d’un condamné à mort que le chef de l’ALN d’Oran avait donné l’ordre en 1956 à ses hommes d’abattre tout Européen se trouvant à leur portée, et le docteur Djamed-Eddine Bensalem, dans son livre paru à Alger en 1985, voyez nos armes, voyez nos médecins, raconte que les premiers exploits des fedayin de Sétif étaient d’abattre un Européen, n’importe quel Européen pourvu que ce soit un Européen. Dès septembre 1956. Si cette violence dans les grandes villes a baissé, suite à la bataille d’Alger, elle reprit dès juin 1958 et ne cessa jusqu’à la fin de 1962. Et cette terreur ne s’appliquait pas uniquement sur des Européens mais touchait aussi largement la population musulmane elle-même. Comment ne pas rappeler le tract d’Abane Ramdane de décembre 1955 où il est dit que chaque patriote a le devoir d’abattre son traître car la violence du FLN n’est pas uniquement dirigée vers le Français, vers le gaouri, mais aussi sévissait aussi à l’intérieur du FLN-ALN comme l’a montré Mohammed Harbi.

 

Et l’on pourrait poursuivre. Les derniers mois de la présence française en Algérie voient un terrorisme haineux se développer en Algérie, il est vrai avec la création de l’OAS, et l’escalade de la terreur se poursuit. Chacune des parties ajoute de la terreur à la terreur. A la mi-janvier 1962, le terrorisme OAS dépasse celui du FLN par le nombre d’attentats. La « riposte » ne se fait pas attendre : le terrorisme FLN culmine en février avec deux fois et demi plus d’attentats qu’en janvier 1957 puis régresse en mars et avril avant de repartir à la hausse en privilégiant beaucoup plus que par le passé les enlèvements et assassinats d’Européens. Pour le seul mois de janvier 1962, FLN et OAS ont fait 555 morts dont 220 Européens et près d’un millier de blessés dont 330 Européens ! Chaque jour qui passe apporte son lot d’exécutions, de mitraillages, d’assassinats…

 

Pierre Daum poursuit son raisonnement en nous signalant que trois événements traumatisants ont été les déclencheurs de cet exode : le 26 mars 1962 avec le massacre de la rue d’Isly dans lequel le FLN-ALN n’a rien à voir, le 5 juillet à Oran où en revanche sa responsabilité est engagée d’autant que les Algériens d’Oran savent très bien aujourd’hui, et ils le disent, que tout était préparé pour cette chasse aux gaouris. Enfin, écrire que l’on ne connaît pas le nombre exact de morts reste encore d’actualité mais laisser croire qu’il s’agit d’européens mais aussi d’Algériens est une erreur manifeste. Troisième événement : les enlèvements évalués à 3 700 par Pierre Daum qui conclut : cependant la portée traumatisante de ces trois événements doit être pondérée par le fait qu’ils ont concerné un nombre limité de pieds-noirs et que peu de rapatriés en ont eu connaissance avant leur départ. Le comble de la malhonnêteté intellectuelle semble avoir été atteint car ces trois événements ont été couverts largement par la presse (très peu par Le Monde il est vrai), largement connus par les Français d’Algérie et si plus de 4 000 personnes (en comptant les 3 événements traumatisants relevés par Pierre Daum) ont disparu ou sont mortes entre la signature des accords d’Evian et juillet 1962, ce chiffre rapporté à la population européenne, qui est en train de fuir la violence, est de 1 %. Sans doute est-ce peu mais rapportons ce chiffre aux 45 millions de Français de France et l’on aurait un total de 450 000 personnes disparues ou mortes. Auraient-elles pu passer inaperçues aux yeux des 44 550 000 français restants ? Je ne le crois pas. Enfin faire croire que les attentats et les enlèvements perpétrés par le FLN étaient ciblés (sur les membres de l’OAS) relèvent d’une méconnaissance historique quasi totale. Que fait Pierre Daum des attentats dans les bars, cafés, restaurants, dancings, écoles et ceux perpétrés dans les campagnes avnt la création de l’OAS ?

 

Et Pierre Daum voudrait nous faire croire que ceux qui sont partis n’y ont pas été obligés ! C’est une sorte de malhonnêteté intellectuelle que justement les historiens doivent dénoncer pour que ne se rejoue pas indéfiniment la guerre des mémoires et l’incompréhension réciproque. La « convocation » de Benjamin Stora à l’appui de la thèse de Pierre Daum n’est pas non plus convaincante. S’il est vrai que les rapatriés ont toujours cherché à faire reconnaître, et non à faire croire (ce qui laisse planer un soupçon sur la réalité de ce qu’ils peuvent dire), que leur départ précipité était dû au climat de terreur, beaucoup ont souligné que cette terreur n’était pas le fait de musulmans qu’ils connaissaient et côtoyaient mais « d’étrangers » au village ou au quartier. Enfin, s’il est vrai que la terreur (FLN comme OAS) n’est pas la seule raison du départ, je ne peux pas laisser Benjamin Stora dire que cela ne correspond que très partiellement à la réalité. Et cela m’étonne car Benjamin Stora a lui-même dénoncé cette terreur FLN (je parle bien évidemment des attentats et représailles contre des civils) contre les Européens dans ses ouvrages. Y compris ceux visant les juifs d’Algérie dont un témoin nous assure, presque angéliquement, que la situation concernant les juifs n’a changé qu’à partir du moment où les autorités ont confisqué la synagogue pour en faire une mosquée… Nous connaissons tous l’appel de Tunis mais il fallait rappeler que l’indépendance nationale passait en premier par la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. Certes, il était aussi précisé le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession. Comment ne pas voir une antinomie entre les deux principes sauf à vouloir renouer avec le statut sans doute modernisé de « dhimmi » (la plate-forme du Congrès de la Soummam (août 1956) distingua en effet les minorités européennes et juive) ! Enfin, la revendication des juifs algériens comme des Algériens à part entière fut très vite démentie par un terrorisme anti-juif visant les lieux publics, les synagogues, les rabbins comme l’ont démontré Richard Ayoun mais aussi Benjamin Stora !

 

Et par rapport aux Européens, le programme de Tripoli (décembre 1959-janvier 1960) prévoyait de les encourager à partir. Mohammed Harbi écrit : Le FLN, à la suite du MTLD a intégré la religion à son système d’autorité. Ses conceptions sur la guerre comme djihad, sa tendance à voir dans l’opposition une déviation et une hérésie, son évaluation de la représentativité à partir du consensus, son approche du problème des minorités, enfin sa pratique de l’épuration comme élimination de l’impur, sont toutes empruntées à la tradition (Le FLN, mirage et réalités, des origines à la prise du pouvoir, 1980, p.305).

L’historien Guy Pervillé peut conclure : En dépit des dénégations, les faits portent à croire que l’expulsion des « pieds-noirs » et l’appropriation de leurs biens comme « butin de guerre » fut le principal but inavoué de la Révolution algérienne (Ahmed Ben Bella reconnaissant qu’il ne pouvait concevoir une Algérie avec 1 500 000 (sic) pieds-noirs, et Ben Khedda glorifiait la Révolution qui a réussi à déloger du territoire national un million d’européens, seigneurs du pays).

 

 

Enfin, comment Pierre Daum fait-il pour passer de 200 000 pieds-noirs à 300 aujourd’hui ? Ne sait-il pas qu’à la fin de 1963, il ne restait plus que 30 000 pieds-noirs en Algérie ? Ceux  qui sont partis ont, comme ils le disent, tenté leur chance, espéré que ça se passe mieux mais en vain ! Ou alors s’agissait-il que des vieux, abandonnés, par leur « méchante » famille ? Mais où sont les enfants des personnes interrogées et qui doivent avoir la quarantaine ? Et quant à la citoyenneté algérienne, Pierre Daum ne dit pas les difficultés qu’ont ces Algériens d’origine européenne à l’obtenir ainsi que son viatique, la carte nationale d’identité algérienne… d’autant que le code de la nationalité algérienne de 1963 précisait que pour être Algérien, il fallait, non pas prouver son attachement à cette terre, ou son attachement à l’idéal d’un engagement pour l’indépendance, mais avoir un grand-parent musulman !

Enfin, qu’il me soit permis de revenir sur le témoignage de ce jeune garçon qui, à 12 ans, bien qu’habitant Ouled Fayet, se promenait en janvier 1962 à El-Biar (quartier d’Alger), au moment d’un très fort terrorisme OAS comme FLN (ses parents étaient alors bien inconscients !), et qui voit deux Français buvant l’anisette à une terrasse de café. Un Algérien passe… l’un des deux se lève, l’assassine froidement et revient bien sûr finir son anisette…Je dois dire que c’est le témoignage que j’ai entendu des dizaines de fois, mais en des lieux différents, à Bab el-Oued, à Saint-Eugène, mais aussi à Bône, à Oran, à Mers el-Kébir… Une sorte de film comme l’Algérie de 1830 à 1962 est capable de les fabriquer.

 

En conclusion, nous avons avec cet article un très bel exemple de méconnaissance historique… à moins qu’il s’agisse d’un très bel exemple de désinformation avec la volonté de tordre les faits pour qu’ils correspondent à l’idéologie défendue par l’auteur. Si je suis conscient qu’il faut « décoloniser » les esprits, il faut aussi les « détiers-mondiser ». Oui, je crois que le retour à l’histoire reste le seul moyen de « combattre » les mémoires partisanes et de les apaiser. Cet article les ravive au contraire. 


Jean-Pierre Lledo, cinéaste:

Un énigmatique et faux  « reportage »

 

Point de vue de Jean-Pierre Lledo

sur le « reportage » de Pierre Daum

paru dans le Monde diplomatique de Mai 2008

« Sans valise ni cercueil, les Pieds Noirs restés en Algérie »

Jean-Pierre Lledo

 

 

Chercher les raisons du départ des PN, chez les PN qui sont…… restés, apparait d’emblée comme une curieuse démarche ! Comme il nous dit qu’il n’en resterait que 300, et qu’on suppose qu’il n’a pu tous les consulter, c’est à partir d’une dizaine ou d’une vingtaine de témoignages que P.D s’autorise à un diagnostic définitif, sans nuance. Il est vrai qu’il se met sous l’autorité de 2 historiens, qualifiés l’un  comme « un des meilleurs historiens de l’Algérie », B. Stora, pour le nommer, et l’autre comme  « un des historiens algériens les plus reconnus de cette période », pour ne pas le nommer, puisqu’il a demandé à ne pas se faire…… connaitre.

P.D s’est-il aperçu qu’exclure des historiens qui même s’ils ne sont pas des « professeurs d’université », même s’ils ne sont pas aussi « reconnus » ou « meilleurs », n’en ont pas moins étudié le sujet, rendait suspect son « reportage » ?

S’est-il seulement aperçu qu’il se portait lui-même le coup de grâce, en ne désignant que par ses initiales un historien « reconnu » ? Si « un des historiens les plus reconnus », ne peut se faire connaître afin d’assumer publiquement une appréciation qui pourtant ne bouscule en rien l’histoire officielle, bien qu’appartenant à la majorité d’origine arabo-musulmane, quoi en déduire pour les simples citoyens d’origine non-musulmane, dits « européens », 300 nous dit-il, qui vivent au sein d’une population de plus de 30 millions de musulmans, dans un pays où la Constitution, le Président de la République, et la Nationalité ont une assise religieuse ?

1 - Thèse et Argumentation  de P.D

Il s’appuie sur les propos de B. Stora : « Depuis qu’ils sont rentrés en France (sic !), les rapatriés (resic) ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité. »

L’historien n’en est pas moins catégorique : l’OAS a « commis des exactions » contre les Algériens musulmans et poursuit-il « les Européens, dont un grand nombre de PN ont plébiscité l’OAS, ont eu très peur des représailles…  Une peur d’autant plus ravageuse qu’ « une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance mais un grand étonnement au moment du départ des Européens »…

Mais la peur, même si elle est irrationnelle, peut du moins avoir eu quelques fondements objectifs. Aussi, P.D s’empresse-t-il de parer à l’objection : le départ des PN, n’est pas imputable à une fin de guerre, ni même à un après-guerre difficiles. Cette fois, c’est l’historien algérien, celui qui a demandé l’anonymat, qui nous l’assure : « il ne s’est plus tiré un seul coup de feu après le mois d’Août 62 ! »

Alors diantre, s’il est difficile d’imaginer 800 000 personnes cédant à un délire collectif de persécution, abandonnant tout en quelques mois, semaines, jours, heures des fois, de quoi s’est-il agi ? Le diagnostic pouvant paraître délicat, voir même quelque peu délictueux, P.D s’est une nouvelle fois courageusement placé sous le contrôle d’une autre autorité scientifique, la « chercheuse » Hélène Branco cette fois.

« Ces gens, dit-elle, avaient l’habitude de commander et de mépriser ». Tel une sorte d’Organisme Génétiquement Modifié par le racisme, l’homoPied-Noirus était donc, insiste-t-elle, « incapable de toute réversion mentale » !!!

Que Branco et Daum fraient avec des visions que je n’ose même pas qualifier, n’est en fait que l’affaire du Monde Diplo. Mais que la Ligue des Droits de l’Homme fournisse aujourd’hui une tribune à une telle idéologie, voilà qui en devient inquiétant.

Assuré d’une caution scientifique, on l’a vu exemplaire, P.D va pouvoir à présent appeler à la barre les témoins, mais jamais pour s’enquérir auprès d’eux si l’insécurité aurait eu quelque fondement objectif. Cette question, somme toute mineure, il  préfère la botter tout simplement dans la touche de 2 encadrés.

2 – Deux encadrés « informatifs ».

Là sont relégués les chiffres, comme s’ils n’avaient rien à voir avec les raisons du départ.

« Trois événements traumatisants » est le 1er encadré.

Sont appelés ainsi :

-         la manifestation à Alger du 26 Mars 62 où périssent plus d’une soixantaine de civils Européens désarmés, de sexes et âges divers (et non « 46 »). Mais après avoir dit qu’un coup de feu est tiré les soldats, insinuant que ce qui suit n’est que légitime défense, P.D s’empresse de préciser que c’est l’armée française qui tire. « Soulignons, dit-il, que les Algériens n’y furent pour rien, et que les manifestants étaient tous sympathisants OAS ».

Pourquoi ce « soulignons » ? ! Sinon pour justifier ou amoindrir le fait qu’on ait tiré sur des civils et des enfants ? Selon cette logique, faudrait-il donc aussi accepter que l’armée française ait tiré sur d’autres manifestants de Déc 60, des femmes et des enfants également, dans différentes villes d’Algérie, sous prétexte qu’ils seraient des sympathisants FLN ? Drôle de logique pour un invité de la LDH !

-         Les massacres de non-musulmans à Oran le 5 juillet 62, qui ont fait au moins 300 morts en quelques heures, événement sous le choc duquel sont toujours les Oranais, est, pour P.D, le second événement traumatisant.

« Un coup de feu, récidive-t-il, est tiré sur la foule qui fête l’indépendance. Pendant 5h, une chasse à l’Européen est organisée par des éléments incontrôlés de l’ALN. ». Comment P.D sait-il que ce sont des « éléments incontrôlés de l’ALN » ?! Et si c’était le cas, comment auraient-ils pu « s’organiser » comme il l’écrit ? Une organisation n’induit-elle pas une tête, des ordonnateurs, des relais, et des exécutants ? Un événement qui se produit simultanément dans plusieurs endroits, peut-il être anarchique, « incontrôlé » ?

Et si P.D n’avait pas négligé, bizarrement, le seul historien qui ait précisément écrit sur cet événement, Jean Monneret, il aurait pu lire à la page 274, de son premier livre « La phase finale de la guerre d’Algérie » le récit du lieutenant musulman de l’armée française Khellif fait à France Culture, obligeant (avec sa 4ème Compagnie du30e BPC) le nouveau Préfet, sur les escaliers de la Préfecture, à intervenir au près du chef FLN pour faire libérer « la colonne par trois ou quatre de femmes, d’enfants, de vieillards pieds-noirs, des centaines qui étaient gardés par la valeur d’une section du FLN et qu’on s’apprêtait à embarquer pour une destination inconnue » .

Enfin la moindre des malhonnêtetés du journaliste n’est-elle pas, lorsque pour minimiser la portée de cet événement, il rapporte le nombre de victimes à celui de la population totale d’Oran (400 000 ha)! Alors que s’agissant d’une chasse au faciès, elle ne concernait que la population qui restait encore à Oran, soit tout au plus 50 000 Européens, et il est vrai aussi quelques musulmans qui avaient le « look espagnol », comme dirait Tchi Tchi, mon personnage…

-         Enfin 3ème et dernier « événement traumatisant » : les Européens sont victimes d’enlèvements. 3700, durant le printemps 62, et sur l’ensemble du territoire, nous dit P.D. Quand, selon un témoignage au débat avec Harbi autour de mon film, un spectateur tint a témoigner que, Relizane, sa ville, se vida de ses habitants européens, après l’enlèvement de 6 personnes durant le mois de Mai, on peut imaginer l’effet que put avoir l’enlèvement de 3700 personnes sur l’ensemble du territoire algérien ! Car l’exode concerna bien toute l’Algérie, et non pas les seules villes où se manifesta l’OAS ! D’ailleurs  quand il affirme que ces enlèvements «plus ou moins ciblés » n’étaient qu’une « réponse aux assassinats aveugles perpétrés par l’OAS », P.D ne remarque même pas qu’il se contredit, puisqu’une ligne après, il signale que « de 1954 à 1961, (il y en eut) quelques centaines », c.a.d à une époque où l’OAS n’existe pas.

Les violences dont la population non-musulmane fut la cible se résumeraient-ils à ces seuls « 3 événements traumatisants »  de fin de guerre ? P.D ne va pas jusque-là. On ne le prendra pas si facilement en défaut de déontologie. Le terrorisme contre les civils non-musulmans commis depuis le 1er Nov 54, et les massacres d’Août 55 ? Il en parle…… dans une note de 3 petites lignes, écrite en caractères minuscules, au bas d’un « reportage » qui occupe 2 pages centrales de l’Hebdo !

Et alors que compte tenu du parti pris annoncé d’emblée - démentir l’explication de l’exode par l’insécurité - on se serait attendu à ce que la question du terrorisme contre les civils soit examinée avec soin, P.D se débarrasse de l’objection essentielle en 3 petites lignes en caractères minuscules d’une note de fin de page !!!

Et pourquoi pas l’inverse ? !

Le « reportage » en petites notes, au bas des pages, et dans le corps même du texte, des chiffres pour illustrer chacune des étapes de la démonstration ? Par exemple :

-         L’ALN s’en prend exclusivement à l’armée française et « partiellement »(selon notre meilleur historien) aux civils non-musulmans. La preuve : 5000 civils furent tués contre 10 000 soldats français tués au combat, soit faut-il le souligner, 2 fois moins.

-         L’ALN sait faire la différence entre la population indigène, nos frères, complices et dociles Juifs, ayant acceptés le statut de dhimmis depuis l’arrivée des Musulmans, et ces populations nouvellement arrivées, plein de morgue, dont la dénomination trahit mieux qu’une longue démonstration la richissime et scandaleuse origine de privilégiés : Pieds-Noirs ! La preuve par le dernier tome « Juifs d’Algérie, les trois exils », des œuvres incomplètes de notre historien de référence, page 139 :

« Dans les premiers mois de l’année 56, les agressions se multiplient, le samedi de préférence : contre le rabbin de Batna, en mai 56 ; contre les cafés juifs de Constantine, et en Juin 56, contre la synagogue d’Orléansville qui est incendiée. En Novembre de la même année, une bombe placée dans la maison d’Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, le tue ainsi que plusieurs membres de sa famille. ».

Ces preuves d’amour des premiers mois de l’année 56 sont suffisamment éloquentes pour que nous n’en rajoutions pas.

-         Malgré les sentiments inamicaux, et c’est peu dire, de la population coloniale vis-à-vis des colonisés, l’ALN choisit ses cibles essentielles parmi les très très très riches colons. La preuve : contrairement aux exagérations médisantes il y eut moins de 90 instituteurs assassinés durant toute la guerre, enseignant la plupart dans des quartiers pauvres et régions rurales isolées à dominante musulmane.

-         Malgré donc l’agressivité des populations colonisatrices judéo-chrétiennes durant 132 ans, et le million et demi de martyrs musulmans, il suffit que soit enfin conquis le droit légitime à disposer de soi, pour que plus « un seul coup de feu ne soit tiré à partir du mois d’Août » (dixit l’historien des Nouvelles Annales de l’Histoire algérienne dont, pour ne pas écorcher la modestie, nous respecterons la volonté de ne paraitre que sous des initiales). L’événement traumatisant d’Oran confirme totalement nos propos, puisque, faut-il le rappeler, Juillet vient avant Août.

-         Malgré un exode certes massif dû à l’affolement amplement justifié des centaines de milliers de petits-blancs qui ayant des tonnes de choses à se reprocher, furent bien heureux de n’être autorisés à prendre que 2 valises, on peut être étonné de la magnanimité des nouvelles autorités qui firent tout pour que le quart de Pieds Noirs ayant décidé de rester se soient pas obligés de se convertir à la nouvelle citoyenneté. La preuve : le nouveau Code de la Nationalité précisait bien que seuls les musulmans étaient concernés.

-         Et les 30 000 Pieds Noirs toujours là, encore une année après, sont la preuve vivante, faut-il insister, qu’ils ne furent nullement concernés par les quelques dizaines d’enlèvements de l’année 62-63 qui ne concernèrent que les autres 170 000 Pieds-Noirs, toujours alourdis par les tonnes de choses à se reprocher dont leurs 800 000 congénères partis dans la précipitation et limités par la contrainte des 2 valises, furent bien heureux de se délester. Mais on est toujours rattrapés par l’Histoire !

 

Trêve de plaisanterie et revenons à la réalité………… du 2ème   encadré : « Combien sont-ils ? ».

 Alors qu’en exergue, nous avions appris, en très grosses lettres, que : « 200 000 PN avaient décidé de demeurer dans le nouvel Etat », le lecteur doit là aussi sortir du corps du reportage, pour apprendre dans cet encadré, qu’il n’en resterait aujourd’hui plus que………… 300 !

Pour quelles raisons sont quand même partis « 200 000 personnes qui avaient décidé de rester », qui n’avaient pas « plébiscité l’OAS», et qui de surcroît faisant montre d’une étonnante psycho-flexibilité, avaient même réussi leur « réversion mentale » ? La spécialité du journaliste primé,  étant apparemment d’esquiver les objections majeures, on ne le saura jamais. Ou presque. Car l’objection de l’insécurité est à nouveau pulvérisée. Même les intégristes islamistes, durant « la décennie noire », n’ont pas touché un seul cheveu des P.N. « Aucun Européen n’a été tué », a-t-il le front d’affirmer !

Pourquoi ce nouveau mensonge, alors que tout Alger a pleuré celui qui fut un de ses meilleurs libraires, Vincent, chrétien d’origine espagnole, parlant parfaitement arabe, assassiné en plein centre ville, Rue Didouche Mourad, ex-Michelet ? Puis quelques jours après, dans la même rue, quasiment en face, l’oculiste juif tunisien d’en face, Raymond Louzoum, bien connu car ayant joué dans presque tous les films algériens, et à qui on ne voulut jamais accorder la nationalité algérienne, alors qu’il avait opté pour l’Algérie juste après l’indépendance !

Puis quelques mois après, le Juif algérien de la grande famille des BelaIch d’El Biar, assassiné au Square Port Saïd, ex Bresson… Puis la Pied-Noire qui travaillait au Consulat français d’Alger pour payer des soins à son enfant. Tous assassinés à Alger.

Comment, Père Denis Gonzales, lui aurait caché l’assassinat à Oran de l’Evêque pied-noir Pierre Claverie, victime d’une bombe qui explose chez lui dès son retour de voyage ?

Ceci seulement, pour les gens connus… Car, il y eut aussi des anonymes assassinés sans publicité, comme je viens de l’apprendre récemment par quelqu’un qui fut son élève et que l’article de P.D a révolté : Lucien Marelle professeur de mathématiques à l’Ecole Normale d'Oran, assassiné en 1995 à plus de 80 ans, dans sa maison, à Aïn El Turk près d’Oran.

Avec un tel mensonge, P.D qu’a-t-il cherché ? Sinon à invalider une nouvelle fois l’argument d’insécurité pour les P-N, aujourd’hui comme hier durant cette nouvelle et terrible guerre qui a déjà fait plus de 200 000 morts (selon le Président Bouteflika).

Quoi qu’il en soit, si sur des événements encore proches, ce « journaliste » s’autorise de tels écarts avec la vérité, on peut imaginer ce qu’il croit pouvoir se permettre pour des périodes plus éloignées… ?

 

3 – Les Témoins.

Familiarisés avec les pratiques déontologiques du journaliste, peut-on imaginer que les témoins soient autre chose qu’un tremplin vers la fameuse thèse de P.D – Stora – Branco : Tout allait très bien. Juste un homopiednoirus psycho-rigide, raciste, atavique comme il respire… ?

Invités à se confier sans le filet des initiales, quelle autre alternative avaient-ils d’ailleurs : abonder dans le sens souhaité ou se taire ?

Familier du contexte historique, des lieux évoqués, et même d’une partie des témoins, je n’ai il est vrai pas eu à faire beaucoup d’efforts pour exercer mon sens critique.

Premiers témoins à la barre : le couple Serra.

Il confirme la 1ère partie de la thèse. La pagaille, c’est l’OAS : « La valise ou le cercueil, c’est pas vrai !». Que ce slogan fût celui non de l’OAS, mais du 1er parti nationaliste algérien, le PPA, dès les années 40, ni Serra, ni P.D ne doivent le savoir. Et les conseillers en histoire n’ont pas informé ce dernier.

Le second témoin, Vialin plante le décor : « On s’imagine mal à quel point le racisme régnait en Algérie… Les Européens habitaient en dur, et les Musulmans pataugeaient danss les gourbis. » Bref, « ce n’était pas l’Afrique du Sud mais presque». P.D aurait-il déjà oublié que dans les mêmes années, à deux pas de l’Arc de Triomphe, c’était pareil… pour les Musulmans du bidonville de Nanterre ?

Et comment surtout explique-t-il que dans le pays de l’apartheïd absolu, les racistes aient été capables de « réversion mentale », alors que là où c’était « presque », ils ne le furent pas ? Pour être logique avec lui-même, P.D n’aurait-il pas dû écrire que l’Algérie c’était encore « pire » que l’apartheïd  et non pas « presque »!

Pire apartheïd donc oblige, n’importe quel PN peut se trimballer son p’tit colt et quand ça lui chante, abattre son sale Arabe. « L’image (du meurtre) s’est gravée dans les yeux du jeune garçon » nous dit P.D. « Dans les yeux » ou « dans la mémoire…collective » ? Car Vialin ne donnant de la scène aucun détail qui puisse nous convaincre qu’il en a bien été un témoin oculaire, comment ne pas penser au fameux verre d’eau qu’un colon aurait refusé à un soldat, fait divers sans doute vrai une fois, mais que beaucoup de soldats ont par la suite repris à leur compte…

Qu’importe, l’essentiel, c’est que ceux qui, comme ses parents, « désiraient la vraie égalité » sont restés en Algérie. Et que « finalement il se sente algérien, avant tout ». P.D ne nous dira naturellement pas pourquoi les 199 700 PN qui depuis sont aussi partis, n’ont pu « finalement » se sentir algérien… A moins qu’eux aussi n’aient été rattrapés « finalement » par le racisme congénital de l’homopiednoirus…     

 

Le 3ème, André Bouahana, lui, « a grandi en Ville Nouvelle » un quartier musulman d’Oran, et parlait l’arabe. Ce témoin aurait-il pris P.D en défaut ? Non, rappelez-vous, « ce n’était pas l’apartheïd, mais presque »… Cet enfant du peuple - oui ça existe et P.D a dû quand même être drôlement secoué d’en rencontrer – marque sa différence de classe et il a raison : « Ce n’est pas comme ces Européens qui habitaient le centre-ville…. Donc a l’indépendance, pourquoi j’aurais eu peur ? ». P.D, ne nous dit pas si tous ceux qui sont partis habitaient « le centre ville »… Il ne nous dit pas non plus si ce témoin est resté en Ville Nouvelle jusqu’à la fin. Ce qui serait étonnant. Car les Européens même favorables à l’indépendance durent quitter les quartiers à dominante musulmane, sur l’incitation même de leurs amis. Il faut savoir par ex, que les voitures piégées qui explosent dans ce quartier, en Février 62 je crois, si elles ont bien été revendiquées par l’OAS, n’ont pu y être acheminées que par des Arabes, ce quartier étant interdit à tout Européen. Pour échapper à un « tueur isolé » ou au lynchage assuré, comment Bouhana aurait-il pu se déplacer autrement qu’encadré dans le moindre des déplacements par une escouade de musulmans armés ? Ignorant sans doute que Ville Nouvelle fut le QG de l’Etat major FLN-ALN, après les Accords d’Evian, ce genre de question ne vient même pas à l’esprit de P.D. Par contre, n’ignorant pas la réalité des massacres d’Européens, le 5 Juillet 62, pourquoi, se trouvant en face d’un témoin privilégié, le journaliste a-t-il refoulé sa curiosité ? A moins que, l’ayant au contraire satisfaite, il n’ait estimé qu’elle illustrait mal sa thèse de départ…

Car, pour vous donner un exemple entre dix de ce qui se passa dans ce quartier, voici les propos qu’un ami m’a fait il y a quelques mois. Compte tenu de ses fonctions, je ne peux en donner le nom, même pas les initiales, ce que P.D, comprendra aisément. Son récit autobiographique, celui d’un jeune qui grandit en Ville Nouvelle, venant d’être publié en Algérie, et s’achevant précisément le Jour de l’Indépendance, fait silence sur les massacres du 5 Juillet 62. Comme je lui en demande la raison, il m’avoue n’avoir pu parler des 2 terribles scènes de lynchage dont il fut le témoin ce jour-là. Puis après un silence, il me raconte un autre fait, plus facile à dire, mais me prévient-il, révoltant... 

Ce jour-là donc, le 5 Juillet 62, en Ville Nouvelle, il se trouve sur une terrasse où des jeunes démontent, nettoient, huilent et remontent des armes. Un jeune arrive et prend une arme de poing. On lui dit qu’elle est rouillée. Il la démonte, l’huile, le remonte et sort. Notre témoin, de la terrasse, le voit alors se diriger vers un Européen et le tuer à bout portant. Quelques minutes après, il revient et peut fièrement déclarer : « Voilà, vous avez vu, elle n’était pas rouillée. ».

Félix Collosi.

Il se trouve que je le connais. Et si Daum a fait avec les autres ce qu’il fait avec lui, on aura idée de sa pratique du journalisme ! Dans un petit paragraphe de 5 lignes, il y n’y a pas moins qu’ 1 mensonge et 2 silences.

F.C n’a jamais été dans les maquis mais dans les groupes armés communistes de la ville d’Alger, avec Iveton. Dans les maquis du FLN, de nombreux communistes furent assassinés, dont Georges Raffini, rédacteur à Alger Républicain qui se battit en Espagne contre Franco, aux côtés des Républicains.

F.C, a bien été en prison, mais même dans ce lieu propice à la fraternité, certains nationalistes prenaient plaisir, au moment des prières et notamment durant la période du ramadhan, à lui faire sentir ses handicaps d’Européen d’origine catholique et pire, non-croyant...

F.C a bien été ingénieur d’Etat dans les entreprises « nationales », mais à son retour d’études faites à l’étranger, et en représailles à son opposition au coup d’Etat de 1965, au sein de l’UNEA, on lui retira la nationalité algérienne. Et depuis, malgré ses multiples demandes, elle ne lui a jamais été restituée.

F.C. s’est-il auto-censuré ?  Ou est-ce Daum qui l’a censuré ?

 

Père Denis Gonzales.

Daum l’ayant crédité d’une « toujours très vive intelligence », on s’étonne qu’il ne lui ait accordé que 4 lignes, exactement 4 lignes ! Et qu’il ait manqué l’occasion de l’interroger sur une actualité qui fait la Une des journaux algériens et français la situation des Chrétiens en Algérie : du meurtre de Père Jacquier poignardé en plein jour dans une rue centrale d’Alger en 1976, aux 19 Mères et Pères chrétiens assassinés par le GIA, jusqu’au harcèlement que subissent aujourd’hui les Chrétiens, essentiellement d’origine berbéro-arabe. Le dernier en date étant cette jeune femme de Tiaret, Habiba K. contre laquelle le procureur vient de requérir la peine de trois ans de prison ferme pour avoir pratiqué « sans autorisation … un culte non musulman » !

Que le Père D.G ne puisse en parler publiquement, qui ne le comprendrait ? Par contre, et alors même que pour la 1ère fois  des centaines d’intellectuels algériens ont dénoncé par pétition cet état de fait, le silence du journaliste est plus que coupable. Scandaleux !

Il est vrai, qu’en parler aurait mis à mal la thèse de son article…  Et quand ne pouvant certes passer sous silence l’assassinat des 7 moines de Tibhérine (toujours en bas de page, dans une note en caractères minuscules comme vous l’avez déjà deviné), P.D. s’empresse aussitôt de préciser qu’il n’y eut aucun PN assassiné, que veut-il prouver ? Que les chrétiens PN, auraient eux bénéficié d’un traitement de faveur ? ! P.D est-il à ce point mal informé, ou plutôt a-t-il eu pour mission de désinformer ?

 

Prosper Chetrit.

Avec lui, au moins, on sait que la situation par rapport aux Juifs, s’est détériorée à Oran moins de 10 ans après l’indépendance, lorsqu’on a transformé la synagogue en mosquée.

Mais pourquoi P.D s’est-il arrêté en plein élan en se gardant de fouiller cette piste de la « détérioration » à l’endroit des Juifs ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la disparition de toutes les synagogues d’Algérie (celle de Constantine ayant été elle complètement rasée, et transformée en … parking) ?

Pourtant, pour parler des Juifs, P.D. n’avait que l’embarras du choix : 2 mois avant la sortie de son papier, en Février 2008, dans un quotidien arabophone Ech Chourouq, la Ministre de la Culture n’annonçait-elle pas une collaboration avec l’Espagne pour … déjudaïser la musique andalouse… ?

Justement, pourquoi n’a-t-il pas cru utile de rappeler, même avec une note en bas de page, que l’assassinat en Juin 61 du chanteur constantinois Raymond Leyris précipita le départ de milliers de Juifs de toutes les autres villes d’Algérie ? Et si notre « meilleur historien », constantinois de surcroit, mais très discret sur l’exode de sa famille, ne pouvait lui dire que le FLN signa cet attentat, pourquoi n’a-t-il pas cité tout simplement cet avocat algérois connu, à qui en Oct 2005 le Quotidien d’Oran offrit 2 pages entières pour justifier cet assassinat, sans recevoir, depuis, le moindre démenti du FLN historique ou du FLN actuel ?

Si P.D s’intéresse tellement aux P-N et aux Juifs engagés dans la lutte pour l’indépendance, pourquoi n’a-t-il pas évoqué ce que l’on fit de la mémoire de Ghenassia, ce communiste juif, infirmier dans l’ALN, sous les ordres du Cdt Azzedine, qui préféra mourir plutôt qu’abandonner ses blessés ? S’il l’avait voulu, P.D. n’aurait-il pu facilement apprendre que la « Rue Ghenassia », ainsi baptisée à Ténès, fut, quelques années seulement après l’indépendance, débaptisée en… « Rue de la Palestine » ? ! !

Mais on l’aura compris, le journaliste veille à être en phase avec sa démonstration plutôt qu’avec la réalité, avec les déclarations d’intention plutôt qu’avec leur mise en pratique.

« La plupart des PN de France semblent avoir complètement oublié que durant la guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s’adresser afin de les rassurer », écrit-il. Et de citer preuve à l’appui l’Appel du GPRA du 17 Fev 1960 « Aux Européens d’Algérie » :

« L’Algérie est le patrimoine de tous… Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent a reconnaître en vous des supercitoyens, par contre ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. ».

Qui aurait résisté à une telle prose ? Et on comprend que son témoin suivant, JP Grangaud, à l’époque, ait bu ces mots comme du petit lait, « avec délectation » comme il le dit.

Mais si ce témoin l’ignore, pourquoi P.D. n’a-t-il pas cité cette archive, que l’historien algérien Mohamed Harbi, bizarrement absent de son article, a révélé depuis plus de 20 ans, et où l’un des grands chefs du FLN-GPRA, Ben Tobbal harcelé par des militants furieux contre ce texte, les rassure à 3 reprises en leur répétant : « c’est purement tactique !».  Ajoutant même la 3ème fois pour les radoucir : « Il n’est pas question qu’après l’indépendance, il y ait des Juifs et des Européens, dans le gouvernement ».  Ces propos n’ont pas été des propos isolés. Ils ont été confirmés longtemps après l’indépendance :

« Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. », Réda Malek (négociateur des « Accords d’Evian » - Le Seuil, 1990)

« En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale », Ben Khedda, qui fut Président du GPRA (« La fin de la guerre d’Algérie », Casbah Ed. 1998)

Et effectivement le FLN qui dirigea le pays comme parti unique jusqu’en 1989, tint parole : il n’y eut jamais aucun non-musulman au gouvernement. Les éminents Professeurs de Médecine Jean-Paul Grangaud ou Pierre Chaulet ne furent jamais ministres. Pourtant ce dernier, collaborateur du Service information du GPRA à Tunis, fut membre de la direction du FLN pendant près de 30 ans.

JP Grangaud est certes depuis quelques années « conseiller du ministre ». Mais P.D se garde bien de dire que cette nomination est advenue pour l’extraire de l’hopital d’Aïn Taya où les intégristes le menaçaient de mort. Sans doute, parce que ça contredit sa thèse que les PN auraient été épargnés par le terrorisme islamiste.

Comment d’ailleurs, P.D, après avoir cité l’Appel du GPRA : « L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. », peut-il qualifier de simple « déception », un Code de la Nationalité adopté en 1963 qui en est la négation totale, puisque pour être « Algérien » automatiquement, il faut être musulman ? !!!

Comment, loin de s’en offusquer, cherche-t-il encore à en minimiser la conséquence (« c’était après le grand départ des P-N ») ? !!! Ce Code ne fut-il pas à l’origine du départ de la quasi-totalité des P-N qui s’étant engagés dans la lutte pour l’indépendance et avaient passé de nombreuses années en prison, en subirent violemment l’humiliation quand ce ne fut pas la double humiliation de se la voir refuser après l’avoir demandé ? ! Du départ aussi de ces milliers de petits entrepeneurs ou petits exploitants de moins de 10 ha, qui devenaient donc subitement des « étrangers », et dont on pouvait donc s’emparer des biens, dits par la loi « biens vacants », et ce faut-il le préciser en violation des Accords d’Evian signés 7 mois plus tôt ? Ne fut-il pas surtout un message clair aux centaines de milliers d’Européens partis dans la panique : « ne revenez pas ! » ?

Il va de soi, pareilles vétilles ne sauraient dévier P.D de la course vers sa découverte épistémologique décisive, rappelons-le : le racisme congénital de l’homopiednoirus. Mais avant d’en arriver là, il lui faut encore écarter la dernière objection possible : l’insécurité post-indépendance. Ce dont il s’acquitte grâce notamment à « l’un des historiens les plus reconnus », celui qui derrière le masque de ses initiales affirme : « Dès Aout 1962, plus un seul coup de feu n’a été tiré en Algérie ».

Quand l’on sait que c’est précisément durant ce mois d’Août que l’armée dite des frontières fit sa première grosse bataille… en écrasant les maquisards de la willaya 4, au prix d’un millier de morts au moins, dit-on, j’aimerais croire que P.D a tout simplement mal compris ou mal retranscrit. Car « des coups de feu », il y en eut encore, quelques mois plus tard avec le maquis kabyle d’Aït Ahmed, réduit de la même manière. Ce dernier épisode concerna au moins un Juif : Hadjadj, le boulanger d’Azzefoun. Devenu Maire après l’indépendance, après avoir ravitaillé en pain l’ALN, durant toute la guerre, il continua à faire pareil avec les résistants du FFS d’Aït Ahmed. Ce qui lui valut la prison. Libéré, il quitta l’Algérie. Comme son frère communiste, Georges, qui en 1957, dans les mains des paras, fut le compagnon d’infortune de Maurice Audin.

Les propos de Mme Grangaud, sont par contre plus réalistes  « Nous n’avons jamais senti le moindre esprit de revanche alors que presque chaque famille avait été touchée… ». La propagande nationaliste a en effet tellement identifié la population non-musulmane, appelée jusqu’à aujourd’hui « population coloniale », au système colonial lui-même avec ses forces de répression, que l’on peut comprendre son étonnement. Or, le fait est là, hier comme aujourd’hui, la grande majorité de la population n’a pas suivi cette propagande et tous les PN qui reviennent en Algérie, de plus en plus nombreux, sont magnifiquement accueillis.

Vétille encore, P.D, pressé de nous épater, mijote son meilleur coup pour la fin qui approche… Sauf que comme dans les mauvais policiers, le lecteur a tout compris depuis le début.

 

4 – Suspense

La devinette de P.D est donc la suivante. Suivez bien.

Si les P.N et les Juifs, n’ont été sérieusement menacés ni avant l’indépendance ni après, ni pour leurs biens, ni pour leurs personnes. Si donc, les 800 000 personnes qui sont parties n’ont fait que céder à une grosse peur, de quelle nature était cette peur ?

Il n’y a plus que 2 concurrents-témoins en lice.

Mme Grangaud, qui évoque « le sentiment de supériorité » de son propre milieu familial, dont elle a eu, nous dit-elle, du mal à se défaire ?

Et la chercheuse Hélène Bracco, qui en récoltant une soixantaine de témoignages de P-N demeurés, est arrivée à diagnostiquer pour l’ensemble des 800 000 partis un symptôme de psycho-rigidité irréversible et ce tient à nous le préciser P.D, après « avoir entre 92 et 93, parcouru l’Algérie à la recherche de pieds-noirs… encore vivants ».

« Des témoignages de Pieds Noirs encore vivants », vous avez bien lu. Ce nouveau lapsus résume somme toute assez bien la philosophie du journaliste : un bon PN, est un PN mort, ou en passe de l’être. Ce qu’avec son dessin principal d’illustration – une vieille dame tout rabougrie - le dessinateur Aurel a parfaitement pigé. Les deux ont bien retenu la leçon du Maître : « Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé » écrivait en 1960, l’existentialiste Jean-Paul Sartre (préface aux « Damnés de la terre » de Frantz Fanon. 1960.)

La Voix du Maître empêche toujours certains d’entendre le bon sens de l’anthropologue française et ancienne déportée des camps nazis, Germaine Tillon (sort auquel, on le sait, échappa le Maître):

« Que le colonialisme soit essentiellement un type de relation anormale, viciée, oppressive …. de tout cela j’en suis convaincue depuis longtemps… Mais c’est la relation qu’il faut redresser et non pas le cou des gens qu’il faut tordre… » (« A propos du vrai et du juste » Seuil).

Ou le bon sens de Camus (qui fut aussi un résistant anti-nazi, qualité qui, on le sait aussi, manqua au Maître) :

« Une grande, une éclatante réparation doit être faite, selon moi, au peuple arabe. Mais par la France tout entière et non avec le sang des Français d’Algérie » (« La bonne conscience », l’Express, 21 Oct 55).

 

Mais revenons à nos deux concurrentes. Qui remportera le gros lot ? Tic-tac de l’horloge pied-noire… Les derniers…

Mme Grangaud est facilement disqualifiée, car pour expliquer l’exode, « le sentiment de supériorité d’une Fille de la bourgeoisie algéroise», ne peut pas être un argument solide.

P.D ne s’est pas aperçu de la contradiction, mais quelques instants plus tôt, André Bouhana, l’enfant du peuple, qui « habitait avec les Musulmans, avait des copains arabes et parlait avec eux l’espagnol et l’arabe », nous avait déjà expliqué qu’il était l’opposé de ceux « du Centre-ville ». Et comme nous savons que l’écrasante majorité des P-N et des Juifs n’habitaient pas les beaux quartiers…

La Palme d’Or revient donc à la « chercheuse ». Triomphe sans gloire, car le journaliste pour arriver à ses tristes fins utilise deux procédés assez méprisables.

Il écarte soigneusement tous ceux qui, chercheurs ou pas, professeur des universités ou pas, ont honnêtement fait leur travail. Et pour ne citer que deux d’entre eux, Jeannine Verdès-Leroux, « Les Français d’Algérie de 1830 à nos jours ». (Paris, Fayard, 2001), qui nous donne 17O entretiens de PN répartis sur tout le territoire français, et Jean-Jacques Viala « Pieds-Noirs en Algérie après l’Indépendance ». (Paris, L’harmattan, 2001) qui interroge une vingtaine d’agriculteurs, médecins et membres de quelques autres professions, qui avaient choisi de vivre dans l’Algérie indépendante et durent partir progressivement, sous la pression des lois foncières de 1963 (nationalisation), ou suite à des brimades aussi violentes que diverses.

Et d’autre part, dans un pays où un Ministre peut sans la moindre sanction, se permettre publiquement des propos anti-sémites, où les Chrétiens, même ceux qui appartiennent à la majorité ethnique berbéro-arabe, sont quotidiennement harcelés, le journaliste jette dans l’arène des témoins dont certains sont quasi mutiques.

Ces témoins d’origine juive et chrétienne, n’étant « même pas une minorité, à peine quelques particules », comme le dit le peintre algérien Martinez dans un de mes films, peuvent-ils dire ce qu’ils pensent, tout ce qu’ils pensent, et non pas seulement ce qu’ils peuvent dire ?

Lorsque l’on n’est qu’un « dhimmi », la parole publique peut-elle échapper au Syndrôme de Stockolm ?

De quelle validité même peut se prévaloir une enquête qui ne se pose même pas ce genre de questions ?

A contrario, ce qui ne peut être qualifié que de faux reportage comment n’appellerait-il pas une autre série de questions ?

Pourquoi subitement, Pierre Daum et le Monde Diplomatique s’intéressent-ils tant à l’exode des Pieds-Noirs ? Qu’est ce qui dans l’actualité aurait bien pu le provoquer ? Pourquoi subitement éprouvent-ils le besoin de voler au secours de l’Etat algérien en reprenant l’argumentaire d’une histoire officielle de façon si grossière que l’exercice ressemblerait presque, comme dirait l’autre, à une commande… diplomatique ?

Entre un film interdit en Algérie depuis le mois de Juin 2007 pour avoir laissé des Algériens d’origine berbéro-musulmane répondre précisément à la question du débat organisé ce 26 Mai 2008 à Paris * : « de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? », et ce faux reportage, quel lien ?

L’étrange silence du journaliste à l’endroit d’un film qu’il réclama pourtant avec insistance en Novembre dernier, et visionna 3 mois avant la sortie française, n’est-il pas une stricte invitation à n’en voir naturellement aucun, car comme on l’écrit en tête de générique des films : toute relation avec des événements récents et réels……

Et dans ce silence n’y a-t-il pas en définitive toutes les réponses aux questions précédentes ?

 

*La Ligue des droits de l'Homme,  la section de Paris des Amis du Monde diplomatique et l'association Coup de soleil  organisent  le lundi 26 mai 2008, à l'Hôtel de Ville de Paris, une conférence-débat  animée par Georges Morin, président de Coup de soleil, avec Pierre Daum, Jean-Pierre Lledo, Mohammed Harbi, Gilles Manceron et Benjamin Stora,sur le thème : « Algérie 1962 : de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? »

 

Marie-Paule Lageix, conseillère en formation.

GRENOBLE 18/12/2008                                                                                                    

 

 Marie-Paule LAGEIX

 

A l’attention des envoyés spéciaux du monde diplomatique Pierre Daum (journaliste) et Aurel (dessinateur).

 

Dans votre article de Mai 2008 vous faites la restitution de votre enquête auprès de pieds noirs restés en Algérie après 1962 et qui s’y trouvent encore. Vous ouvrez la question du départ massif de ceux que vous nommez les rapatriés, puisque c’était le terme de l’époque pour des citoyens français qui dans la majorité des cas ne connaissaient pas « la patrie ».

 

Il est curieux que ce soit à partir des interviews de ceux qui sont restés que soient énoncés les raisons du départ de ceux qui sont partis.

 

Les témoignages des personnes que vous avez interviewées sont tout à fait respectables. Ce sont des récits de vie subjectifs et attachants qui viennent de loin. Ils font état du respect de ces pieds noirs restés en Algérie  vis-à-vis des arabes et des échanges loyaux qui les relient à eux dans leur environnement quotidien. Ce qui devient gênant dans l’écriture de l’article, c’est que  vous transformez la vision partielle des témoignages en explication des causes de pieds noirs en 1962.

Si cette question doit être ouverte, il conviendrait de faire des hypothèses et le cas échéant de les vérifier auprès de toutes les catégories d’acteurs concernés.

 

Il me semble dangereux, quand il s’agit d’une communauté de culture méditerranéenne attachée à l’honneur, de stigmatiser tout un groupe à partir d’éléments de témoignages et de le faire en évoquant la peur, l’habitude du commandement, et le mépris.

On peut s’étonner que le respect soit d’un côté, le mépris de l’autre. Pour tout dire il reste à la lecture de cet article une forme de stupeur de voir traiter avec autant de désinvolture un sujet aussi engageant émotionnellement pour beaucoup d’entre nous qui sommes partis. Cela frise la caricature et mériterait que vos hypothèses, appuyées sur des récits individuels, sur les raisons du départ, soient enrichies de quelques autres.

Certes, vous citez Benjamin Stora dans un ouvrage entier sur la guerre d’Algérie, qui y souligne à juste titre l’étonnement de la majorité des algériens du départ massif des pieds noirs en 1962, à cet étonnement je rajouterais également pour un petit nombre que je connaissais, la tristesse et l’inquiétude.

Dans une restitution d’enquête, faut-il rentrer dans le comptage des morts ? Un mort n’est-ce pas toujours un mort de trop ou alors il s’agit de créer une « échelle de Richter » de la guerre, ce qui peut se défendre mais alors comment relier cela aux récits subjectifs et à l’évocation des sentiments.

Faut-il faire la course au plus « victime » ? au point que pour vous les départs de pieds noirs ou pieds rouges de la décennie noire ne se justifierait pas puisque aucun d’eux n’a été tué, que les sept moines tués de Tibhirine n’étaient pas pieds noirs mais seulement là depuis les années 70.

Si ce n’était pas irrémédiablement tragique, votre manière de catégorisation des tués pourrait faire penser à du Courteline.

En écrivant aussi vite sur ce thème, vous participez à une culture de l’immédiateté. Le travail du souvenir est une longue compréhension des événements permettant à chacun de les repositionner dans leurs vies et leurs actions. Ces pieds noirs, pieds rouges ont un rôle à prendre dans la création d’un continuum apaisé entre les deux rives. Il n’est pas certain que les clivages profonds de l’histoire contemporaine de l’Algérie passent autant qu’on le dit  entre les communautés arabes et européennes.

On ne peut avoir que de la considération pour ceux si peu nombreux qui ont voulu participer au devenir de l’Algérie contemporaine. Partir, en même temps qu’une douleur, est  une  culpabilité d’avoir « abandonné » l’Algérie. Que savez vous vraiment du vécu profond de ceux qui sont partis et de leurs raisons ?

Je ne dispose pas d’outils sociologiques ou historiques, je peux seulement vous apporter le témoignage du départ de ma famille.

A Mila mon père adoptif était un « colon », lui il disait agriculteur. La gestion des terres était entièrement tournée vers le développement et je vous garantis que la vie quotidienne était sans luxe, ni fioriture. Je devais à mon statut d’enfant de manger de la viande ou du poisson certains soirs.

Ce colon construisait des logements pour les ouvriers agricoles et avait instauré le maintien du paiement du salaire pour les veuves, mesures pouvant être qualifiées de paternalistes mais qui amélioraient la vie d’une trentaine de familles. Ces pratiques  bien sûr n’étaient  majoritaires ni chez les propriétaires terriens français ni chez les propriétaires terriens arabes. Ce « colon » s’est battu contre une partie de sa propre communauté  pour l’abolition du droit indigène, pour l’égalité de traitement entre les deux populations, pendant la guerre, plus d’une fois il est allé chercher des arabes injustement emprisonnés par l’armée française.

Il n’a jamais payé ni l’impôt révolutionnaire du FLN, ni celui de l’OAS. Les blés étaient incendiés et il a échappé d’extrême justesse dans les champs à un attentat pour l’abattre à la mitraillette, fomenté par la direction extérieure du FLN.

Les algériens du constantinois qui eux le connaissaient et pour qui il n’était pas juste un « colon » étaient révoltés par cet attentat.

Il y a eu un moment de radicalisation dans la guerre ou l’on pouvait être tué à cause de son métier, de son appartenance à une communauté, de sa conduite positive avec les arabes et pas  uniquement pour sa conduite antérieure avec les arabes.

Ce « Colon », moi je préférerais dire cet algérien, écrivait et parlait l’arabe, ces amis appartenaient aux deux communautés, il lisait les philosophes arabes, admirait Camus et Ferras Abbas. Ce n’était pas un révolutionnaire mais un réformiste.

Une fois installé en France, cet homme, dès qu’il arrivait dans une ville, se précipitait dans le quartier ou vivaient les Arabes pour pouvoir parler sa langue et peut être rencontrer quelqu’un du constantinois,.

Cet homme n’est pas parti en 1963 parce qu’il avait peur. Il est parti parce qu’il ne voyait plus comment inscrire son projet et les valeurs auxquelles il était attaché dans l’Algérie d’après la prise de pouvoir par la partie la plus « révolutionnaire »de l’armée de libération.

Les Algériens lui ont proposé de devenir le maire de la ville de Mila et le gestionnaire de la propriété achetée par sa famille, pas à pas, depuis deux générations aussi bien à des propriétaires français, qu’à des propriétaires arabes. Il a eu du mal à refuser mais les « modérés », « les libéraux » algériens dans lesquels il se reconnaissait avaient été éliminés soit physiquement, soit des instances de décisions ou de pouvoirs.

Les deux réformes agraires, puis le choix de l’industrialisation massive au détriment de l’agriculture ne lui auraient pas laissé beaucoup de marge d’action. Dans son cas on peut se demander ce qu’aurait du être  la « reconversion mentale »qui lui aurait permis de rester. Témoignages pour témoignages, on pourrait parler aussi de ces Français, instituteurs ou médecins et autres subitement invités par  leurs amis  arabes et priés de rester dans la maison de leurs hôtes  toute la journée tandis que se déroulait  une journée d’élimination de Français programmée par le FLN, journée dont ils avaient eu connaissance mais dont ils ne pouvaient pas directement parler sans trahir leur communauté.

 

Il faut rajouter à vos « raisons de départ » que des pieds noirs sont partis, quoi qu’il leur en  ait coûté, par choix politique.

 

On pourra aussi se souvenir qu’une phrase tronquée, d’Albert Camus, dans son discours de réception du prix  Nobel, a fait le tour du monde et des mémoires. Il n’a pas dit qu’il préférait sa mère à la justice  mais « aujourd’hui, Alger est remplie d’attentats dans les rues, les bus, il se pourrait que ma mère se trouve dans ce bus. Entre cette justice-là et ma mère, je préfère ma mère. » La violence nécessaire est-elle justifiable ? et qu’a-t-elle engrangé pour le présent de cette terre algérienne?

 

Il est encore difficile de parler de l’Algérie de ceux qui sont partis, restés, revenus quelles que soient la période et la communauté d’origine. Dans cette parole les coupures, les simplifications, les ellipses sont problématiques. Alors écoutons-nous, avec prudence et attention, car  au-delà des mots un récit  commun est à forger pour aller vers l’apaisement des passions.. Nous avons un attachement excessif à ce pays, à ses habitants, à ses ressortissants et le souci de son devenir, cela nous donne des responsabilités. Les journalistes en ont aussi dans la retransmission des informations.

 

 

 

Marie-Paule LAGEIX

Elevée en Algérie pendant la guerre, travaille en formation d'adultes

et développe des pratiques d'expressions dramatiques pour différents publics.


Marie-Geneviève Freyssenet.



 

Texte en réponse à l’article de Pierre Daum

dans le Monde Diplomatique mai 2008.

« Sans valise ni cercueil, les Français restés en Algérie ».

 

Marie-Geneviève Freyssenet

Bône-Annaba. Paris

 

Considérons que ceux qui sont restés en Algérie ont leur raisons et que ceux qui sont partis en 1962 , et depuis, ont eu les leurs.

Alors donc, je m’exprimerai du point de vue d’une qui est partie. Et même qui est revenue plusieurs fois.

Je n’aurais aucun mal à suivre les propos cités  de Benjamin Stora selon laquelle la peur mise en avant par les rapatriés pour expliquer leur départ, ne correspond que partiellement à la vérité.  La plupart des raisons humaines sont multifactorielles. Ce serait un miracle méthodologique de trouver un comportement humain, de groupe qui plus est, qui n’aurait qu’une seule raison! La disparition de l’eau, ça peut faire.  Encore que,  j’aimerais savoir la source de la citation de Stora. Son livre «Les trois exils. Juifs d’Algérie» me semble faire état de raisons de la peur que je ne savais pas aussi amples, dans leur détail.

Le diagnostic de panique appliqué à autrui, a ceci d’ennuyeux  que c’est l’autre qui le fait, et que celui qui est dans l’angoisse a peine à s’en expliquer, si c’en est ou pas. Et donc parler de panique, ça devrait ouvrir une enquête et non la clore, comme cela semble fait dans l’article. Que l’enquête reste ouverte.

 

Bon,  à chacun ses artichauts. Chez mes parents et grands parents je n’ai pas enregistré de comportements qui après coup pourraient être dits  « de panique ». Je me souviens très bien d’un soir d’hiver 1954 où ma mère faisait quelques courses avec moi, à la sortie de l’école. Une amie lui a dit dans la rue : « on a tiré à… ». Ma mère a dit « ça recommence ». Elle n’a pas terminé  de faire ses courses. Elle a pris ma main dans un pli de son manteau. Elle est rentrée immédiatement à la maison , à 400 mètres de là,  en plein centre ville. Panique minimale.

Je me souviens aussi de ma cour d’école, classe de 7ème plutôt au jeune printemps 1955, sise dans « la vieille ville », ou « ville arabe ». La fille d’un lieutenant de para béret rouge explique que son père dit qu’après le Vietnam dont il revient,  c’est le tour de l’Algérie, et que ce sera pareil, on ne restera pas. C’est l’histoire.  Le jeu de marelle s’interrompt. Les copines musulmanes se taisent. On peut être très sérieux à 10ans et demi.

Ensuite plus de sept années à suivre les conversations des adultes et à poser quelques questions. 

La peur a été ambiante chez les "non musulmans" et a correspondu à des meurtres réels tout au long de la guerre bien sur, et en plus il y a eu les massacres et les exécutions du FLN à l'égard d'autres Algériens. Pour ce qui est de ma famille élargie et d’un certain nombre d’amis, dans le fait même d'une situation coloniale qui bascule,  qui devient un affrontement, on ne s'en étonne pas; on a vite compris. On est là-dedans. C'est la guerre de guérilla qui veut ça, paraît-il .Ce qu'on suit, c'est combien, si ça s'arrête, si ça repart, et qui tue qui, à quelle heure etc.. Même si on espère que ça va finir un jour. Même si on acquiert des réflexes, on sait qu'on est là-dedans. Dans  le couteau, la hache, et le fusil. Plus tard arriveront les grenades et les bombes, les sacs de sable. C’est une guerre, et elle n’est pas belle.

On en sait plus ou moins le détail.
Ce qu'il y a de terrible, c'est que la mode terroriste avec des attentats suicide à 80  et 200 morts, et les massacres et génocides et charniers depuis,  nous ont habitué à des nombres bien plus importants à chaque fois, y compris en Algérie même. Ca compte aussi dans la bataille des chiffres. Mais à l'époque, une ou deux personnes descendues d’un car, ou à la porte d’un   bus, ça faisait signe. Le « 20 août »,   EL Alia, ça faisait absolument signe: vous ne serez plus jamais en sécurité, le terrain a été occupé. Mélouza aussi ça a fait signe. A la longue, ça a fait du monde. Mais le signe, c'est dès le début, et tout du long.

"Plus un coup de feu tiré" après août 1962, c'est faux, c'est irréaliste;  on n'a même pas besoin de fusil quand on sait millénairement dans un pays où il y a des paysans se servir d'un couteau, et qu’on a connu une révolution. Même le Chant des Partisans a ses couteaux et ses haches, que diable!! Nous avons été très peinés de la mort d'une de nos tantes dans l’été 1963, mon père était encore à Annaba, ma mère et moi nous étions revenues pour des vacances; nous avons continué à circuler et à aller à la plage; nous avons pensé que c'était peut-être un meurtre du à la misère ou à une haine ou une folie ;  elle tenait le petit bureau de poste d'un village près de Skikda, et on a volé la caisse. On l'a égorgée, ce qui n'était sûrement pas très nécessaire pour prendre la caisse. Très tristes oui,  étonnés non, c'était dans le droit fil d'un risque.

 

Toute ma famille était « Algérie française » avec des nuances internes.  Depuis 1839, il y a du y avoir un émigrant au moins par  génération dans mes ascendants, avec parfois une petite pause. Tiens par exemple mes grands parents maternels, à  leur génération pas de « primo arrivant », mais c’est eux qui sont partis ! Donc, c’est bien ça, au moins une traversée de méditerranée par génération. Je suis partie en juin 1962 du port de Bône. Je suis revenue à l’été 1963  et à l’été 1967.  J’ai travaillé de décembre 1968 à mars 1971 à Alger. Je suis revenue à l’été 1979 et à l’été1989. Je n’ai pas eu peur de revenir. Les angoisses passée, ça laisse des traces, ça n’empêche pas forcément d’exister.  J’y ai été bien accueillie de diverses manières. Mais l’été 1989, c’est mes accueillants algériens qui avaient  peur ;  moi pas encore à nouveau.

 

Dans ce groupe familial et amical, j’ai entendu des propos racistes, colonialistes,  paternalistes, ethnocentristes, mais pour le moins, il y avait une part de débat, et effort quant au racisme. Et  c’est sans effort que s’il y avait une femme de ménage « arabe » à la maison, elle posait ses affaires et son voile dans la petite salle de bain familiale, et si elle en avait besoin elle s’y lavait. On s’y connaissait un peu en biologie : il paraît que les microbes se débrouilleraient entre eux, et qu’en gros on les partageaient. Moi j’aimais bien : ainsi je pouvais voir comment elles échafaudaient ce drôle de voile noir que portent les femmes de l’Est, sur une sorte de petit hénin de velours.

 

Lors des accords d’Evian, je projetais d’aller camper près de ma ville puisque la guerre allait finir, de m’inscrire à la fac d’Alger l’automne suivant,  et pas « dans une bonne université en France » comme préférait mon père.  On n’est pas sérieux quand on a 17 ans . Le sérieux m’a très vite rattrapée.  A peine eu le temps de commencer de négocier « pas camper »  contre « étudier à Alger » et bateau en juin! Mes parents étaient déterminés pas paniqués. Nous avons fait des valises. Le mobilier suivrait ou pas. C’était définitif. Je me souviens bien de la teneur des échanges entre adultes et avec les adultes de plus de dix-sept ans, même s’il a du s’en  dire « sans les enfants ».

Mes parents étaient des chrétiens cru « Vatican II ». Ils sont en relation d’amitié avec des prêtres et des évêques « arabisant » ou « pro indépendance ».  Ils déploraient que l’état français n’ait pas mieux mis en valeur le pays. Ils sont enfants d’artisans, de la classe moyenne; l’ascenseur social a marché mais ils sont partis « de rien », une couverture de laine pays, un couscoussier en terre, un lit de camp, trois assiettes, un berceau. A la maison on parle de la torture, on sait qu’elle existe, on l’espère d’un emploi restreint, on bute dessus. On discute  aussi si on peut se marier entre juifs et chrétiens ou entre chrétiens et musulmans ; la réponse est oui (avec soupir,  en pensant à la vie déjà si compliquée des ménages). 

 

Si je résume ce que pensent mes parents in fine en mars 1962, cela donne ceci.

Ca a été très vite réglé de savoir si l’on suivrait les consignes de l’OAS de rester, de résister.

Sans l’armée, la lutte (forcément armée au point où on en était) serait intenable. La puissance française venait de perdre politiquement ; à quoi bon les armes? Et sûrement l’OAS, à leurs yeux, avait déjà passé les limites de la violence qu’un mouvement de résistance politique  peut légitimement exercer.

Aucune confiance dans les accords d’Evian. Quatre ans après le « je vous ai compris de De Gaule ».

Les promesses des  dirigeants algériens et futurs gouvernants, on n’en discute même pas.

Il  y a une certaine notion de différences importantes entre les combattants pour l’indépendance et dans la société algérienne, qui se résume ainsi : « ils se sont entredéchirés pendant la guerre entre gens favorables à l’indépendance. Il y a l’ALN des frontières qui approche. De plus il y a les harkis, on va vers la guerre civile. Et qu’est ce qu’on deviendra dans une guerre civile ? ». Et Moscou, en plus, dans le jeu mondial!

Après huit ans de guerre, les deux dernières années d’OAS, le sentiment est que les différentes communautés ne pourront pas panser leurs plaies, leurs ressentiments ou haines et cohabiter.  Ceux qu’on croyait un peu connaître, on sait aussi qu’on les connaît finalement mal, et la multitude incertaine des autres, ruraux, déplacés, est si inconnue.

L’Est s’inscrivait comme une région tardivement «pacifiée» et souvent atteinte de rébellion.

Ca semble d’autant moins jouable.

 

Mes parents refusent la politique de la terre brûlée.   Il reste un peu de confiance dans des relations locales et quelque courage : des hommes de la famille demeurent  encore un peu, sans projet à moyen terme, après avoir assuré le départ des femmes et des enfants.

   

Je voudrais dire qu’au fil des années et des discussions des adultes qui ont évoqué les épisodes sanglants depuis 1830, de conquêtes, en pacifications,  en résistances ou en rebellions,  et déploré les atrocités d’où qu’elles viennent,  le reflet d’une curieuse arithmétique s’est mise en place dans ma mémoire, puisque les maths c’est important dans la scolarité.  Lors d’évènements violents que l’on déplorait et qui faisaient peur,  il y avait finalement toujours plus de morts du côté des « arabes » que de « notre côté ».  Ils étaient plus nombreux,  mais le bon droit était de notre côté, donc la réplique  comme quasi inévitable. Plus nombreux,  plus de morts, comme fatalement logique.  Ensuite cette arithmétique  donne peut-être le vertige à l’esprit ; notre bon droit n’étant plus armé, quelle serait la nouvelle règle d’arithmétique?  Je pense que cela a contribué au départ.

Je précise que c’est comme un fond de pensée collective ; une sorte de logique qui s’inscrit et demeure angoissante.  Même si parfois des gens font justement un effort contre cette logique. Ainsi  dans ma famille, lors du meurtre d’un de ses membres, petit colon, un qui essayait d’être juste,  il y a eu une demande ferme des hommes de la famille  à l’armée de ne pas faire de représailles à la mechta voisine,  une mise en jugement étant impossible de toutes façons.

Bien plus tard, j’ai lu dans des livres qu’il y avait eu un moment de la guerre ainsi : des gens de type « intermédiaire » « troisième force » avaient été tués intentionnellement. C’est dans un livre souligné au crayon. Il me faudrait chercher dans tous ces livres et tous ces crayons !

 

Voilà, on peut faire plus subtil sur la perception de la mort de l’autre, de l’ennemi, qui est peut-être votre voisin. 

 

Et enfin, il y a toujours le fait qu’on ne voit pas comment (chez mes parents) « ils » pourront gouverner le pays maintenant. On ne fait pas confiance à des cadres ou à des compétences qui semblent rares. Ca ne s’est pas fait avant, ça ne semble pas exister. Il faudrait encore du temps, toujours du temps en plus pour quelque chose qui n’a pas eu lieu, et c’est trop tard.  Il n’y a pas d’alter égo sociaux. La classe moyenne, côté algérien, ce sont des juristes et des médecins. On ne se voit que dans un rapport de soumission à l’ex-colonisé, à des militaires et à quelques cadres « qui ont fait les études à Moscou ou chez Nasser ». Evidemment, la colonisation a entraîné cela, mais c’est ainsi.

Est-ce qu’il pourrait en avoir été autrement ?  A mes yeux non. Trop multifactoriel à aller dans le mauvais sens. Mais ce n’est pas inutile de revisiter  les aiguillages du passé. Et d’autres peuvent bien avoir une autre expérience,  Et vu l’extraordinaire entrain à tuer son voisin , en Algérie et ailleurs, depuis 1962, autant reprendre la question de l’usage de la violence.

 

Pour moi, j’ai vécu dans la perception qu’une part au moins des Algériens ne voulaient pas de nous, les non-musulmans, sans plus de discussions. Je n’appelais pas ça du « nettoyage ethnique », mais c’en est.  Depuis, il y a eu la seconde guerre d’Algérie, « les années noires » comme ça se dit. Tout ça, pour en arriver là…

Je suis effarée: comment on peut penser une chose aussi idiote que déjudaïser la musique andalouse ? Comment des musiciens,  et une ministre de la culture peuvent-ils le dire ?   Ca a valu un bref éclat de rire de ma nièce à l'accent du Gard: "ils sont cons, comment ils vont faire?!". Bref, le rire...  elle n'est pas idiote elle. Nous ne sommes pas juifs, et parmi nos ancêtres quelques  andalous, à force qu’il y ait une méditerranée, une mer au milieu. Comment ils vont faire ?  Très difficile de désintriquer une musique pareille ! Le plus simple, c’est de prétendre le faire, il en reste toujours quelque chose.  Ensuite c’est de tuer les musiciens, puis ceux qui les écoutent, puis ceux qui pourraient avoir entendu qu'il a existé un jour des instruments pour faire juste du bruit, et même d’ailleurs ceux qui ne sont ni juifs, ni andalous, juste musiciens ou  écoutants. Si on reste "raisonnable", régulièrement on va tuer quelqu'un. Alors, pour pas rester sur une mauvaise impression, ses enfants, le  petit de 9 ans et la grande de 14, cherchent sur internet tout ce qu'ils trouvent de musiciens algériens, et me font le concert. "Algérie mon amour". Les enfants surfent mieux que moi.  Moi, je n'ai jamais entendu "de la musique arabe" à la maison avant 1962, mais dans la rue oui, aux radios des petits commerces, et j'aime la rue. De tout le temps de la guerre, jamais on ne m'a interdit d'aller dans la rue, ni de prendre un petit temps après l'école, ni d'acheter des choses "chez les arabes" même si l'on savait qu'ils versaient au FLN, et malgré la peur, ni d’avoir des amis dont les parents n’avaient pas les mêmes idées que les miens.

 

Ceci dit, j'ai accepté l'Indépendance de l'Algérie. Et la famille nucléaire de mes parents à sa manière aussi. C’est l’Histoire. Et mes grands parents ne nous ont pas encombrés de regrets sur les pertes. Il n’y a pas eu de Nostalgéria. Mais je ne sais pas où est passé dans tout ça le grand coquillage dans lequel on écoutait  la mer à la maison .Quelque part en chacun de nous, occupé parfois  à quelque grabuge ? 
Partie à moins de 18 ans, mariée en France, je n'ai jamais pensé à demander la nationalité algérienne. Entre le code de la nationalité,  le code de la famille, la quasi théocratie, la bureaucratie, vingt dieux,  ça faisait beaucoup.  Si ça n'avait pas été si difficile, je serais revenue y travailler pour peu d'argent, à plusieurs moments de ma vie, au service de ma terre natale et de ses habitants. Je l'ai fait une fois, ça a tourné tragi-comique!
J'ai fait autre chose, sans oublier. Je n’ai aucune difficulté à aller crier régulièrement :  « première, deuxième , troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés ». Un certain détachement s’est opéré. C’est une autre histoire. Marie-Geneviève Freyssenet.




A la suite de ce reportage dans le Monde Diplomatique, s'en suivit le 26 mai 2008 à l'auditorium de l'Hôtel de Ville de Paris, un débat co-organisé par l'association Coup de Soleil, la LDH, la section de Paris des Amis du Monde Diplomatique, animé par Georges Morin, président de Coup de Soleil, avec la présence de P.Daum. Le thème au titre évocateur était "Algérie 1962 : de quoi les Pieds-Noirs ont-ils eu peur?". Bonne question, encore faut-il que les réponses soient à la hauteur de la question posée.....!?

Et ce qui devait advenir, advint....autant de réactions à ce pseudo-débat qu'au pseudo-reportage!



Marie-Claude San Juan, professeur de Lettres, écrivain.
 

 

Lettre ouverte à Pierre Daum, Aurel, le Monde Diplomatique,

et la LDH

 (PS que Coup de Soleil pourra lire, utilement...)

Paris, le 4 juin 08.

 

 

Pierre Daum, Aurel, le Monde diplomatique, la LDH,

et le « débat » du 26 mai...

 

Marie-Claude  San Juan

 

Réactions...

J’étais présente le 26 mai.

Venue comme à un pensum, à reculons, mais avec le sentiment qu’il le fallait :

on ne laisse pas des gens parler de nous, des nôtres, sans se donner les moyens de (peut-être) pouvoir répondre...

Quand je dis les « nôtres », je ne tombe pas dans le « communautarisme » qui fait si peur à tant de gens (peur qui sert aussi de caution à des tas de discours assez mal informés, souvent).

Pour ma part l’appartenance, l’origine, l’identité (et dans mon cas, donc, l’« être Pieds-Noirs »), c’est cela même qui a fondé mes engagements antiracistes, ma conscience planétaire, mon goût de l’autre.

Après tout, c’est normal... Née du métissage de gens qui ont traversé des frontières plusieurs fois dans leur histoire familiale : nomades, réfugiés, immigrés, suivant les siècles et les raisons... Que pouvais-je ressentir d’autre ? Qu’auraient-ils pu me transmettre d’autre que cette mémoire des misères andalouses, des humiliations et exclusions ancestrales diverses ? Fierté des gens capables de tout quitter, quand il le faut, pour sauver sa vie, sa religion, ou la mémoire de son nom... Capables de reconnaître une histoire semblable chez l’« autre »  d’origine différente. Grâce à la mémoire transmise : on sait, on n’a pas oublié, donc on comprend.

Les textes, les déclarations et les articles racistes m’ont toujours donné la nausée. Et, toujours, je me suis dressée CONTRE.

Dans mon métier, dans ma vie, en écrivant, manifestant, pétitionnant, et...votant.

Quels que soient ceux qui étaient atteints, bafoués, injuriés.

Mais quand il s’agissait de nous : articles, humour limite, livres ou émissions, je savais qu’il n’y aurait que notre impuissance et notre rage. Rien.

Ce RACISME est un racisme autorisé, rendu licite (normalement la loi dit pourtant que tout racisme est illicite...), rendu licite, donc, par la bonne conscience d’idéologues ayant posé, une fois pour toutes, que « les » Pieds-Noirs étaient globalement et génétiquement un peuple méprisable, borné, raciste, coupable de tous les crimes de l’histoire française (même, ironie des faits, de ceux qui furent décidés quand  une bonne part de nos ancêtres ne risquait pas de prendre la moindre décision dans ce pays, n’y ayant jamais mis les pieds, et n’en ayant pas la nationalité... alors). Mais plutôt que regarder leurs pieds et la conscience de leurs pères ils préfèrent regarder les nôtres : plus facile, plus déculpabilisant – on se lave plus blanc en noircissant les autres... ! AMNESIQUES... !

D’ailleurs, il y aurait une analyse de classe intéressante  à faire, là. Car la majorité des Pieds-Noirs étaient des prolétaires, et ici ce ne sont pas des prolétaires qui parlent et écrivent dans Le Monde diplomatique, que je sache...

Je vous l’ai dit le 26 au soir, Pierre Daum : votre article EST RACISTE.

Il n’y a rien d’autre à ajouter vraiment. Inutile d’argumenter. Profondément, ce constat m’ennuie (il y a tant de choses plus intéressantes à faire que d’écrire à des racistes... !).

Vous voulez que je vous explique pourquoi ?

Ne me dites pas que nous ne sommes pas une race : vous aggraveriez votre cas.

La notion de race n’ayant aucune réalité scientifique...

Non, nous sommes un peuple. Et même un peuple dans des peuples, peut-être.

Qu’importe... Nous sommes un groupe humain ayant une origine native, une culture métisse (quoi qu’en disent certains, elle est)... Une communauté humaine.

Et vous stigmatisez, jugez, enfermez dans une globalité négative.

Vous diffamez un peuple entier.

(Qu’il y ait des racistes parmi nous, oui, comme dans tous les peuples, toutes les régions. Humaine réalité. La France a bien un Breton célèbre pour ça. Cela n’autorise personne à juger tous les Bretons pour autant, ni à cause de vous  tous les Français... Ce n’est pas le même racisme, dans ces deux exemples ? Ah bon ? Quelle différence ? Des postures politiques différentes ? Et alors ? En quoi ça change quelque chose ? Le RACISME reste le RACISME. Point.).

Vous êtes même allé plus loin encore le 26 au soir. Puisque au racisme diffamant que vous nous attribuez dans l’article, seule raison réelle de notre exode, vous avez ajouté la culpabilité : vous avez fini par penser, par conclure, avez-vous dit, qu’ils étaient partis parce qu’ils avaient quelque chose « à se reprocher ».

Parmi les choses que mon père avait à se reprocher, par exemple, il y avait un certain débarquement de Provence, qui lui avait donné le sentiment d’être « un peu » français et de devoir le rester (il a vite déchanté en se retrouvant ici). Il y  avait aussi la mort de son père, venu finir d’agoniser longtemps en Algérie, après 14-18, avec des poumons brûlés par les gaz. Illusion d’appartenance. Goût d’une langue et d’une culture offerte ou imposée par la France (même s’il avait le goût de ses trois langues : l’espagnol, l’arabe, le français). Il y avait, dans les choses à se reprocher, je suppose, le fait de travailler depuis l’âge de onze ans (comme tous les riches : on le sait... !). N’importe quoi ! Réveillez-vous... !

Argumenter, il le fallait sans doute un peu. Jean-Pierre Lledo l’a fait très bien. Inutile de redire. Et Dominique Cabrera, dont j’avais tellement aimé le vrai documentaire sur ces familles restées en Algérie après 62, Dominique Cabrera a fait voler en éclats la prétention de votre enquête, dont elle a démontré les manques et les graves insuffisances qui finissent par être des mensonges (ce dans le peu de temps qu’elle a réussi à arracher à ce « débat » faussé). J’espère qu’elle publiera et diffusera cela. (Je mets « débat » entre guillemets, car la salle n’a pas eu la parole, ou si peu, et l’animateur exigeait des intervenants de « poser une question », quand ils n’en avaient pas mais plutôt des choses à dire (qu’on ne voulait pas entendre !).

Ainsi, je n’ai pas vraiment de questions à vous poser, en tout cas pas une sur le sujet, que je connais mieux que vous. J’en aurai une autre, cependant. En quatre points.

Avez-vous cherché à savoir pourquoi vous aviez tant de haine ?

Avez-vous cherché à savoir dans quelle région de l’inconscient (individuel ou collectif) vous puisiez une telle envie de nuire à un peuple, qui se trouve, que cela vous plaise ou non, être Français, aussi. (Pour ma part, pour tout vous dire, je veux bien être plusieurs choses en même temps : cela finirait par casser le nationalisme idiot des uns et des autres, si nous étions nombreux à nous réclamer d’appartenances plurielles. Algérienne, Espagnole, et Française, en prenant l’ordre alphabétique, pas pire qu’un autre... Et encore, je simplifie...).

Avez-vous cherché à vous instruire, et à savoir qui nous étions ?

Puisque vous vous intéressez (en mal) aux gens qui s’exilent dans un exode douloureux, vous intéressez-vous à ceux qu’on exile ? (Je parle de 2008 !).

Mais Aurel n’est pas mieux loti que vous. Je le lui ai dit aussi. Ses « dessins » étaient d’une indécence invraisemblable. Racistes. (Je n’ai pas voulu cela, m’a-t-il dit, ce n’était pas intentionnel. J’ai répondu que le résultat était pourtant là...). On parle d’un exode, de terreur et de terrorisme, d’exil et de souffrance, et monsieur plaisante. Prudent, quand il se moque d’un témoin algérien du film de Jean-Pierre Lledo, il choisit celui qui est mort et ne risque pas de porter plainte... Si c’est par hasard c’est un drôle de hasard... Il ironise sur sa « mémoire qui flanche », sans comprendre que c’est ce que révèle le film, à partir de ce témoin, et d’autres. Emouvant, au contraire, cet homme qui pleure sur tous les drames de son pays (et des peuples de son pays, leur arrachement, leurs déchirements) et sur tout ce qu’on ne peut dire après tant de silences. Cet homme c’est nous tous, les exilés des deux rives (car tous sont exilés, ayant perdu une part d’eux-mêmes).

Aurel, donc.

On voit tout d’un coup, projeté derrière la tribune, ce 26 mai,  une sorte de pauvre type, l’air complètement abruti. Pied-Noir, bien sûr. Texte : « La valise ou le cercueil. », « Oui, mais partir c’est mourir un peu, non ? ». INDECENT.

Autre dessin. Bateau. Là le texte dit qu’il part (je pars...) malgré la peur... du bateau ! Et ceux qui restent (il n’y a pas de « bons » PN, voyons, pas un pour rattraper l’autre : toujours de mauvaises raisons...), c’est parce qu’ils ont « loupé » le bateau... !

Mauvais, Aurel. Vous faites la paire...

Et dans le Monde diplomatique...

Qui, même mois, fait (c’est amusant !), en publiant un article traduit, l’éloge du colonialisme (je veux dire des « bénéfices »  du colonialisme). En parlant (précisons) de la Chine occupant le Tibet. Car là, un Etat communiste et pas du tout démocrate, c’est très bien quand il occupe des pays voisins, à l’affreuse théocratie. Et les Français qui protestent en luttant pour les droits de l’homme sont donc des imbéciles qui n’ont rien compris à la grandeur de cette œuvre civilisatrice. Le Monde diplomatique oublie, là, que les militants en question ne sont pas « contre » « les » Chinois, mais réclament aussi la liberté d’expression pour des Chinois, justement, emprisonnés pour des articles écrits, des pages créées sur Internet, un engagement pour la démocratie, ou la pratique du Falun gong (que pourtant l’Ambassade de Chine en France - et ailleurs - présentait il y a quelques années comme une des pratiques qui faisait l’honneur de la culture chinoise - mais c’était avant que certains réclament plus de liberté...).

Mais on peut comprendre ces apparentes incohérences, quand on se souvient aussi que le Monde diplomatique se porta au secours de Noam Chomsky (qui, tout brillant qu’il fût, pétitionnait pour que ne soient pas « bafoués » les droits de... Faurisson, et préfaçait le livre du même). Heureusement que Pierre Vidal-Naquet  remit les choses en place, alors.

Pourquoi donc vous parler de la Chine et de Chomsky, à vous qui avez écrit sur les Pieds-Noirs ?

Parce que le contexte idéologique est toujours intéressant.  Et que, sur certains terrains il se trouve que l’extrême-gauche rejoint d’évidence souvent l’extrême-droite. CQFD. 

Marie-Claude San Juan, Paris (née à Souk-Ahras, ALGERIE).

Adhérente de plusieurs associations de Pieds-Noirs (lesquelles : ça me regarde !).

Membre du Mouvement D’Algérie-Djezaïr.

Et... Citoyenne du monde.

Pour situer :

http://www.cerclealgerianiste-lyon.org/livres/sanjuan.html

http://deuxrives.site.voila.fr (page d’accueil à méditer, pour vous).

Et http://pages.rivages.site.voila.fr (de quoi méditer, encore).

PS : J’allais les oublier... La LDH... Ce n’est sûrement pas là que j’irai pour militer pour les Droits de l’homme. Je l’ai toujours su. Droits et respect pour certains, mais pas pour d’autres. Ce n’est pas ça la véritable action pour « les » droits.

Et des gens qui vous demandent à quelle association vous êtes pour vous inscrire à un débat... Je me méfie. Pas envie d’être fichée par eux.

Ah... Coup de Soleil... Ont pris une insolation sévère. Car ils finissent par ne plus savoir qui ils sont à force d’avoir peur d’affronter les questions qui heurtent et de s’allier à n’importe qui. Dommage : j’avais bien aimé le texte originel. De toute façon leur cotisation est trop chère. (J’ai préféré soutenir le Mémorial des Disparus, auquel toutes ces bonnes âmes n’ont rien compris...). Bon : on pourra toujours aller voir quelques livres au grand marché annuel.

Ce débat était donc faussé. Mais les Pieds-Noirs présents ont su dignement répondre, je trouve.

Et ils continuent : la preuve !




Donnons la parole à Georges Morin, animateur du débat en question:


                       "Peut-on parler sereinement de la guerre d'Algérie?"


Le lundi 26 mai 2008 à 19h, à l’Hôtel de ville de Paris, la Ligue des droits de l’homme, le Monde diplomatique et  Coup de soleil organisent une conférence-débat sur les causes de l’exode massif des Pieds-noirs d’Algérie en 1962. Il m’a été demandé d’animer cette rencontre. Compte-tenu des enjeux qu’elle représente, je souhaite dire ici aux membres et amis de Coup de soleil comment je compte mener les débats.

 

Après une brève présentation du sujet et des intervenants, après avoir aussi rappelé les règles de base d’un débat serein sur un sujet douloureux, je donnerai la parole au journaliste Pierre Daum et au cinéaste Jean-Pierre Lledo. Le premier est l’auteur d’un article paru dans le n° de mai 2008 du Monde diplomatique, intitulé « Sans valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie » . Le second est l’auteur d’un film « Algérie, histoires à ne pas dire ». Comme tout ce qui touche à la guerre d’Algérie, cet article et ce film suscitent des avis très partagés, jusque dans nos rangs. Pierre Daum et Jean-Pierre Lledo nous expliqueront le pourquoi de leurs enquêtes respectives, les conditions de leur réalisation et l’accueil qui leur a été réservé.

 

Nous entendrons ensuite trois historiens, qui sont aussi membres de Coup de soleil : Mohamed Harbi, Gilles Manceron et Benjamin Stora. Chacun exprimera son point de vue sur l’article et le film ; ils s’attacheront surtout à donner leurs analyse du thème central de cette rencontre : pourquoi tant de Pieds-noirs ont ils quitté leur pays natal, si soudainement et dans des conditions aussi dramatiques ?

 

Nous passerons ensuite aux interrogations d’un public dont nous savons qu’il sera nombreux, dont nous devinons déjà la passion et dont nous attendons aussi la courtoisie et la dignité indispensables à la qualité du débat. Tout peut être dit, pour peu que l’on sache écouter l’autre et le respecter. Mon rôle essentiel sera d’y veiller et je suis déterminé à le faire.

 

J’apprends en effet que des appels à pétitionner, à manifester, à venir «  soutenir X… » ou « attaquer Y …», voire à saboter cette soirée circuleraient sur la Toile. On y contesterait notamment la légitimité des intervenants à parler du sujet :

 

- s’agit-il de nos origines ? Mohamed Harbi, Jean-Pierre Lledo, Benjamin Stora et moi sommes originaires d’Algérie et nous avons chacun vécu, de façon différente mais «  en direct », le douloureux enfantement de l’indépendance : chacun de nous a donc toute légitimité pour en parler.

 

- s’agit-il de nos formations ? Mohamed Harbi, Gilles Manceron  et Benjamin Stora sont des historiens de renom, dont l’essentiel des travaux porte sur l’Algérie. Je suis moi-même enseignant universitaire, Pierre Daum est journaliste, Jean-Pierre LIedo cinéaste et beaucoup de nos travaux portent aussi sur ce pays. Notre connaissance du sujet ne saurait donc davantage être contestée.


 

 

Les points de vue des six participants sont d’ailleurs loin d’être identiques. Il en ira de même dans la salle et cela est très sain. Mais, face aux drames qu’ont vécu tant d’Algériens et de Français, aucune douleur ne s’apaisera jamais si chacun n’apprend pas à écouter la souffrance de l’autre et à respecter son point de vue. Depuis 1985, Coup de soleil a su faire cohabiter tous ceux qui ont en eux la passion du Maghreb en général et de l’Algérie en particulier, quelle que soit leur origine culturelle : arabo-berbère, juive ou européenne et quelle que soit l’histoire et les engagements de leur famille :  « immigrée » ou «  rapatriée » . Notre profonde cohésion, dans cette étonnante diversité, vient précisément de ce souci permanent d’écouter l’autre et d’arriver ainsi, peu à peu, à mieux comprendre les heures dramatiques de notre histoire commune.

 

Coup de soleil n’est pas pour autant une association qui cultiverait une « neutralité » aussi confortable que stérile. Nous défendons ensemble un certain nombre de valeurs comme la justice, la dignité et la fraternité et c’est à l’aune de ces valeurs que nous prenons position, chaque fois que de besoin. S’agissant de la question des Pieds-noirs, qui sera au centre de nos débats du 26 mai, je rappelle ici aux adhérents et amis de Coup de soleil que le bureau de notre association avait condamné, à l’unanimité, la trop fameuse loi du 23 février 2005 qui, sous prétexte de valoriser la colonisation au Maghreb, rendait le pire des services à nos compatriotes « rapatriés ». Ce point de vue, le bédéiste Jacques Ferrandez et moi-même l’avions exprimé en Algérie, en décembre 2005, devant le public des centres culturels français de Constantine et d’Alger où nous présentions nos deux derniers livres respectifs. On en trouvera ci-après la relation écrite :

 

-          [Extrait de la «  Lettre de Coup de soleil » n° 26]

 

Quant à la loi de février, Jacques et moi en avons beaucoup parlé, depuis deux semaines et ce matin encore avec Jean-Jacques Jordi. Nos analyses concordent : il s’agit d’une loi électoraliste, qui vise, selon ses promoteurs, à " défendre les pieds-noirs et les harkis ". Quand donc nos élus cesseront-ils de prendre nos compatriotes pour des citoyens débiles qui voteraient comme des moutons ? Quand comprendront-ils qu’il n’y a pas en France de vote pied-noir, comme il n’y a pas de vote protestant, de vote juif ou de vote beur, que dans ces populations comme chez tous les Français, chacun se détermine pour partie en fonction de sa propre histoire, mais surtout de son appartenance sociale, de son éducation, de ses rencontres, de ses conditions de vie et de travail ? Le problème vient sûrement du fait que, dans toutes ces minorités qui font aussi la France, certains s’en sont auto-proclamés les représentants alors qu’ils ne représentent souvent qu’eux-mêmes ! Mais les élus et les journalistes privilégient toujours le point de vue de ces " représentants ", le seul qui s’exprime. Et pour les Pieds-noirs, cela est dramatique car cela conforte dans beaucoup d’esprits l’image d’une " pseudo- communauté " bornée, raciste et revancharde : puisqu’ils sont censés regretter " le bon temps des colonies ", on va donc leur faire plaisir et glorifier la colonisation ! Et, comme toujours, depuis 1962, les mâchoires du piège se referment : ou bien l’on dit du mal du système colonial et on doit donc attaquer les Pieds-noirs ; ou bien on soutient les Pieds-noirs et on doit donc encenser la colonisation ! Cela nous est insupportable ! Pour Ferrandez, Morin, Jordi et tant d’autres Européens d’Algérie (ceux qui militent à Coup de soleil notamment), nous avons compris depuis longtemps tout le mal qu’ont pu représenter pour les Algériens la conquête, avec son cortège de massacres et de spoliations, puis l’humiliation et l’indignité permanentes que faisait peser sur eux un système colonial brutal et inégalitaire par essence. Pour autant, et c’est là-dessus que nous insistons, nous n’acceptons pas que l’on fasse porter tout le poids de ce drame historique sur nos épaules ou sur celles de nos parents. Qu’il y ait eu de francs salauds et des racistes à tout crin parmi les Pieds-noirs, qui songerait à le nier ? Mais est-il un peuple qui échappe à cette lèpre ? La mère de Camus ou celle de Roblès étaient femmes de ménage, le père de Ferrandez médecin à Belcourt, la mère de Morin infirmière à Constantine : étaient-ils des bourreaux ou des tortionnaires ? Doivent-ils et leurs enfants après eux, être déclarés responsables de la conquête, des enfumades, de l’indignité et de la  répression ? Bien pire encore, sont-ils censés en tirer, de manière quasi-atavique, un quelconque titre de gloire ?

 

Allons plus loin, cependant : tout en acceptant cette version des choses, beaucoup de Pieds-noirs et d’autres Français avec eux d’ailleurs, avancent en toute bonne foi que la colonisation a quand même eu quelques aspects positifs  pour les Algériens : des villes et des villages, des ports, des barrages, toutes sortes d’infrastructures modernes construites par la France. Cela est vrai mais encore faut-il se rappeler pour qui tout cela a été construit, c’est-à-dire pour le bien-être des Européens et pour celui de l’économie française ; et cela cohabitait avec un sous-développement généralisé dans le monde rural où vivaient 90 % des Algériens. Alors certes, aujourd’hui les Algériens en profitent mais ils l’ont payé cher tout au long de la colonisation. Reste alors l’incompressible : la santé (hôpitaux, dispensaires, etc.) et l’éducation (écoles, collèges, lycées, médersas, université d’Alger, etc.). Bien sûr, ce serait injuste de le nier, sauf qu’il faut là aussi comprendre que seule une minorité d’Algériens en bénéficiaient. Que les plus déterminés d’entre eux se soient ensuite approprié la langue française et les valeurs de la République pour contribuer à se libérer du joug colonial, alors là, oui, ce clin d’œil de l’Histoire peut nous faire plaisir !… Et puis, comment ne pas évoquer cet autre produit " positif " d’une histoire tragique : l’existence de ces millions de Français d’Algérie et d’Algériens de France, qui sont autant de passerelles potentielles entre les deux pays !

 

Tout le monde, et ce fut notre conclusion, en a assez de ces histoires officielles, simplistes et réductrices que l’on veut imposer dans les esprits, en France comme en Algérie. Elles n’ont pour effet que de cacher les réalités, d’empêcher nos peuples de comprendre leur histoire et donc de l’assumer pleinement pour pouvoir bâtir solidement leur avenir.

 

[ Texte intégral de l’article « Carnet de voyage à Constantine et à Alger » lisible sur le site de l’association : www.coupdesoleil.net ]

 

 

Georges Morin

président de Coup de soleil




 

 

 

Dominique Cabrera, cinéaste.

Dominique Cabrera

réalisatrice

Ce n¹est pas facile de prendre la parole en public sur un sujet si sensible.
On a peur d¹être mal compris, de blesser, de se blesser. Si je le fais ce
soir, c¹est pour quatre raisons.

Je suis née en Algérie à Relizane dans une famille pied-noire rapatriée en
France en 62. En 90 et en 91, je suis retournée en Algérie pour tourner mon
premier film. Je voulais faire un documentaire sur les pieds-noirs qui
étaient restés là-bas et qui avaient pris la nationalité algérienne. Je me
sentais du côté de ceux qui avaient soutenu l¹indépendance de l¹Algérie, je
voulais les connaître, je cherchais au fond à rencontrer des « pieds-noirs
de gauche ». Je voulais aussi mettre des images et des sons, des visages sur
le mot Algérie, c¹était le pays où j¹étais née, où mes parents ne
retourneraient jamais et dont ils avaient l¹inguérissable nostalgie. C¹était
un pays qui n¹existait pour moi que dans les mots. Quand le douanier m¹a dit
« Bienvenue chez toi », j¹ai pleuré.

Ce travail, ces rencontres m¹ont changée, je me suis posé beaucoup de
questions sur le passé, sur le système colonial et sur l¹Algérie
contemporaine, j¹ai en tous cas compris que comme le disait Renoir, que dans
la robe blanche d¹un cheval chaque poil est en vérité d¹une couleur
différente. Je me souviens du sentiment comment dire de déchirement que
j¹éprouvais quand j¹écoutais et que je regardais les héros de mon film, ceux
qui étaient restés en Algérie, ceux qui avaient demandé et obtenu la
nationalité algérienne, je voyais comment leur marge de man¦uvre, de leur
liberté, leur possibilité de parler et d¹agir étaient devenues étroites,
j¹avais peur pour eux et pour leur engagement. Mais comme je les aimais, je
n¹avais pas le courage de le dire trop fort parce qu¹ils ne s¹en étaient pas
encore aperçu.

Je n¹avais eu l¹autorisation de tournage que pour Alger mais j¹avais repéré
l¹année précédente à Oran, à Constantine, le long de la côte. J¹ai rencontré
beaucoup de personnes, traversé des histoires singulières d¹amour, de
collaboration, d¹entente entre d¹anciens pieds-noirs et des Algériens. Mais
j¹ai vu aussi des ombres, des choses dont on n¹aime pas parler, qu¹on
aimerait ne pas avoir vu. Je me souviens par exemple de ma visite au curé
d¹une petite ville de la côte, pied-noir qui était resté là-bas, qui avait
obtenu la nationalité algérienne. Il me disait qu¹il avait peur maintenant
le soir. Il me disait que ce qui lui faisait une peine profonde c¹était de
sentir que, de plus en plus, on le traitait, lui l¹enfant du pays, en
étranger, qu¹on le tenait à l¹écart. Je me souviens d¹un couple de retraités
à Constantine. Ils étaient barricadés dans leur cinquième étage. Leur boite
aux lettres était graffitée du mot juif. Et ils me racontaient que parfois
les enfants leur jetaient des pierres.

Pierre Daum m¹a téléphoné avant de partir faire son reportage pour Le Monde
diplomatique pour que je lui donne des contacts. Je les lui ai donnés et lui
ai parlé longtemps, je sentais qu¹il partait avec des idées toutes faites et
qu¹il se préparait à revenir avec elles. Je connais la plupart de ceux qu¹il
a rencontrés et je ne les reconnais pas dans le portrait qu¹il en a fait. La
question concrète de ce que cela a été à travers le temps et de ce que c¹est
que de vivre aujourd¹hui en Algérie pour tous les Algériens, c¹est cette
question qui devrait nous intéresser nous qui aimons l¹Algérie.

Cela ne ressemble pas à la légende dorée développée dans l¹article de Pierre
Daum. Jamais il n¹est question d¹une quelconque difficulté ni dans le passé,
ni dans le présent. Il ne raconte ni de l¹une qu¹elle n¹a jamais obtenu la
nationalité algérienne malgré ses demandes et son droit, ni de l¹autre qu¹il
a passé des mois en prison, ni des menaces, de l¹intimidation, ni de la
difficulté de travailler, ni de celle d¹être accepté. Jamais il ne demande
aux personnes qu¹il nous présente comment leurs enfants ont vécu ce choix,
ce qu¹ils ont pu en faire, s¹ils vivent en Algérie aujourd¹hui. On
s¹interroge en lisant cet articleŠ Si tout était si simple, pourquoi des 300
000 pieds-noirs restés en 62, il ne subsiste que quelques centaines
aujourd¹hui ?

Les trous, les non-dits dans ce reportage nous conduisent à poser une
question fondamentale. Qu¹est-ce qu¹être Algérien ? Comment devient-on
Algérien ? Qui peut devenir Algérien ? Pourquoi après l¹indépendance,
l¹accès à la nationalité algérienne s¹est-il fait au compte-goutte et dans
l¹opacité. Quels principes régissent le droit de la nationalité en Algérie ?
Droit du sol ou droit du sang ? Voulait-on fonder la nouvelle Algérie avec
une minorité d¹un million de pieds-noirs ? Pourquoi alors inscrire l¹islam
religion d¹Etat dans la Constitution ? Pourquoi appliquer ainsi le droit de
la nationalité ? Je demande aux historiens qui sont à cette tribune de nous
exposer ce qu¹il en est du droit de la nationalité en Algérie en 1962 et
aujourd¹hui. Je crois que cette question est au c¦ur de notre débat.

Le titre de ce débat fait mal. « De quoi les pieds-noirs ont-ils eu peur ? »
Plutôt que de nous défausser sur nos parents qui ont eu leur part de
chagrin, nous sommes là, nous pouvons nous poser cette question à
nous-mêmes. Nous, moi, Georges, Benjamin, pourquoi nous enfants de
pieds-noirs, de gauche, anticolonialistes, aimant l¹Algérie, pourquoi
n¹avons-nous pas retraversé la mer ? Pourquoi n¹avons-nous pas demandé la
nationalité algérienne ? Pourquoi ne nous sommes pas installés en Algérie ?
Pourquoi je ne suis pas une cinéaste algérienne ? Pourquoi Benjamin
n¹anime-t-il pas une unité de recherche là-bas ? Pourquoi Georges ne fait-il
pas de la politique en Algérie ? Ce sont des questions, je n¹ai pas les
réponses. Pour ma part, l¹expérience vraiment personnelle que j¹ai eue de
l¹indépendance est l¹expérience d¹une enfant. Je me souviens de ma mère qui
pleure de Relizane à Oran. Je me souviens des affaires envoyées par les
voisins qui n¹arrivent jamais à Orly. On était venu en France en vacances et
on y est resté. En Algérie, je me souviens de la peur. La peur de l¹OAS. Je
me souviens que mon père avait menti sur notre départ, officiellement, on ne
partait pas puisqu¹on laissait la voiture neuve. Et la peur des « fellaghas
». Peur pour sa vie. Peur des attentats. On ne va plus au Sig chez ma
grand-mère parce qu¹on a peur sur la route. On était passé devant un magasin
et une heure plus tard, une bombe y avait explosé. On fermait les fenêtres
la nuit, un « fellagha » pourrait arriver par les toits et nous égorger. Le
mari d¹une de mes tantes avait été enlevé et on ne l¹avait jamais revu. Des
jeunes voisins avaient été enlevés, tués. Si vous posez vraiment la question
de la possibilité pour les pieds-noirs de rester en Algérie en 62, vous
devez vous demander comment l¹on pouvait passer de cette peur à la
confiance. Comment passer d¹une situation de colonisation, de guerre avec ce
que cela charrie d¹inégalités, d¹injustices, de morts, d¹horreurs, à une
situation d¹égalité politique ? Comment dépasser après l¹indépendance dans
les rapports personnels et dans les institutions, des rapports moulés par le
système colonial ? On peut imaginer combien il pouvait être difficile à des
gens simples pour la plupart d¹avoir confiance dans une révolution où ils
perdaient leurs privilèges sans garantie pour la sécurité de leurs biens ni
de leurs personnes. On peut imaginer aussi combien il pouvait être difficile
pour des gens simples de réfréner l¹envie, la haine, le ressentiment
accumulés par des années de mise à l¹écart, de misère, d¹exclusion.
Autrement dit comment faire la paix après la guerre ? Comment construire une
nation nouvelle ? Qui était capable d¹un côté ou de l¹autre de penser et de
mettre en ¦uvre les conditions politiques et morales de la construction
d¹une maison commune ? Qui le souhaitait véritablement dans l¹Algérie
nouvelle ? La France souhaitait-elle accompagner et garantir un tel
mouvement et protéger pieds-noirs et harkis ?

Il me semble que cela pose une question profonde et toujours ouverte
aujourd¹hui en Algérie et ailleurs : pour devenir, pour être des égaux dans
une nation politique, il faut pouvoir ne pas, ne plus être des ennemis
mortels et pouvoir devenir des adversaires au sein d¹une communauté
politique. Cette Algérie commune, multi-ethnique, des individus y ont cru,
l¹ont vécue, l¹ont voulue, en ont senti les contours mais pour qu¹elle vive
dans le temps, il aurait fallu qu¹elle soit désirée, voulue, pensée,
travaillée par toute la société à travers les années et les difficultés. Il
aurait fallu, il faudrait vouloir une Algérie arabe, berbère, juive et
pied-noire.
Dominique Cabrera


André Gomar, retraité SNCF.

 

André GOMAR
 Né à Relizane (dept d'Oran)
 actuellement retraité  SNCF
 Président de l'asociation des cheminots cinéphile
 Président du prix RAIL D'OR à CANNES.

MON TEMOIGNAGE  SUR MON DEPART D'ALGERIE EN 1962

Si j'ai ressenti le nécessité d'écrire  suite au débat qui a eu lieu à l'hôtel de ville de Paris le lundi 26 mai 2008 où étaient invités entre autres, le réalisateur de cinéma J.P. LLEDO ( à propos de son film « Algérie, histoires à ne pas dire » qui a soulevé bien des polémiques (1). et le journaliste du Monde Diplomatique Pierre DAUM ( pour son article « Pourquoi les pieds-noirs sont-ils partis ? »), c'est que celui-ci répète  et réaffirme ce jour là, la conclusion de son article : « si les pieds-noirs sont partis c'est qu'ils avaient quelque chose à se reprocher ».

C'est surtout cette affirmation lapidaire de Pierre Daum, qui affirme mal connaître cette histoire et qui avoue benoitement n'avoir découvert que très récemment qu'un certains nombre de pieds noirs étaient restés après l'indépendance.

 

 Les autres intervenants, Benjamin STORA, n'ont pas apporté au débat des éléments de réflexion qui auraient pu faire avancer le débat qui est devenu vite houleux et confus.

Au cours de ce débat mal dirigé par Georges MORIN de l'association Coup de Soleil où il est était difficile de s'exprimer, l'intervention passionnée de Dominique Cabrera, qui n'a pas pu finir son intervention a fini par me convaincre d'écrire et de donner mon point de vue.

 Je vais ajouter une note personnelle, ayant vécu cette période parti en mai à 15 ans et n'ayant rien à me reprocher.

 

Nous vivions à Relizane, une ville d'Oranie, de 30 000 habitants en 1962

Je tiens à préciser de plus que je faisais partie d'une famille de petits artisans vivant certes mieux que les Algériens non européens de même niveaux mais assez chichement dans une maison avec un jardin où ma mère élevait poules et lapins pour subvenir à nos besoins.

 Nous ne faisions pas partie des Européens progressistes pour l'essentiel communistes,  pro-communistes qui subissaient la répression de la part des autorités et rejet de leur communauté. J'étais jeune et je me souviens des sarcasmes que subissaient les progressistes : « Vous travaillez pour les fellaghas et ils ne veulent pas de vous, ils vous rejetteront ».

 Malgré tout, seuls Européens dans notre quartier nous vivions en harmonie avec les habitants  surtout grâce à ma mère qui savait à peine lire et écrire en français parlait trois langues, espagnol, français et arabe. Elle avait appris l'arabe dans son enfance lors de la construction des barrages de Mascara et Bakada vers 1920/1925.

En 1962 dès le 19 mars, date du cessez le feu, nous avons été attaqués suite à des manifestations de joie. Rien de très terrible mais très impressionnant. Electricité coupée, éclairées à la lampe à pétrole, des centaines de personnes dont certains avec des outils agricoles (pelles, pioches, fourches) manifestent devant la maison et vers minuit nous attaquent : grosses pierres jetées sur le toit cassant les tuiles et tombant sur le plafond. Le bruit surtout est impressionnant, nous pensions notre dernière heure arrivée. Ma mère a une crise de nerfs. Prise de tremblements, elle balbutie des prières.

 Le lendemain, en pleurs, ma mère est allée chez la voisine Aïcha qui l'a prise dans ses bras, son mari qui ne parlait qu'arabe, (il n'avait pas été scolarisé dans l'Ouarsenis) lui a dit qu'ils ne pouvaient rien faire, ceux qui venaient manifester venaient de loin, n'avaient jamais côtoyé d'Européens sauf  les soldats et pour eux tout Français était un colon. Nous sommes partis quelques jours en centre ville après car les voisins tout en nous disant de ne pas partir, ne pouvaient rien pour nous.

Ces anciens voisins, je les ai rencontrés 40 ans après, alors qu' à Relizane je montrais l'endroit où j'habitais en 1962 à des amis algériens. Ils racontèrent alors  à mes amis ce qui s'était passé en 1962. Mon ami M'ahmed en souriant me dit : « ils m'ont dit exactement la même chose que toi mais en arabe, je te croyais bien sûr mais si j'avais eu un doute, là j'ai une confirmation »

 

Deux mois plus tard, en mai 62, des jeunes Relizanais furent enlevés et disparurent. Ces disparitions créèrent une panique parmi la population européenne et presque tous les jeunes furent aussitôt expédiés en France.

Donc pour répondre à monsieur Daum, je suis parti car mes parents ont eu peur pour la vie de leurs enfants, ne sachant si le nouveau pouvoir pourrait faire le discernement entre activistes d'extrême droite et pacifistes Européens.

Je peux être en partie d'accord avec Mohamed Harbi, historien,qui avait dit lors du débat après le film « Algérie, histoires à ne pas dire » que l'Oranie était au mains de l'OAS.

Certes, c'était vrai, les progressistes et les communistes avaient été éliminés et toute  personne qui émettait la moindre critique pouvait craindre pour sa vie.

J'ai assisté à de nombreuses scènes de personnes qui ont refusé d'obéir à l'OAS et qui ont été obligés de fuir avant assassinat.

Donc les opposants devaient se taire.

(1) Dans le film de Jean-Pierre LLEDO, il est entre autre question de certains événements où des Européens ont été soit tués où ont disparus. Dans ce film de plusieurs volets, il est surtout question de la décision du FLN du Constantinois mené par Zighout YOUCEF dans la région de Philippeville (Skikda) de tuer des Européens sans distinction et des disparus d'Oran après le 5 juillet. J.P. LLEDO a du faire face a des réactions hostiles voire haineuses se faisant même traiter de révisionniste.

 

 

 

 

 

 



 



Wagner le 04.12.08 à 11:31 dans l/ Débats / Points de rencontres - Lu 2895 fois - Version imprimable
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