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D'Algérie - Djezaïr
Mouvement de réconciliation

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"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.

D'Algérie-Djezaïr

Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.

ORGANISATION

Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.

Algérie 1962 : de quoi les Pieds-Noirs ont-ils eu peur? (2)

commentaires, témoignages, suite....

Chaque jour qui passe enrichit cette rubrique de textes en réactions à l'article de P.Daum et au débat du 26/05/08.
Voici la suite....
bonne lecture

EW


Jean-Pierre Lledo, cinéaste, invité à participer au "débat".


 « Algérie 1962 : de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? »

 

 

Jean-Pierre LLEDO

 

A propos du Débat (difficile)

du lundi 26 mai 2008  à 19h

 

Organisé à la Mairie de Paris par la Ligue des droits de l’Homme,

la Section de Paris des Amis du Monde diplomatique

et présidé par Georges Morin, pdt de l’Association Coup de soleil

 

A l’occasion de la parution dans Le Monde diplomatique de mai 2008

du reportage de Pierre Daum et de Aurel :

« Sans valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie »

 

et après la sortie du film de Jean-Pierre Lledo,

« Algérie, histoires à ne pas dire »

avec

Pierre Daum, Mohammed Harbi, Jean-Pierre Lledo, Gilles Manceron et Benjamin Stora,

 

&&&&

 

 

Malgré l’importance de la question, le débat n’a pu, comme je le craignais, avoir vraiment lieu.

Les historiens invités partageaient une même vision de cette partie de l’histoire franco-algérienne. Or pour qu’il y ait débat, il faut des avis divergents, voire opposés.

Les Pieds-Noirs présents dans la salle, lorsqu’ils prirent la parole, furent souvent interrompus - bien qu’ils fussent le sujet même de la rencontre ! - par le président « modérateur », lequel ne fut par contre aucunement perturbé par des logorrhées démagogiques pourtant hors sujet.

Partialité à la tribune, partialité dans la salle, les conditions étaient créées pour que la sérénité soit exclue du débat. Au lieu d’écouter respectueusement les témoins, et d’essayer de réfléchir ensemble, on eut donc droit à des affirmations, des parti-pris idéologiques  et des envolées coulées dans des effets oratoires régulièrement salués. Mais en confondant histoire et idéologie, les invitants n’avaient-ils pas ouvert la voie à ces dérapages ?

 

Ayant dans un premier temps refusé d’y participer, j’étais revenu sur ma décision contre l’assurance de bénéficier d’un temps suffisant pour exprimer de la tribune ma différence. Ce contrat n’a pas été respecté.

Je tiens aussi à m’élever contre la préparation non-démocratique de cette rencontre, à laquelle je n’ai pas été associé, et dont je n’ai connu le déroulement prévu que le jour même, dans un mail de Coup de Soleil qui insistait par ailleurs lourdement sur le fait que des « menaces » pèseraient sur la rencontre. Mail largement diffusé aux adhérents, comme un appel aux troupes pour défendre la citadelle qui allait être prise d’assaut, ce qui n’a pas peu contribué à alourdir l’atmosphère avant même le début d’une rencontre « publique » mais où pour y participer, il fallait préciser par mail si l’on appartenait « à une Association ».

 

Il reste, il est vrai, que la question-taboue dans les milieux algérien et de la gauche française « De quoi les Pieds Noirs ont-ils eu peur en 1962 ? » est ainsi pour la première fois un sujet mis (difficilement) en débat en leur sein (à Paris).

Et peut-être est-cela le plus important, comme me le font remarquer beaucoup d’autres participants ?

 

 

Ci-après un compte rendu non-exhaustif, sélectif, subjectif, à chaud.

L’in-extenso, objectif, du débat filmé sera visible sur le site du Manifeste des Libertés.

J’y ajouterai en italique les commentaires que j’aurais bien aimé faire.

 

 

TRIBUNE

 

Georges Morin

Il présente la soirée, les intervenants, les règles du débat, et invite au respect.

Il donnera la parole en priorité aux auteurs de l’article et du film, qui ont fait « des enquêtes ».

 

Donner le même statut à un article de 2 pages, fondé sur moins d’une dizaine de témoignages, réalisés en quelques semaines et à un film qui nécessita un an de préparation et 10 mois de tournage, me semble osé.

 

Pierre Daum 

Il nous explique qu’après avoir accompagné un groupe de Pieds-Noirs revenant en Algérie, il eut une illumination : tous les P-N n’étaient pas partis, en 1962 ; il en était resté 200 000, et par conséquent « ceux qui étaient partis avaient dû avoir quelque chose à se reprocher ». Son papier serait aussi le fruit « de longues recherches », pendant lesquelles il prit aussi connaissance d’un film, dont il ne sut nous donner ni le titre ni le nom du réalisateur.

 

Jean-Pierre Lledo

J’ai l’intention de commencer par dire ce que je pense de l’article de P.D., mais Georges Morin m’en empêche : je dois dans un premier temps ne parler que de mon film. Ce que je fais, tout en signalant - Morin n’ayant pas cru nécessaire de le faire -  qu’il était toujours interdit de projection en Algérie. Et que suite à cela, les autorités algériennes, malgré leur pression, n’ayant pu susciter dans la presse que très peu « d’attaques », allaient chercher des appuis notamment de Français : l’historien J-L Planche, très proche de l’histoire officielle en ce qui concerne les événements de 45, venait en effet de me dire juste avant la rencontre qu’il avait envoyé à Alger un avis  « très méchant » sur le film à « un ami membre du FLN », et que ce dernier sans lui demander son avis l’avait fait publier dans un hebdo arabophone !

J’informai aussi le public, que P.D, m’avait contacté en Novembre, que je lui avais remis de nombreux contacts de P-N « restés », et même, après son insistance, un DVD du film bien avant sa sortie. Je dis aussi mon étonnement qu’il n’en ait fait aucunement mention, alors que mon film pourrait se résumer précisément par le thème du débat : « de quoi avaient eu peur les P-N ? », (sauf que ce sont des Algériens d’origine berbéro-arabo-musulmans qui répondent), et que mon film fut une seconde fois interdit de projection alors qu’il se trouvait en Algérie.

 

J’expliquai aussi mes 2 réserves quant à cette rencontre :

-          La LDH Toulon venait de censurer ma réponse à une attaque de Brahim Senouci (soulignant qu’en Algérie mes droits de réponse ont toujours été jusque-là publiés.)

-          des historiens ayant travaillé sur l’exode et ses raisons en avaient été exclus.

 

Je signalai enfin que le film cité par P.D, d’Asselmeyer, un réalisateur français, s’intitulait « Ils ont choisi l’Algérie » et donnait la parole à des P-N qui s’étaient engagés dans la lutte pour l’indépendance. J’informai aussi que ce film produit par le Ministère de la Culture fut présenté le jour de la Première, dans une version doublée en langue arabe, tous les personnages ayant parlé en français, sans que le réalisateur en soit averti. Et qu’à la sortie, le réalisateur fut accosté par une personnalité :

 

-          Votre film est excellent. J’espère que dans le suivant, vous parlerez des Algériens.

 

Sans commentaires !

 

Historiens

 

Gilles Manceron.

Il prend la défense de LDH Toulon.

Il aurait bien invité JJ Jordi si je le lui avais demandé.

Il trouve « intéressant » l’article de P.D. Mais ajoute que dans les années 70, il y eut des départs de P.N suite « à des déceptions ». Quant à mon film : « il s’en prend avec talent à des tabous de l’histoire officielle », mais :

-          On ne peut en conclure comme Lledo à une volonté d’épuration ethnique de la part du FLN pour expliquer le départ des P-N. Ce courant était minoritaire, comme l’a dit Harbi

-          L’OAS a joué aussi un rôle

-          On ne peut faire l’histoire de l’Algérie avec ce film. La Calère d’Oran n’est pas représentative de toute l’Algérie

 

-          L’art ne fonctionne pas avec du globalisant, mais avec de la métonymie. Je n’ai jamais eu l’intention de faire de « l’histoire ». Mon film est sur la Mémoire, un domaine bien spécifique de l’histoire, de plus par le biais d’une structure narrative proche de la démarche romanesque. Rien à voir avec la méthode compilatrice utilisée par Stora, par ex. dans « Années Algériennes ».

 

-          Les personnages nous font pénétrer dans la grande histoire par le biais de faits de guerre qui mettent en œuvre, 4 fois de suite, autour de dâtes marquantes de la guerre, une logique ethnique. On y tue du « gaouri » ou du  « Ihoudi ». Ce n’est pas moi qui l’affirme. Mais des Algériens d’origine berbéro-arabo-musulmane ! Pas une, pas deux, pas trois, mais une bonne douzaine de personnes ! « Les partisans du  nettoyage ethnique étaient minoritaires, comme l’a affirmé Harbi ? Je veux bien. Mais qu’on me laisse constater que c’est ce courant qui s’est imposé, tout au long de la guerre puis après l’indépendance.

 

-          Qui nierait que l’OAS a joué aussi un rôle dans l’exode ?! Encore qu’il faudrait ajouter que l’OAS, a aussi tenté dans un premier temps d’empêcher l’exode des Européens paniqués, allant même jusqu’à tuer pour en freiner le flux. En vain. Constatons juste que le terrorisme du FLN à balles, à bombes et à kidnapping contre des civils, a commencé avant son existence et après sa disparition.

 

-          Manceron n’a qu’à faire son enquête et il verra comment dans tous les endroits où ont habité de simples P-N, les souvenirs sont positifs. En présentant mon film dans différents pays du monde, j’ai rencontré des Algériens et tous m’ont cité de tels souvenirs, même dans le Sud des Aurès. Faut pas confondre le vécu des gens, avec l’analyse du système.

 

Georges Morin, président de séance.

Il ironise : « Y a tellement d’Arabes qui sont partis après 62, on n’allait pas demander aux Pieds-Noirs d’être plus patriotes ! »

 

Benjamin Stora

A chaque fois que quelqu’un fait quelque chose sur l’Algérie, il a l’impression de casser des tabous. Alors que des tonnes de choses ont été écrites.  Et notamment sur la violence.

Il se met alors à énumérer longuement toute une historiographie, (dans laquelle il figure en bonne place), qui m’oblige à demander à Morin puis directement, si ce n’est pas hors sujet…

 

 film J-P.L :

-          il est tombé dans le défaut majeur des novices : l’anachronisme, lequel en expliquant le passé par le présent, nous ramènerait à faire une anthropologie de la sauvagerie…

-          Et Stora de nous faire la leçon : en histoire, il n’y a pas que des continuités, mais aussi des ruptures….  Il aurait donc pu y avoir d’autres histoires possibles… Car si ca se répète, c’est qu’il n’y a pas d’histoire… mais un intemporalité archaïque.

article P.D :

Stora n’en dit rien de précis (parce qu’il y est cité comme « meilleur historien » ?).

Par contre, il poursuit sans doute à propos de mon film :

-          il faut mettre fin aux guerres de mémoires, arrêter de jeter de l’huile sur le feu et arriver à des compromis mémoriels. Il appelle les historiens pro « Algérie française »  à nous expliquer le sens de ce combat.

 

Si tout a été dit sur l’Algérie, notamment par Stora lui-même, si rien de nouveau ne peut donc être dit, là où il est passé, si donc mon film ne fait qu’enfoncer des portes que lui a déjà ouvertes depuis longtemps, alors Stora peut-il nous expliquer pourquoi ses livres se vendent à Alger, tandis que mon film, lui, est interdit ?

Ne devrait-il pas réfléchir aux propos de son aîné Marrou qu’un autre de ses aînés Vidal Naquet aimait répéter : on ne peut plus parler de la résistance aujourd’hui (années 50) comme on en a parlé juste après ?

L’histoire se renouvelle-t-elle uniquement avec la découverte de nouvelles archives ? Ou aussi grâce à de nouveaux questionnements qui sont presque toujours liés à l’actualité ? Notre historien ne devrait il pas savoir que le temps humain est un temps télescopé, et qu’il ne vit le passé qu’au travers de son présent, lequel ne fait jamais que raviver les traumas refoulés ?

 

Et si les causes de l’armée française et de l’ALN sont certes opposées, que faire si la torture de Massu ressemble à s’y tromper à celle d’Amirouche ? Et si les causes de l’ALN et du GIA ne sont pas identiques, quelle différence y-a-t-il pour le catholique et le juif d’hier ou le musulman d’aujourd’hui, tous trois pareillement étêtés ? La bombe qui arrache le bras d’une petite algéroise arabe en 1995, serait-elle différente d’une bombe qui arrache le bras d’une petite algéroise pied-noire en 1956 ? Et si les causes des gouvernements français et algérien sont certainement inassimilables, que faire si les mêmes lieux de torture resserviront après l’indépendance, un tortionnaire de la Sécurité militaire bien connu en Algérie, dit le Rouget, allant même jusqu’à dire : « Si Alleg nous tombait entre les mains, nous, on saurait le faire parler ! » ?

Un historien doit-il tenir compte des faits gênants, et inventer de nouvelles catégories pour les comprendre, ou les faits doivent-ils être aseptisés afin d’entrer dans ses anciennes catégories ?

Oui, bien sûr, toutes les histoires sont possibles, et personne n’en connait à l’avance la fin, sauf qu’il y en a une qui s’impose ! Et que c’est celle-là qu’il faut prendre en compte.

Il n’y a de guerres de mémoire qu’entre les partis, officiels, états. J’ai constaté au contraire que sur des événements tragiques où le sang a coulé, il y avait au contraire concordance de mémoires entre les simples gens qu’ils soient P-N ou berbéro-arabo-musulmans!

Est-ce le boulot des historiens « d’éteindre le feu »… et celui des pompiers de chercher la vérité ? Pour éteindre le feu, en tous cas moi je préfèrerai un vrai pompier. Et pour la vérité historique, un historien digne de ce nom.

Stora se défend de faire de l’histoire idéologique, ce serait l’insulter. Mais ne se contredit-il pas  alors en demandant à un historien pro-OAS de faire l’histoire de cet engagement ?!!!

 

Mohamed Harbi

 

Il n’intervient ni sur l’article de P.D, ni sur le thème de la soirée, ni directement sur le film auquel il réaffirme son soutien (il s’en était longuement expliqué dans le débat filmé du 14 Mars, cf site du film  :  http://algeriehistoiresanepasdire.com)

Par contre, avant de se déclarer en accord avec Stora sur les travers du finalisme en histoire, et le danger pour les cinéastes de ne pas tenir compte de cela, il développe une série de considérations qui visent à expliquer la violence de l’ALN :

-          c’est le colonialisme qui a empêché un développement pacifique de la lutte

-          les initiateurs de la lutte armée avaient peur de l’échec

-          la répression a laminé les élites politiques, ouvrières et estudiantines.

-          Le FLN était plus une conjonction de forces diverses, qu’un ensemble cohérent

-          Le courant d’épuration ethnique a été minoritaire

Le colonialisme aurait empêché un développement pacifique de la lutte anticoloniale ? Je crois que c’est exactement l’inverse. C’est le colonialisme qui produit un mouvement et une pensée que l’on appelle le nationalisme. Je ne sais si une étude quantitative du mouvement national a été faite mais sans risque de me tromper, je peux affirmer que durant les 50 premières années, ce mouvement n’a fait que croître (nombre de partis, militants, journaux, reunions, meetings, actions, syndicalisations, etc…  ). Ce qui a arrêté cette croissance, c’est précisément la guerre ! Et la conséquence : la fin du pluralisme. Et le putsch contre toutes les autres forces politiques, acte fondateur du FLN, deviendra vite la « tradition » des nouvelles élites.

Le colonialisme aurait généré la lutte armée, nécessairement ? Comment expliquer alors que d’autres formes de résistance ont aussi été générées ? Ne faudrait-il pas dire que cette résistance au système colonial a généré diverses pensées politiques, dont une a été le nationalisme plus ou moins « radical » ?

La lutte armée n’a-t-elle pas aussi été une manière de dépasser la crise politique du MTLD, comme nous l’ont expliqué ses initiateurs ?Mais depuis quand les armes ont-elles permis de mieux penser et de trouver de nouveaux concepts politiques aptes à  faire sortir d’une crise politique ? Les initiateurs de cette fuite en avant n’en ont-ils pas été les premières victimes (ce que l’on appelle chez nous, la victoire du militaire sur le politique).

Peut-on expliquer le recours à la violence ethnique par le fait de la montée des élites rurales prenant la place des élites citadines plus politisées ? La violence ethnique est-elle une explosion de violence spontanée populaire ou l’expression d’une pensée ethnique, laquelle est élaborée par des intellectuels ? Reda Malek, Ben Khedda, Ben Tobbal étaient-ils des ruraux illettrés ? N’ont-ils pas dit dans l’ordre :

« L’Algérie n’est pas un manteau d’arlequin » (R. Malek ds une réunion d’étudiants avant la guerre)

 « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. »  (R.M - « Accords d’Evian » - Le Seuil, 1990) :

 

« En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale » - (« La fin de la guerre d’Algérie », Casbah Ed. 1998 - Ben Khedda, qui fut président du GPRA)

 

« Ces textes sont purement tactiques. Il n’est pas question qu’après l’indépendance, des Juifs ou des Européens soient membres d’un gouvernement algérien. »  (Ben Tobbal, grand dirigeant de la Révolution algérienne, s’adressant en 1961 à des militants du FLN au Maroc, mécontents des Appels du FLN et du GPRA, invitant les Juifs et les Européens à se considérer Algériens et à rester dans leur patrie.

 - Archives du FLN par M. Harbi)

 

Cette constance à refuser d’entrevoir théoriquement et pratiquement la possibilité d’une Algérie multiethnique, est-ce en raison de la montée en puissance des ruraux, ou le péché congénital de toute pensée nationaliste qui se fonde sur des critères ethniques, lesquels ne peuvent mener qu’à une seule stratégie et tactique, celle de l’épuration ? Dans le cas algérien, l’Algérie qui avait été « arabo-musulmane » avant la colonisation devait le redevenir après. La nouvelle géographie humaine ? Une population « coloniale » à éradiquer !

DEBAT avec PUBLIC.

En prenant dès le début le parti d’interrompre brutalement notamment 3 intervenants, très divers, Morin, ne contribue pas à ce qu’un débat serein s’instaure :

Maurice Faivre, ex-général qui pourtant n’avait tenté que d’énoncer quelques chiffres, contredisant notamment celui de 200 000 présents en 62. Selon le Comité des Affaires algériennes, il restait en Algérie en Septembre 62, 100 000 personnes dont 50% n’étaient pas P-N. Ceux qui arrivent à obtenir la feuille de données dont la diffusion est aussi interrompue pourront connaitre son point de vue.

Dominique Cabrera, cinéaste P-N dont les parents ont quitté l’Algérie en 62, la première à avoir réalisé un film sur les P-N restés (« Rester là-bas »). Elle signale elle aussi que P.D a pris contact avec elle. Il se gardera d’évoquer ce film. Forcément puisqu’il censure notamment le récit d’un de leurs témoins communs.

Fanny Colonna, prof de sociologie, algérienne, engagée dans la lutte pour l’indépendance, et ayant vécu en Algérie jusqu’en 93, raconte notamment comment au moment de l’indépendance, les maisons ont été investies par des moudjahidine fracassant les portes, y compris chez elle. « Pourquoi ne dites-vous mot de l’endroit où se trouvent les enfants des témoins « restés » ? L’Algérie comme maison de retraite, était-ce l’horizon pour les P-N ? » s’exclame-t-elle ! Enfin elle demande à P.D, pourquoi cet article subitement, ce qui l’a motivé….

D’autres P-N arriveront quand même à faire entendre leurs voix, Mr Shapira, Mr Spina, Mme Ferrandis, Mr Ayache, et à énumérer les raisons du départ de leurs familles : nombreuses, diverses, mais toutes résumées par la Peur. Une peur objectivement fondée : le beau-père de Mr Bonnier, viticulteur de Bel Abbes, estimé par ses ouvriers, et voisins est égorgé chez lui, fin Juin 62, par, dit-on, des gens d’ailleurs… et non par racisme congénital comme le disait avec le concours de la « chercheuse » Branco, l’article de P.Daum. Peurs auxquels il faut ajouter diverses tracasseries et autres harcèlements administratifs visant à décourager de rester.

Il faudra que plusieurs personnes lui demandent pourquoi ses parents sont partis, pour qu’agacé Stora, juif constantinois, veuille bien daigner répondre :

-          J’étais petit et j’ai suivi mes parents. Mes parents sont partis parce qu’ils aimaient la France et comme la France est partie, ils sont partis avec elle ! tente-t-il d’ironiser.

Mr Spina, constantinois aussi, plus âgé, lui rappelle alors que sa famille est partie après l’assassinat de Cheïkh Raymond, ce qui a le don de le faire sortir de ses gonds.

 « D’où tu connais mon histoire ?! » s’écrit hargneusement en quittant la salle, l’historien qui quelques instants plus tôt appelait à la pacification des mémoires.

Et si, puisque de ce pas il nous quitta,  on allait voir dans un de ses derniers livres « Les trois exils » ?

« L’heure terrible du choix arriva dans l’année 61. L’assassinat de Cheïkh Raymond fut ressenti très douloureusement par toute la communauté juive d’Algérie. En 61, les violentes manifestations du FLN dans les villes à forte majorité juive soulevèrent un vent de panique. En quelques semaines, les communautés juives et chrétiennes se vidèrent comme par enchantement. » (page 135. Les Trois Exils).

Cet « enchantement » est ainsi vécu par sa propre mère : « Raymond a été assassiné en 1961. On l’a tué dans un marché, à Constantine. Tout le monde a été horrifié. ».  (page 159, idem).

Les parents de Stora sont-ils donc partis parce qu’ils « aimaient la France » ou bien à cause de ces mots, qui n’étaient pas que des mots « Horrifié… panique… heure terrible du choix… se vidèrent… » ? Et ceci avant même que ne se manifeste l’OAS.

Et c’est d’ailleurs, avec son autorisation, que nous irons chercher dans un autre passage de ce même livre (page 139) la réponse à Maître Gonon qui à 2 reprises posa avec véhémence la rhétorique question : « Et l’OAS n’a-t-elle pas été la responsable du départ ?! ».

« Dans les premiers mois de l’année 56, les agressions se multiplient, le samedi de préférence : contre le rabbin de Batna, en mai 56 ; contre les cafés juifs de Constantine, et en Juin 56, contre la synagogue d’Orléansville qui est incendiée. En Novembre de la même année, une bombe placée dans la maison d’Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, le tue ainsi que plusieurs membres de sa famille. ».

Liste concernant uniquement  nos « frères juifs indigènes », non exhaustive, etseulement pour les premiers mois de l’année 56, soit 5 années avant la création de l’OAS.

 

Boualem Makouf, ex-responsable de la JFLN après l’indépendance, et opposant au coup d’Etat de Boumediene, apparemment ulcéré par l’intervention de Fanny Colonna disant comment enceinte elle dut affronter des moudjahidine en armes qui s’étaient installés chez elle, se lance avec beaucoup de pathétique dans une longue description des tortures que d’autres patriotes algériens que lui subirent dans des bagnes.

Agacé dans un premier temps que le président de séance ne lui fasse pas remarquer qu’il était hors sujet, il m’a bien fallu me rendre à l’évidence. Il y avait bien pour l’orateur, un lien de cause à effet entre les exactions commis par l’armée française, et celles de l’ALN contre les Pieds Noirs.

Makouf, comme pour beaucoup d’autres, doit ignorer la remarque de bon sens de Camus : « Une grande, une éclatante réparation doit être faite, selon moi, au peuple arabe. Mais par la France tout entière et non avec le sang des Français d’Algérie » (« La bonne conscience », l’Express, 21 Oct 55).

Comme il semble aussi ignorer, malgré « La Question » d’Alleg, que le pathos ne fait que diminuer l’horreur de la torture. Même quand il s’agit de décrire celle des autres.

 

Le coup de grâce à la thèse de Pierre Daum (qui n’en pouvait, mais… )  selon laquelle n’étaient restés que ceux qui n’avaient rien à se reprocher, viendra, (involontairement ?), de Mohamed Harbi, lorsque répondant finalement à la question du débat, il  souligne en conclusion que « l’ex-Maire de Skikda qui se rendit coupable de crimes de sang en Août 1955 » reviendra tranquillement s’installer à Skikda pour ….. faire des affaires….. avec d’anciens moudjahidine…………..

 

Comment ne pas terminer enfin avec le vibrant et pathétique appel qu’une militante de la cause féminine, Sanhadja Akrouf, crut devoir lancer « à ses frères pieds-noirs».

Me tournant le dos sans doute pour que je ne me sente pas gêné, elle appela donc « ses frères pieds-noirs qui, hier encore de notre côté… »,  mais si profondément traumatisés par la violence de l’islamisme qui s’était abattu sur notre pays,  poussés eux-mêmes à l’exil, ne feraient plus la différence entre la violence (sacrée) hier de l’ALN et celle (honnie) aujourd’hui du GIA, et en conséquence de quoi étant donc aujourd’hui « … passés à l’ennemi »… elle les appelait du fond du cœur à se ressaisir, et leur tendait même la main pour les sortir de cette mauvaise passe.

Heureux malgré tout que nos combats passés pour les droits de l’homme aient laissé quelques traces de charité, et tout en te remerciant pour ta grandeur d’âme, permets moi Sanhadja de te confier deux ou trois choses.

L’ennemi pour moi, c’est ce territoire où la pensée n’a jamais besoin d’autorisation.

Après tant d’années passées loin des poseurs de bombes,  et autres amis gardiens de temple, ose donc aussi passer à l’ennemi, et va là où se poser quelques questions dérangeantes, vaut toujours mieux que rester prisonnier de ses vieilles certitudes, surtout quand on est déjà une très, très, très grande fille… 

Vouloir sauver les autres, n’implique-t-il pas d’abord de se sauver soi-même ?

 

PS.

Jacky Malléa, est venu de Perpignan pour annoncer la création d’une Association des pieds noirs progressistes et de leurs amis (PNPA). Il précise qu’elle sera « solidaire du peuple algérien ».

Moi, je croyais qu’un « Pied-noir progressiste » c’était quelqu’un qui se considérait « algérien » et qu’à ce titre, un de ses premiers devoirs serait de réclamer son droit à la Nationalité dont il a été exclu depuis l’adoption en 1963 du Code de la Nationalité, qu’en France, l’on qualifierait « d’extrême-droite », puisqu’il y était stipulé que pour être automatiquement algérien, il fallait avoir des ascendants… « musulmans » !

Mais pas un mot du problème dans la déclaration d’intention.

Malléa a dit que cette Assoc serait « solidaire du peuple algérien ». De quel peuple s’agit-il ? Celui de Tahar Djaout assassiné par le GIA ? Ou celui d’Ali Benhadj qui l’ordonna ? Celui qui sauva des Européens le 20 Août 55 et le 5 Juillet 62 à Oran ou celui qui les arrosa d’essence, comme il le fit aussi des harkis et leurs familles ?

Un de ceux qui appelle à la constitution de cette Association, est Jean Philippe Ould Aoudia, le fils d’un des enseignants assassinés à Alger, aux côtés notamment de Max Marchand et de Mouloud Feraoun, par le Chef des commandos Deltas de l’OAS, 3 jours avant les Accords d’Evian.

Cette abomination à l’endroit du père autoriserait-t-elle le fils à devenir censeur, et même à se déclarer fier de l’être, lorsqu’à la sortie, je protestai vivement que le site LDH Toulon dont il est un des animateurs, ait censuré ma réponse à Brahim Senouci ?

Jean-Pierre Lledo, Paris 28 mai 2008.


Dans son article, Pierre Daum fait intervenir un "historien de référence", comme il le dit, Benjamin Stora (mais pour en connaître un bon nombre d'honnêtes et d'impartiaux dans leur travail d'historien il ne me semble pas que la définition portée à celui de  B Stora soit des plus appropriée) qui intervient aussi, "référence oblige " (il semblerait que dans notre doux pays de France "L'on" soit en manque de diversité en terme de référence car, comme au sujet d'un "grand" dont on baptise le moindre pont ou coin de rue, en ce qui concerne l'Algérie, c'est toujours B.Stora qui revient! Mais il y a en plein de bon sacré nom de nom!!!) notre cher B.S qui semble avoir oublier les conditions de peur en 1962.
Alors, pour lui rafraîchir la mémoire, rien de mieux que ce qu'il a écrit à ce sujet dans un de ses ouvrages! Morceaux choisis.....


 






 






 










 

 

Benjamin Stora et l’exode familial

 

On peut trouver sur internet ce texte autobiographique de l’historien.

Contrairement à ce qu’il a expliqué le 26 Mai 2008, sa famille est bien partie parce qu’elle avait peur. L’historien écrit ce mot « peur » une bonne dizaine de fois. Il avait peur que son père ne soit assassiné. Et il dit aussi combien l’assassinat de Raymond choqua la communauté juive de Constantine.

 

Dans ma vie, il y aura toujours un avant et un après "16 juin 1962". Ce jour-là, avec ma famille, nous avons quitté Constantine, la grande ville de l’Est algérien, la troisième du pays par ordre d’importance, où je suis né et j’ai grandi. J’avais douze ans. Je suis allé vers un autre univers, dans l’oubli de la société d’Algérie dans laquelle j’ai vécu, et qui reviendra hanter ma mémoire bien plus tard.

Une ville haute et secrète
Enfant de culture citadine je ne connaissait pas les joies de la campagne. Il a fallu ma rencontre avec ma femme, avec qui je vis aujourd’hui, pour découvrir et aimer la nature. Cette origine citadine contredit un certain nombre de stéréotypes. Très souvent la tendance est de croire que les enfants d’Européens d’Algérie étaient des fils de colons. Ce n’est évidemment pas vrai.
J’ai toujours vécu dans une ville qui était doublement encerclée. D’abord sur le plan géographique, bâtie sur un rocher, d’accès difficile, assez impénétrable, pleine de ponts. Ce sentiment d’encerclement était très fort. Mais existait également l’enfermement à l’intérieur même de la ville. Durant les deux dernières années de la guerre d’Algérie, en 1961-1962, nous sortions très peu. Les enfants jouaient à l’intérieur des maisons, sur les terrasses principalement, ils ne s’amusaient plus dans les rues. Cette sensation d’encerclement géographique de la cité avec des gorges gigantesques et des ponts partout, se redoublait par l’enfermement né de la guerre, de ne plus être dans une ville ouverte, "normale". J’ai toujours éprouvé cette position très particulière : vivre dans une guerre et en même temps dans une ville haute, secrète, austère, "fermée".

Des frontières invisibles
Autre aspect de mon enfance, la vie dans un grand quartier juif, probablement le plus important de tout le Maghreb dans les années 1950.Il y avait près de 30 000 juifs à Constantine, la "Jérusalem du Maghreb". Je suis né le 2 décembre 1950 dans le petit appartement familial , au 2 rue Grand, au cœur du quartier juif qu’on appelait le Charah. Juifs et Musulmans y vivaient imbriqués les uns avec les autres, séparés du quartier dit "Européen". Mon père m’a expliqué que c’était là que j’avais été circoncis une semaine plus tard, par un rabbin du quartier.
Deux villes effectivement se juxtaposaient: la judéo-arabe, la vieille ville, où s’entassait une population extrêmement nombreuse, complètement mêlée; et l’européenne à Saint-Jean, de l’autre côté de la ville. Il fallait traverser le square Vallet, la place de la Brèche, remonter la rue Rolles de Fleury pour arriver place de la Pyramide. Là se trouvait le quartier européen. Je m’y rendais avec mes parents, mais nous sentions bien que c’était une autre ville. Une sorte de frontière invisible, qui n’était jamais dite, apparaissait sans cesse entre deux cités, deux univers. L’univers plus européen, "métropolitain", venait se plaquer sur un monde plus traditionnel, se référant au vieux passé de la ville. Il faut là signaler un processus.
Les Juifs qui, traditionnellement, vivaient avec les Musulmans, ont commencé à émigrer vers le "quartier européen" au milieu de la guerre dans les années 1958-1959. Ils utilisaient des arguments divers pour ce premier départ, comme c’est "plus moderne", "moins insalubre", mais cela indiquait une tendance, une orientation. C’était déjà le signe avant-coureur d’une ville traditionnelle judéo-arabe qui se modifiait et commençait à se vider de ses habitants au profit de la ville européenne, en attendant d’émigrer vers la "métropole", cette France mythique que bien peu connaissaient. A la fin des années cinquante, une partie de ma famille, du côté de mon père en particulier, avait déménagé dans le quartier européen où nous allions leur rendre visite le samedi après-midi. Mais avec mes parents nous sommes restés jusqu’au 16 juin 1962, rue Grand, Ce n’était pas le cas de l’ensemble de la communauté juive. La guerre avait séparé progressivement les communautés.
Je garde en mémoire cette frontière invisible, La sensation était forte de se diriger d’une ville à l’autre. Que l’on vienne de la place de la Brèche, ou que l’on remonte la rue Thiers, c’était pareil: à un moment donné, la frontière se devinait. Avec une autre histoire, des rythmes de vie et des sons différents. A la fin de la guerre d’Algérie, avec la création de l’O.A.S. en 1961, les manifestations pour “l’Algérie française" se déroulaient place de la Pyramide, dans le quartier dit européen. Je me rappelle, j’avais onze ans. La première manifestation pour "l’Algérie indépendante" à Constantine avait eu lieu rue de France, dans le quartier judéo-arabe. J’avais vu défiler fin 1961 des Algériens, qui arboraient le drapeau vert, rouge et blanc, avec le croissant en scandant "Algérie musulmane".

Les bruits de la ville
Constantine est une ville particulière, fermée, austère, où tout se passe entre les murs. Dès que l’on se trouve à l’extérieur, ce sont les convenances qui priment. Je garde en mémoire la vie quotidienne et la grande gaieté qui y régnait. Trop souvent,on a tendance à regarder une histoire par la fin, la tragédie, le départ, la séparation, la guerre, les attentats. Tout cela bien entendu a eu lieu. Mais, je me souviens aussi, quand j’étais enfant, de la gaieté qui régnait avec beaucoup de cafés et de musiques. La rue de France, prolongée par la rue Caraman, regorgeait de cafés fréquentés par des Juifs, des hommes bien sûr pour la plupart. Ce n’était pas seulement la ville de Raymond, le grand chanteur du malouf, la musique arabo-andalouse de Constantine. Des sons européens existaient aussi: Dario Moreno, Bambino, Dalida, la musique rock. Vraiment je me souviens de tout cela, du café en face de chez moi avec son enseigne "Jacky Bar", d’où s’élevait souvent les chansons d’Elvis Presley. J’écoutais, déjà, avant l’arrivée en France, les tubes de l’époque, les premiers succès de Johnny Hallyday. Les histoires de musique façonnent aussi un imaginaire autour de la ville. Une grande gaieté y régnait avec le temps des fêtes, des mariages, des circoncisions. Mon père allait quelquefois au café prendre l’apéritif avant de rentrer à la maison. Je l’accompagnais. Ca riait fort, ça parlait très fort, c’étaient les grosses blagues.
Beaucoup de salles de cinéma étaient aussi pleines à craquer. J’habitais en face du "Vox", très connu à Constantine; en 1959, il a changé de nom pour s’appeler le "Triomphe". De la terrasse de ma maison, j’entendais la bande son du film et j’écoutais ce que disaient les acteurs, avant d’aller le voir. C’était émouvant et drôle.
Je me rappelle des autres salles: l’"ABC", très beau avec son toit ouvrant; le "Casino", bien sûr, détruit après l’indépendance. Une vraie perte que ce vieux bâtiment d’architecture coloniale, absolument somptueux. Les films n’arrivaient pas longtemps après leur sortie mais étaient pratiquement programmés en même temps à Alger, Paris ou Constantine. C’est ainsi que j’ai vu Le pont de la rivière Kwaï dès sa sortie en 1957, Quand passent les cigognes, le Beau Serge de Claude Chabrol, Plein soleil de René Clément avec Alain Delon, les films sur la seconde guerre mondiale, les westerns. De là peut-être vient mon amour du cinéma. Parmi les bruits de la ville, il y avait aussi les chants religieux des innombrables synagogues du quartier du Challah, et l’appel à la prière du muezzin.

Dans la chaleur de la ville

Je garde vraiment le souvenir d’une ville gaie, où les gens faisaient la fête. Je le dis parce que souvent Constantine est associée à l’austérité. Elle était secrète, fermée sur elle-même comme on l’a vu, mais une proximité physique, une sensualité s’en dégageait et ses deux communautés étaient joyeuses. A l’approche de l’été, la chaleur était terrifiante la journée. Dès que le soir arrivait, il commençait à faire un peu frais, très vite les gens sortaient. Par petits groupes, ils flânaient du lycée d’Aumale vers la place de la Brèche, en empruntant la rue Caraman. C’était toujours la même promenade, mais les gens se connaissaient, se parlaient, se regardaient, se saluaient,… se draguaient. Passéo très méditerranéen comme en Italie et en Espagne. Dans cette complicité communautaire et citadine, tout le monde connaissait tout le monde. Et quand ma mère, beaucoup plus tard dans l’exil, sortait dans la rue, elle disait, tristement, "ici, pas une tête connue…"
Nous vivions en évitant prudemment le soleil. Attitude méditerranéenne que cette hantise de la chaleur, l’obsession perpétuelle de se protéger de la "fournaise". Dès que le soleil commençait à taper très dur, tout le monde se "cachait", se protégeait. Les gens vivaient en fait beaucoup dans les appartements, persiennes fermés. Je me souviens de ma mère et de mes tantes qui aspergeaient à grands coups de jets d’eau le carrelage en permanence pour rafraîchir les maisons. Geste fondamental! Pourtant, il y avait le grand problème de la pénurie et mes parents avaient fait construire un réservoir sur la terrasse. Il y avait des coupures plusieurs fois par jour et il fallait toujours faire très attention à l’eau (comme éviter de tirer la chasse d’eau pour un oui, pour un non). La vie se passait dans cette sorte de pénombre et d’obscurité dans la journée, pour sortir en fin d’après-midi. Le souvenir de cette pénombre est associé à la sensualité dans les appartements. Les gens vivaient dans une grande proximité qui réveillait le désir sexuel.
L’été, nous allions à Stora, une plage de Skikda (ex-Philippeville). Les
plus riches louaient des maisons. Nous, nous partions le vendredi pour le week-end. L’été, pour nous, c’était les trois mois de vacances: du 1er juillet au 1er septembre, c’était le rush vers la Méditerranée, aller à la plage, se baigner, se brûler au soleil, rire dans les retrouvailles familiales. La plage, c’était vraiment du 1er juillet au 1er septembre, pas au delà. Drôle de règle. Plus tard, quand j’ai vécu à nouveau au Maghreb, au Maroc, c’était pareil. Le 2 septembre au matin il n’y a plus personne sur les plages, alors qu’il fait aussi chaud que la veille. L’été, c’est dans la tête. Le départ à la plage était une véritable aventure. Une aventure assez balisée quand même puisque tout était préparé. Les femmes s’occupaient de la nourriture: couscous, t’fina, etc. et organisaient tout notre déplacement sur le plan matériel...
Je suis allé au hammam très tard avec les femmes. Il y avait aussi celui des hommes. J’avais de la chance: j’allais avec les femmes jusqu’à 8-9 ans! Jusqu’au jour où la gardienne du hammam a dit à ma mère "ça suffit! Il est grand le gosse!”
J’étais malheureux parce que je me suis retrouvé au hammam avec mon père, mais ce n’était pas pareil. C’était vraiment… difficile. La proximité des garçons avec les femmes dans les appartements, les hammam, servait d’éveil à la sensualité, au désir.

Des images de la guerre
Le 1er novembre 1954 éclate l’insurrection. J’avais quatre ans. Mais la première image de la guerre d’Algérie qui surgit dans ma tête, brutalement, c’est l’entrée dans notre appartement de soldats français qui observaient les gorges du Rhummel tandis que d’autres, en contrebas, tiraient avec des mitrailleuses sur les parois des gorges. C’était le 20 août 1955, les Algériens nationalistes étaient rentrés dans la ville. Ils avaient été repoussés, pourchassés. Installés sur les abords de la corniche, les militaires français tiraient sur ceux qui s’enfuyaient. J’avoue que ce fut une grande frayeur. L’autre image: les rues "barrées" par l’autorité militaire. Pour acheter le pain, faire ses courses, il fallait faire un grand détour. On ne pouvait aller d’une rue à l’autre. Je me rappelle les barbelés, les barrages, les chicanes qui ont fait irruption en 1957-1958. La troisième image très forte est celle d’un attentat. Je revois un cadavre, brandi à bout de bras, la nuit, par des hommes. Je ne sais plus qui c’était, j’avais à peine six ans, et c’était la nuit. J’avais observé la scène du balcon de ma grand-mère. Le cadavre était posé sur un brancard de fortune. Une image de mort directe faisait irruption dans ma tête. Ces trois images me sont restées.

La peur

La guerre était présente dans les conversations des adultes, bien sûr. Ils disaient tout devant nous. J’avais très peur. Enfant, je n’avais pas conscience que je pouvais mourir, par contre je me souviens très bien d’une chose, je redoutais la mort possible de mon père. Il vendait de la semoule et quand il partait le matin pour le travail, il devait traverser la rue de France avant de remonter vers sa boutique, rue Richepanse. Il faisait 300 mètres à peine, mais je craignais qu’il lui arrive quelque chose, qu’il soit victime d’un attentat. Longtemps j’ai gardé cette peur en moi. Lorsque mon père est décédé, plus tard, en juillet 1985, tous ces souvenirs, ces images sont revenus. Mon père m’a eu assez tard, à plus de 40 ans. Ce n’était plus un jeune homme et je le sentais très vulnérable.
J’avais plus peur pour la famille très proche que pour la famille élargie. En effet, j’avais je ne sais combien de cousins germains, d’oncles et de tantes mais dans la situation de guerre la famille se resserre: le père, la mère, ma sœur, c’est le regard d’enfant que j’avais. Parce que l’appartement était exigu je dormais dans une petite chambre et mes parents dans une autre, séparée par une petite cloison. La nuit, je les entendais parler. Ils étaient inquiets, surtout vers la fin de la guerre. Ils se demandaient s’il fallait rester ou partir et comment faire dans ce cas (ils ne connaissaient pas la France). Ces conversations murmurées à mi-voix dans la nuit m’angoissaient. Les parents s’imaginent toujours quand ils couchent les enfants, que ceux-ci dorment. Avec ma sœur, nous écoutions, à l’affût de la moindre information. Il n’y a rien de plus terrible pour un enfant que de sentir l’incertitude et la souffrance de ses parents. Le gouffre incertain qui s’ouvrait devant eux, et les peurs nocturnes s’ajoutant aux attentats, créaient un climat d’angoisse. Constantine a connu des irruptions brutales de la guerre comme le 20 août 1955, et quelques attentats à la grenade. Je me souviens aussi des plastiquages de l’OAS en 1961-1962. Presque toutes les nuits, j’étais réveillé en sursaut par le bruit assourdissant des bombes. L’OAS plastiquait les magasins ou les cafés des Algériens musulmans comme on disait alors. Vers la fin de 1961, les "nuits bleues" se succédaient. Il n’y avait plus de carreaux à nos fenêtres. Mon père les avait changés trois ou quatre fois, avant d’en avoir marre: il avait mis du plastique à la place des vitres.


Une photo de classe
Après la classe préparatoire, j’ai été mis à l’école Diderot qui avait une particularité: la "composition ethnique". Dans mon souvenir, il y avait dans ma classe à peu près quinze enfants juifs, sept à huit musulmans et sept à huit européens. A l’époque de l’école primaire, il y avait des enfants algériens. Sur les photos de classe, entre les juifs et les musulmans, il s’avère difficile de faire la différence. Ce sont des enfants d’Algérie. Mais quand je suis arrivé au lycée d’Aumale en 6e, le choc fut grand: il n’y avait pratiquement plus d’Algériens musulmans. Je ne comprenais pas ce qui s’était passé. Cette disparition me "travaillait". En outre, les manifestations étaient pro "Algérie française". Les élèves de Terminale se regroupaient dans la cour, dans les années 1961-1962, criant "Algérie française", "De Gaulle au poteau", "Vive Salan", etc. Le paradoxe voulait que ce lycée était implanté au cœur du quartier judéo-arabe, comme une enclave européenne. En tous cas, je le vivais ainsi.
De janvier à juin 1962, je n’allais pratiquement plus au lycée. Je restais à la maison, comme tout le monde. Nous n’avions pas de télé, seulement la radio. A la fin de ma scolarité dans le primaire, à l’école Diderot, la convivialité s’était effondrée entre Juifs et Musulmans. La haine intercommunautaire s’était développée à l’école. Un fossé terrible s’était creusé, tout le monde se méfiait de tout le monde et quand les gens se croisaient, c’est la peur qui l’emportait. La gaieté de 1959-1960 avait disparu en 1961.

La mort de Raymond
Enfant, j’avais intériorisé cette peur communautaire, d’autant qu’elle faisait référence à un événement lointain qui s’était imprimé dans l’imaginaire des Juifs de Constantine, avec les récits sur les affrontements sanglants du 5 août 1934, entre Juifs et Musulmans. Les "événements d’août 34" continuaient d’exister dans les conversations, bien plus que la période de Vichy où les Juifs de la ville avaient été chassés de la fonction publique. Cette peur a été ravivée le 22 juin 1961, avec l’assassinat de Raymond, le grand chanteur de malouf, Raymond Leyris dit Cheikh Raymond. Il avait été assassiné au marché. C’était le choc pour les juifs. Je m’en souviens bien. J’avais dix ans, je n’allais plus à l’école à cause des “événements". Ma mère qui, à l’époque, faisait le marché tous les jours, ne savait quoi faire de moi; une fois sur deux, elle m’emmenait avec elle. Quand les coups de feu ont retenti je me trouvais sur le marché d’en haut, place Négrier. La foule s’est immédiatement dispersée puis elle est revenue. "Ils ont tué Raymond!" C’était quelque chose d’énorme, de gigantesque. La communauté juive de Constantine était choquée, bouleversée. L’enterrement se fait tout de suite chez les Juifs, comme chez les Musulmans. Il y avait beaucoup de monde: enfants, femmes et hommes, toute la communauté était dans la rue. Il ne faisait pas très beau ce jour-là, ciel gris, soleil voilé. L’un de mes oncles avait dit, en regardant le ciel: "Raymond a été tué. Même Dieu le pleure". Je me souviens de cette phrase, et d’avoir suivi, avec mon père, le long cortège qui remontait vers le cimetière dans le haut de Constantine. Il était magnifique et se trouvait à côté du Monument aux morts qui domine toute la ville. Là-bas, les gens disaient: "On monte au cimetière". L’expression est restée: quand mon père est mort, ma mère me disait, à Paris: "On monte au cimetière". Je ne la contredisais pas. Une procession gigantesque a suivi la dépouille de Raymond qui a été enterré, si mes souvenirs sont bons, tout à fait au début du cimetière. C’était le grand tournant, le moment où ce qui restait de la communauté juive de Constantine en 1961 a choisi de partir vers la France. La question n’était plus de savoir s’il fallait partir ou pas, mais: "Qu’est-ce qu’on va devenir là-bas?"

Les préparatifs du départ
J’avais onze et demi, j’étais en sixième et je me souviens très bien de l’atmosphère de panique qui était née chez les Européens et les Juifs d’Algérie. Le départ ne s’est pas fait tout de suite après les accords d’Evian du 18 mars 1962, non! On s’interroge beaucoup maintenant sur ces accords, mais là-bas personne ne se préoccupait de les lire. La plupart des gens ignoraient leur contenu et n’avaient retenu que le référendum pour l’indépendance, fixé au début juillet.
Au fil des générations, et depuis le décret Crémieux de 1870, les Juifs d’Algérie se considéraient comme faisant partie de la communauté française. Ce référendum signifiait la fin de l’Algérie française. Le reste, comme avoir la double nationalité par exemple, ce n’était pas leur problème. Le referendum signifiait dans leur esprit la fin de la nationalité française. Les Juifs de Constantine, comme ceux de toute l’Algérie, ne voulaient pas revivre la période de Vichy où ils s’étaient retrouvés dans le statut de l’indigénat. Ils voulaient conserver la citoyenneté française obtenue depuis au moins trois générations.
Dès la fin mars et tout le mois d’avril 1962, les attentats et les plasticages de l’OAS ont alourdi l’atmosphère. La ville a été secouée par une série d’attentats au plastique. Dans une position d’expectative, de neutralité, les juifs ne pouvaient pas rejoindre l’OAS, organisation truffée d’anciens de Vichy qui les avaient exclus de la fonction publique quinze ou vingt ans auparavant. En même temps, ils ne pouvaient être avec le FLN, se vivant complètement français depuis plusieurs générations.
Fin avril 1962 mon père a pris la décision de partir. Mais il avait un double souci qui l’angoissait terriblement. D’abord, comment partir? Constantine n’étant pas en bord de mer, deux possibilités se présentaient: soit aller à Annaba (ex-Bône) pour prendre le bateau, soit partir par avion. Avoir des billets n’était pas du tout évident avec l’exode qui commençait, la panique. Je me souviens très bien que mon père avait opté pour l’avion, pour cela il fallait faire la queue. Les places étaient distribuées, données ou vendues, je ne me souviens plus, à la mairie de Constantine, en face de la place de la Brèche. La queue s’allongeait sur plusieurs centaines de mètres. Il fallait pratiquement dormir sur place pour être prêt le lendemain matin. Je me souviens que ma mère, ma sœur et mon père ont fait la queue pendant trois jours pour avoir les billets.

L’arrachement
Nous sommes partis le 16 juin 1962, parmi les derniers. Un camion de l’armée devait nous emmener à l’aérodrome militaire de Télerghma, à quelques kilomètres de Constantine. Je savais que c’était un départ définitif. J’avais tellement entendu mes parents en parler pendant un an, sur la terrasse, dans leur chambre, avec les oncles, que j’en avais acquis la certitude. Je savais que c’était quelque chose de très grave. Ce n’était pas un départ en vacances, mais une déchirure. J’avais onze ans, mais j’avais compris la gravité des choses.
Je me souviens d’une scène cruelle de ma mère nettoyant à fond l’appartement avant de partir. Jusqu’à la dernière minute, elle a lavé le parterre, juste avant de descendre l’escalier pour monter dans le camion. Elle a nettoyé complètement sans prêter attention aux réprimandes de mon père qui trouvait son attitude totalement absurde. Elle y était extrêmement attachée et le considérait comme une espèce de joyau, alors qu’il était tout petit. C’était l’attachement à une histoire. Cet appartement, elle l’avait quitté impeccable. Elle avait même fini par laver l’escalier.

Le "cadre"
Le deuxième souci de mon père était ce qu’on appelait à l’époque le "cadre", pour mettre nos affaires le jour du départ. Il faut imaginer un exode. Je me souviens de cette vision incroyable de la rue de France, avec des dizaines de personnes qui mettaient leurs affaires dans les "cadres". Mon père avait vu partir les gens qu’il connaissait, les voisins de palier, ses amis, ceux de son milieu social, ceux qu’il fréquentait en ville ou à la synagogue. Il avait réalisé que l’exode commençait et il a cédé, lui aussi, à la panique. Quand il a voulu partir, c’était trop tard pour faire le “cadre". Impossible de l’expédier: trop de monde et trop de demandes. Mes parents l’ont donc laissé avec l’appartement. Nous sommes partis chaudement habillés, alors qu’il faisait très chaud, pour une raison simple: nous ne pouvions pas mettre les manteaux dans les valises, cela prenait trop de place. Nous avions droit à deux valises chacun. J’en portais deux petites, ma sœur deux également, ma mère et mon père aussi. Quand on regarde les photos des rapatriés qui quittent l’Algérie en juin 1962, beaucoup portent manteaux et pull-over. Ceux qui ne pouvaient pas partir avec leur "cadre" emportaient avec eux avec le maximum d’affaires. Ceux qui partaient moins vêtus, cela signifiait que leur cadre était déjà parti. Ce n’était pas notre cas. En fait, mon père a cru jusqu’au bout qu’il pouvait rester en Algérie.
Il ne pouvait se résoudre à s’arracher de cette terre.
A l’aérodrome de Télerghma, nous avons attendu plusieurs heures sur le tarmac, avant d’embarquer, "emmitouflés" dans nos manteaux, sous un soleil de plomb. Mon père avait alors 53 ans, ma mère 46. Nous sommes arrivés de nuit à l’aéroport d’Orly où nous attendait mon oncle Robert. Mon père est revenu à Constantine en septembre 1962 chercher les meubles et… le "cadre"! Tout l’été mes parents étaient obsédés par cela, récupérer leurs meubles. A l’angoisse des discussions nocturnes sur la guerre avaient succédé celles de l’été 1962 sur le "cadre", la perte possible de nos affaires. Quand mon père avait dit qu’il retournait les chercher, ma mère avait dit non, "si tu retournes, ils vont te tuer". Lui savait qu’il ne risquait rien. Il soupçonnait deux de ses employés, Sebti et Smaïl, d’être au FLN, même s’ils le niaient. En effet, il était en contact avec l’univers politique algérien, connaissait personnellement Abdelhamid Ben Badis¹ car son magasin était en dessous de l’immeuble où habitait ce dernier. Mon père avait une culture de l’Algérie, qu’il m’a transmise d’ailleurs, et qui n’était pas celle de ma mère, plus traditionnelle, plus communautaire juive.
Il est donc retourné en septembre 1962; il a fait le cadre et il est revenu avec. Il nous a raconté son arrivée à Constantine. A l’aéroport de Aïn El Bey, il avait pris un taxi dont le chauffeur, qui était de Khenchela, le connaissait. Il l’avait reconnu immédiatement et s’était mis à pleurer en lui disait "pourquoi vous êtes parti? Ce n’est pas possible cette histoire; il faut revenir, c’est votre pays". Et il était resté avec lui le temps de son séjour, trois ou quatre jours. Mon père était extrêmement ému par cet accueil. Lui aussi avait pleuré. Il savait qu’avec le cadre expédié par Annaba, c’était fini. Il m’avait raconté qu’il était "monté" une dernière fois au cimetière pour voir la tombe de son père. Puis, quand je suis retourné à Constantine, en 1983, il m’avait demandé d’y aller et de prendre des photos. Je voulais exaucer ce vœu absolument et j’avais pris un appareil, mais j’étais tellement ému par ce premier retour, que je n’ai pas trouvé cette tombe. Je ne l’ai pas dit à mon père. C’était un mensonge, je ne pouvais pas lui dire autre chose.
Quand je suis retourné à Constantine en octobre 1985, j’ai retrouvé tout de suite la tombe mais mon père était mort le 1er juillet à Sartrouville en banlieue parisienne. Quand j’ai vu la tombe de mon grand-père, j’étais profondément troublé. C’était écrit "Benjamin Stora", je porte le même prénom. J’éprouvais la sensation étrange que c’était ma propre tombe qui était là, à Constantine.



1. Ben Badis (1889-1940), penseur et journaliste. Promoteur du réformisme musulman dans ses écrits et son mensuel Al Chihab (Le Météore) (1925-1939). Élu président de l'Association des oulémas, en 1931, il fut aussi un défenseur du nationalisme algérien.

Benjamin Stora

 

 

La vie dans un grand quartier juif, probablement le plus important de tout le Maghreb dans les années 1950. Il y avait près de 30 000 juifs à Constantine, la "Jérusalem du Maghreb". Juifs et Musulmans y vivaient imbriqués les uns avec les autres, séparés du quartier dit "Européen".

 

 

Claude Garcia, retraité FranceTelecom, président de l'ARAPREM (Association des Rapatriés d'Algérie (Harkis et Pieds-Noirs) Pour la Réconciliation des Mémoires.

Claude Garcia Président de l'ARAPREM

 


Ne pouvant pas aller à Paris pour ce débat du 26 mai 2008, je vous fais parvenir quelques réflexions.

De l'islamisme fanatique et barbare (5 juillet 1962 massacres d'Oran).

1° - Mon frère aîné Joseph était au grand séminaire d’Oran en 1959/1960, il était en avance sur ce qui sera par la suite le concile Vatican II. Une fois par semaine il allait à la salle de prière des musulmans de mon quartier à Oran (Cuvelier). Il rencontrait les religieux musulmans, discutait avec eux de religion. Il était heureux de ces échanges, jusqu'au jour où est arrivé un autre religieux fanatique avec lequel il avait des accrochages. Les autres religieux lui ont dit alors : « Joseph il ne faut plus que tu reviennes, c'est dangereux, même nous nous en avons peur. »

2°-  Demandez à Mohamed Harbi et à bien d'autres membres du FLN historique pourquoi  ils se sont réfugiés en France. Dommage que mon oncle Antoine Ramos soit décédé, c'était un militant communiste Il vous aurez dit que les communistes à Oran ont tenu une place importante.
Je vous relate quelques souvenirs : 

Je crois même me souvenir d’une municipalité dans laquelle ils avaient des Maires adjoints.
Je me souviens d’un défilé du 1° Mai, où ma mère m’avait emmené parce que ma sœur Denise qui travaillait à l’usine de pâtes Podesta y participait. Les femmes scandaient :
  -  On veut du pain, des pois chiches, des pois cassés.
Cela, me paraissait ridicule, voire risible, mais avec le recul et l’expérience de la vie, je comprends tout ce que cela pouvait signifier, c'est-à-dire juste avoir l’essentiel pour survivre.     
Mon oncle R…a mené sa vie de militant communiste avec ses frères musulmans jusqu’au renoncement de sa liberté pour une cause qu’il croyait juste, celle de l’Algérie indépendante. 

Un pays libre, juste et fraternel, dans lequel tous les enfants de ce pays qu’ils soient musulmans, chrétiens ou, juifs auraient leurs places.  Il a été arrêté pour subversion, et condamnait à cinq ans d’interdiction de séjour. Cela ne l’a pas empêché de rester à Oran, où il a été caché par la famille jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
Après le 5 juillet 1962, Il est resté en Algérie avec sa fille aînée Olga, jusqu’à la prise de pouvoir par Boumediene. A ce moment là, ses propres camarades, ses frères musulmans, lui ont dit :
-  Maintenant, il faut que tu partes, tu n’as plus rien à faire ici. 
Lui qui espérait faire revenir au pays toute sa famille, nous y compris, a dû être très déçu, mais je reste persuadé que malgré cela, sa conviction, ses idéaux, sont restés toujours intactes.

3° - Nous n'étions pas des racistes comme souvent vous (PD) le laissez entendre. Nous étions pluriels en Algérie, nous le sommes encore aujourd'hui. A la LDH vous semblez ignorer bien des choses. Que la situation était différente dans l'est de l'Algérie ou dans l'Ouest. La rébellion était légitime tout comme la révolte de l'OAS.  C'est ce qui c est produit par la suite qui est condamnable de part et d'autres.

4° Demandez à Mohamed Harbi de vous parler du congrès de Tripoli.

5° Que des gens face au fanatisme religieux se soient accrochés à une espérance.
C'était quoi l'Algérie Française? Une espérance trahie? Une Utopie? Ou simplement un besoin de paix et de sécurité face à la terreur barbare des islamistes du FLN?

Il y avait le concept du colonialisme franchouillard xénophobe.  Le concept intégrationniste républicain démocratique et laïque.  Le concept autonomiste indépendantiste d'un pays libre,
juste et fraternel, dans lequel tous les enfants de ce pays qu’ils soient musulmans, chrétiens, ou juifs auraient eu leurs places.
Ce n'est pas parce que tous les soirs les oranais martelaient sur leurs casseroles les 5 notes "Algérie Française" qu'ils étaient acquis à la cause de l'OAS. Non c'était un cri de désespoir qu'ils lançaient au monde entier.
Les Lopez, Sanchez, Martinez, Garcia, Gomez, Rodriguez et bien d'autres encore savaient qu'ils n'étaient pas considérés comme des Français à part entière, et que cette lutte Franco- Française ne les concernait pas.
Ils espéraient......Un grand homme était venu un 4 juin 1958 leur promettre l'Algérie Française.......... « Je vous ai compris »....  Des milliers d'hommes et de femmes, musulmans chrétiens, juifs y ont cru, c’est cela leurs drames.
- Le 13 Mai 1958 les Pieds Noirs signent leur arrêt de mort.

6° - Laissez ceux qui veulent s’accrocher à un nuage d’optimisme, laissez les se bercer au son d’un rêve… Détrompez vous, ils connaissent la réalité mieux que vous mais refusent de couper ce fil de l’espoir... c'est leur choix, c'est leur droit.
Alors peut-être que si chacun mettait un peu d’eau dans son vin… Je  pense que nous sommes tous des passionnés de cette Algérie, plutôt que d’en faire un élément de discorde, il serait bien d’en faire un ciment. Avec nos différences, nos contradictions, nos désaccords. 
Nous avons tous vécus cette histoire différemment, à des âges différents, dans des camps différents. Essayons de prendre un peu de recul. De toute façon si nous sommes tous là, autant les uns que les autres, c'est qu'il y a bien une raison, peut-être que quelque part nous nous recherchons. Afin peut-être de nous trouver ou de nous retrouver nous mêmes.
Essayons de faire de nos différences une richesse, nous possédons tous une partie, qu'une partie de cette Put... de VERITE.

Demandez avec nous la création d'une commission d'enquête parlementaire droite gauche avec réouverture immédiate de toutes les archives et des minutes des conseils des Ministres de l'époque. 



Christiane Garcia,témoin des évènement, "gardienne" des mémoires familiales.

Christiane GARCIA d’Oran

 

Je voudrais apporter mon humble témoignage sur certains évènements et peut-être répondront-ils à la question : De quoi les Pieds Noirs ont eut si peur ?

 

Je suis originaire d’Oran, à l’époque je devais avoir une dizaine d’années, nous habitions au Petit Lac à ORAN bien sûr.

 

Depuis quelques mois, une panique s’était emparée du quartier ou des gens de conditions modestes vivaient, aussi bien les européens que les musulmans, nous demeurions dans de petites maisons très simples avec une courette.

 

Ce devait être  en 1961 – oui car mon frère Patrick né en janvier handicapé , né avant terme car Maman vivait dans une frayeur intense , voyant des voisins se faire massacrer, des têtes d’européens tranchées roulant dans les caniveaux , le long des trottoirs ou massacrée d’une autre manière , attendant mon père – électricien de métier – qui avait été appelé et engagé dans les unités territoriales – armée supplétive- partir en mission, souvent dangereuse car les pieds noirs étaient les premiers à être envoyés dans des combats .Celle-ci vivait  dans l’angoisse d’un non retour nous étions déjà 4 enfants plus le 5ème.

 

Les Pieds Noirs vivaient terrorisés dans cette cité, les ouvriers civils, d’origine européenne, partant travailler très tôt le matin soit en usine ou chantier se trouvait enlevés par les Fellaghas découpés en morceaux et déposés devant leur porte.

 

Je me souviens note ment d’une famille, la famille SARIO, très gentils et serviables  qui était nos voisins d’en face, originaires de France et qui s’occupaient  souvent d’apporter leur aide aux algériens et même aux européens pour nous  remplir des papiers, nous conseiller dans l’administration. Monsieur SARIO était petit et bossu, un matin ce fût son tour d’être assassiné de la manière suivante : tué à coups de hache sa bosse arrachée et comme tous les autres, son corps  mis dans un sac et déposé devant sa porte, mais alors que sa femme à ce moment là, éveillée  à ouvert la porte, en hurlant devant les fellaghas en pleine action , donnant vite l’ordre à ses deux enfants de s’enfuir par le toit, Madame SARIO a été emmenée, traînée par cette bande d’assassins et commencé à être immolée, sa survie a été grâce à l’intervention des patrouilles qui étaient arrivées, à ce moment là (les exactions  des fellaghas étaient commises très tôt dans le matin pour ne pas être dérangés, je suppose).

 

Je tiens ce témoignage de Madame SARIO que nous avons pût voir à l’hôpital  avec mes parents, son corps était encore enflé et tout bleuit, je me souviens de son discours et de son état !

 

En ce qui me concerne, j’ai le souvenir c’était en 1961, un voisin musulman est venu trouver mon père lui disant : GARCIA, il faut que tu partes dans la nuit car c’est ton tour, on a reçu l’ordre de te tuer- tous les roumis doivent être massacrés – je te préviens car j’ai de l’estime pour toi sauve toi et sauve ta famille - j’entends encore ces paroles qui m’ont glacées le sang, je revois Maman pleurer. Cette soirée fut une soirée d’angoisse et de peur, mes parents  nous ont couché très  tôt, je me souviens avoir pris mon chien « Tony » et le serrer très fort contre moi pour me consoler, je ne pouvais dormir, j’entendais dans le silence mes parents qui conversaient espérant pouvoir s’en sortir et nous sauver, épiant le moindre bruit, regardant à travers les volets entrefermés- leur angoisse me tétanisait, cette nuit fut, pour la première fois ma plus longue nuit d’enfant. Très tôt au petit matin, nos parents nous ont réveillé, il a fallu vite nous habillés et monter dans notre vieille voiture – une Simca-. Il était temps, un groupe d’hommes surgit je ne sais d’ou, du toit me semble-t-il – se mirent à proférer des insultes, vociférant, d’autres arrivaient même quelques femmes étaient avec eux criant des « you-you ».

Papa grâce à sa présence d’esprit a pût démarrer sur des chapeaux de roues et rejoindre le quartier français où demeuraient mes grands parents paternels – quartier Victor-Hugo -. Par la fenêtre arrière je revois ce groupe courant, lançant des couteaux – ils ressemblaient à des loups dans mon image d’enfant, j’étais terrorisée, hurlant et pleurant à mon tour, paniquée. Ce choc émotionnel m’a beaucoup perturbé et il me semble être devenu amnésique sur mes premières années d’enfance car je n’ai plus de souvenirs lointains où je refuse totalement de m’en souvenir – hors la mort de mon grand-père paternel-.

 

Voilà une des raisons que les Pieds-noirs ont eut d’avoir peur : sauver leurs familles car tous devaient être massacrés.

 

Du côté de ma famille maternelle un autre témoignage que je peux apporter :

 

Mes grands parents maternels de condition très, très, modeste  vivaient rue du soleil à Sidi Bel Abbes où la majorité des familles demeurant dans de humbles habitations étaient majoritaires des algériens ( je me souviens ce qui me choquait c’est qu’il y avait une dizaine wc qui se trouvaient dans une espace de place car les maisons individuelles n’avaient pas de wc intérieurs) également d’une très vieille algérienne qui marchait pliée en deux avec une canne et qui, nous enfants, nous effrayait car souvent nous devions faire des bêtises , celle-ci  nous menaçait avec sa canne. (ce n’est qu’un simple souvenir car j’avais très peur de cette dame âgée).

 

Pour en revenir à mes grands parents, malgré les conseils de mes parents pour regagner la France  car ceux-ci ne tenaient pas spécialement à venir y vivre car ils se trouvaient en assez bonne relation avec leurs voisins et n’ayant connu que leur rue pour ainsi dire – le plus grand voyage de mon grand père alors qu’il était jeune ayant été appelé « au levant » pour servir d’interprète car il parlait très bien l’arabe et aussi car mon grand père voulait percevoir sa misérable  paye de retraite, mal leur en a prit de ne pas partir plus tôt.

 

Le 1er juillet 1962, leur fille , Carmen LOPEZ âgée de 18 ans trouvait la mort tuée. Leur fils qui était encore mobilisé dans les GMS (Garde Mobile de Sécurité également armée supplétive) a dû venir pour s’occuper de l’enterrement de sa sœur et des papiers car mes grands parents ne savaient pas lire, ni écrire comme beaucoup d’anciens d’ailleurs.

Mon oncle Eusébio LOPEZ à son retour sur la route qui rejoignait Sidi Bel Abbès à Oran a été porté « disparu » il n’a jamais pût rejoindre sa caserne et on ne sait absolument rien de sa mort.

Disparu,  malgré de nombreuses recherches, son corps ne nous a jamais été rendu ou retrouvé, il a laissé une femme et deux  petites filles.

 

Mes grands parents aujourd’hui décédés se sont sentis fautifs toute leur vie de ne pas être partis plutôt ayant voulu croire qu’ils pouvaient rester dans ce qu’ils croyaient être leur pays.

 

Voila ci ces témoignages peuvent apporter une réponse à votre question !

 

Il était clair que tous les européens devaient être terrorisés car s’ils ne partaient pas avec leur valise, ils n’avaient plus que le cercueil.

 

Les ordres étaient ainsi et même votre propre voisin voir même ami algérien recevait des ordres car autrement c’était leur propre famille qui était assassinée et cela s’est largement vu aussi pour ceux qui refusaient d’obéir aux ordres.

 

Voici mon humble témoignage, je n’exagère absolument pas c’est la simple vérité !

 

Je déplore que certaines personnes n’ayant même pas de vécu en ALGERIE s’octroient le droit de raconter des inepties sur le propre vécu de nos parents car ils ont énormément soufferts et cela n’est pas assez démontré, soufferts dans leurs chairs, de la perte de leur pays, de leurs voisins qui souvent eux aussi menacés ont dû subir le joug du FLN. De toute cette trahison et se trouvent ?même nous ENFANTS « amputés » car nous avons un manque.

 

Il est important d’écrire cette MEMOIRE avec des êtres vivants, des deux côtés de la Méditerranée d’ailleurs pour apaiser  cette souffrance.

 

Et la pensée unique  que ce soit la LDH ou autre personne, voire même des historiens de renommé me désole et me peine énormément car j’ai l’impression de subir, à nouveau, toute la souffrance de nos parents et certains d’entre nous qui étions enfants ou adolescents à l’époque ressentent cette douleur.

 

Encore aujourd’hui quand ce genre de colloque ou débat s’organisent, nous en sommes exclus et jamais invités pour dialoguer, communiquer, nous faire entendre également, vous devez nous écouter car nous sommes les otages de cette histoire et l’héritage que nos parents nous ont transmis est tout simplement notre HISTOIRE et notre VECU.

 

 

Christiane GARCIA

Née en 1952

Originaire d’ORAN

Fait le 23/05/08


Hervé Pupier, informaticien, 47 ans, de l'est algérien.

Pour le 26 Mai et après papier P. Daum

 

Hervé PUPIER 

Par analogie je dirais  que la faute coloniale de la  France pourrait être assimilée à un viol de l’Algérie.

Et de ce viol sont nés deux enfants : l’un européen arabisé et l’autre musulman francisé.

Je pense que beaucoup ici, ne supportant pas l’idée de cette faute, de ce viol, n’arrivent pas à en reconnaître les enfants qui en sont la conséquence.

Car reconnaître la conséquence, c’est se retrouver en face de sa faute.

A l’extrême-droite on s’en prend à l’Immigré arabe et dans la "clique" de Daum on s’en prend aux  Pieds-Noirs.

D’où un déni de tout, et un réflexe qui pousse à culpabiliser l’autre ou à nier sa douleur.

Cette analogie peut expliquer aussi le désir de reconnaissance des PN et des émigrés algériens. Chacun d’eux cherchant à être adopté, accepté.

Si j’ai bien compris, les Pieds-Noirs auraient pu aisément rester en Algérie en 62.

Le PN aurait donc deux fautes de plus à son actif (parce qu’un Pieds-Noirs  se trompe forcément ! « S’il ne se trompait pas je serais coupable » doit penser Daum) : celle d’avoir fui alors qu’il n’y avait aucun risque, et celle de se plaindre pour rien - pas de plainte, donc pas de souffrance….

….On parle d’une guerre civile où le voisin, l’ami, peut être le meurtrier. Ce genre de guerre est épouvantable car l’ennemi n’est pas de l’autre côté d’une frontière. Il est à côté, tout près.

C’est ce genre de guerre  qui, par la PEUR qu’elle génère, provoque les exodes.

 Par contre j’ai souvent entendu mon père et d'autres PN dire qu’ils partaient d’Algérie en étant sûrs d’y revenir. Ce qui montre les liens entre PN et Musulmans et confirme aussi la période de peur qu’ils ont connue.

                                                                        Hervé PUPIER , 23 mai 08 


 Maurice Faivre, historien, présent dans le public le 26 mai.

 

Commentaires de Maurice FAIVRE1

sur l’article de Pierre Daum et Aurel 2

Sans valises ni cercueil

 Suivi de commentaires sur Débat à la mairie de Paris

Du  26 mai 2008

 

Cet article est remarquable, parce qu’il met en lumière la différence entre la mémoire (unilatérale par définition), et l’Histoire, qui s’efforce d’expliquer les faits, en les replaçant dans leur contexte, sans parti-pris idéologique .

Les journalistes ont recueilli 9 témoignages, Hélène Bracco 60. Leurs témoins, aussi sympathiques et émouvants qu’ils soient, sont à comparer aux 300.000 familles rapatriées. Cela fait déjà une différence de poids. Il faut  ensuite examiner les documents qui traitent des disparitions de1962, et des relations intercommunautaires, et relever quelques erreurs.

 

Enquête sur les disparus : sur 3.800 dossiers consultés, 650 sont de fausses disparitions, 900 ont été libérés de prison, restent  2.000 présumés décédés (et non 25.000 comme le prétendent certains), dont 320 avant le 19 mars 1962. 158 cadavres seulement ont été localisés, ce qui explique que le mur des disparus de Perpignan a permis aux autres familles de faire leur deuil. Les listes ont été diffusées par les Affaires étrangères en juillet 2004 et corrigées en juillet 2005. L’incertitude demeure pour les militaires disparus.

Les enlèvements de 1962 ont concerné des agriculteurs et des petits fonctionnaires habitant  les quartiers périphériques. 10% de femmes, 115 chauffeurs, mais non les membres de l’OAS qui demeuraient au centre des villes. La wilaya 4 (Algérois) et la zone autonome d’Alger (Azzedine écrit que l’exode massif est aussi la conséquence des enlèvements ) ont constitué des équipes chargées de pratiquer des enlèvements. Le vol de la voiture, de la ferme ou de l’appartement est parfois le motif de l’enlèvement. La réclamation de l’impôt révolutionnaire, et la saisie des récoltes, sont aussi  des causes de départ

 Les faits portent à croire, écrit l’historien Pervillé, que l’expulsion des pieds noirs et l’appropriation de leurs biens fut le principal but inavoué de la Révolution algérienne. La corruption des responsables du FLN demeure une des tares de l’Algérie.

Selon le Comité des Affaires algériennes, il restait en Algérie - en septembre 1962, 100.000 Français dont 50% ne sont pas des pieds noirs - en mars 1965,  92.000 Français comptant 37.000 coopérants. Bruno Etienne compte 800 Français ayant demandé leur naturalisation au bout de trois ans ; 260 sont des prêtres et des religieuses, et 300 des épouses à la double nationalité. Les pieds noirs restés en Algérie constituent donc une minorité.

 

Erreurs factuelles ;

- on ne connaît pas l’origine des coups de feu le 26 mars et le 5 juillet ; les manifestants de la rue d’Isly  n’ont pas cherché à forcer les barrages, mais ont essayé de négocier leur passage. Les résultats sont de 66 tués le 26 mars et  350 disparus le 5 juillet à Oran,

- les enlèvements n’étaient pas ignorés, ni les charniers, tous les journaux en faisaient état,

- après la trêve unilatérale de mai à septembre 1961, il y a recrudescence des attentats du FLN, qui sont plus nombreux que ceux de l’OAS jusqu’au mois de mars 1962,

- en août-septembre 1962, les combats entre la wilaya 4 et l’ALN de Boumediene ont fait des centaines de morts par arme à feu ; l’anarchie de l’été 1962, les soulèvements ultérieurs et les coups d’état militaires contredisent  la vision irénique de JR Henri,

- les meilleurs historiens de l’Algérie sont pour moi G.Pervillé, D.Lefeuvre et J.Frémeaux.

 

Relations entre les communautés3

Le racisme des uns et des autres doit être nuancé, comme l’ont montré Daniel Lefeuvre et Jacques Frémeaux . Le sentiment de supériorité de celui qui laboure en tracteur, sur le fellah qui fauche à la serpe, apparaît naturel. Les communautés étaient juxtaposées, sans connaissance réciproque, sans mariages mixtes en raison de la religion, ni apartheid (légende du trottoir ou de l’autobus réservé aux Européens). Mais on fêtait Noël et l’Aïd Kebir.

Le film de JP Lledo met en évidence deux catégories d’Algériens :

- le fanatique qui exécute l’ordre de tuer  des innocents pour effrayer les femmes,

- l’homme du peuple qui se souvient des bons rapports qu’il entretenait avec ses voisins.

Parmi les hommes de bonne volonté, il faut ranger aussi les nationalistes qui considéraient les Européens comme des citoyens Algériens à part entière (F.Abbas, Messali Hadj, B.Krim, le FLN en 1954 et à la Soummam).

En revanche, de nombreux militants sont à ranger dans la catégorie des « éradicateurs » :

-   - en 1942 Lamine Debaghine souhaite créer un fossé irréversible avec les Européens,

-   - le slogan « la valise ou le cercueil » apparaît en 1945 à Constantine,

-   - en 1946, Ben Tobbal rejette les Européens, à l’exception des Juifs,

-   - en août 1955 Zirout Youssef ordonne de tuer les infidèles et  de les rejeter à la mer,

-   - en juin 1956, le FLN d’Alger ordonne de descendre n’importe quel Européen de 18 à 54 ans

-   - en mai 1962, le Congrès du CNRA décide de récupérer les richesses nationales (terres nationalisées en 1963,  mines en 1966, l’industrie en 1968, le pétrole en 1971),

-   - en octobre 1963, l’Assemblée algérienne adopte un Code raciste de la nationalité, rejeté par les libéraux tels que Mlle Lavalette et les abbés Bérenguer et Scotto,

-   - en 1977, Ben Khedda célèbre le triomphe de la révolution qui a réussi à déloger un million d’Européens, et qui a obtenu l’unité du peuple, un seul peuple de culture arabo-islamique,

-   - en 1989, Ben Bella  confirme : je ne pouvais concevoir une Algérie avec un million et demi de pieds noirs.

 

-    

 La réconciliation possible

Il y a des signes d’évolution.

Les voyages de pieds noirs en Algérie montrent que le peuple les accueille avec sympathie. Même des anciens combattants ont été accueillis dans l’Aurès en 2005 et 2008.

Les responsables du parti unique et les islamiques semblent en revanche s’opposer à toute réconciliation. Le pouvoir algérien poursuit aujourd’hui les chrétiens et les musulmans convertis. En France, par dérision ?, d’anciens terroristes sont reçus comme des héros par les médias.

- 

-Débat à la mairie de Paris

le 26 mai 2008

 

Organisé par la Ligue des Droits de l’Homme, le Monde diplomatique et la mairie de Paris, à l’occasion de la parution de l’article de Pierre Daum : Sans valise ni cercueil, les pieds noirs restés en Algérie, et après la sortie du film de Jean-Pierre Lledo : Algérie, histoires à ne pas dire, le débat s’est  prolongé de 19 à 22 heures.

En fait on ne peut pas parler de débat. Une grande partie du temps a été consacrée au film de Lledo et à sa polémique avec la LDH, sujet qui n’intéresse personne. La parole a été ensuite monopolisée pendant 1 heure par le président de séance et par trois historiens qui étaient d’accord avec l’auteur de l’article, ou qui traitaient de problèmes hors sujet (entre autres, la bibliographie algérienne, ou la répression des nationalistes par une armée totalitaire). Les auditeurs n’étaient autorisés qu’à poser des questions, ou à raconter leurs souvenirs personnels.

La thèse du journaliste P. Daum, selon laquelle les pieds noirs n’étaient pas menacés en 1962,  (ignorant les enlèvements et les exactions du FLN, ils sont partis parce qu’ils avaient quelque chose à se reprocher), aurait mérité un examen historique sérieux.

Seul JP Lledo a pu apporter des arguments solides sur les relations intercommunautaires, qui n’étaient pas aussi conflictuelles que le prétend P. Daum. L’adjoint au maire de Paris a reconnu de son côté que la peur était à l’origine de l’exode.

Le débat  sur les erreurs historiques énoncées dans l’article a été éludé. Deux questions restent posées aux historiens : combien des Français restés en Algérie étaient véritablement des pieds noirs, et pourquoi leur nombre a peu à peu chuté, mettant en évidence l’impossibilité de vivre en milieu fermé, face à un gouvernement xénophobe et à la montée de l’islamisme radical.

 


1 je ne suis pas pied noir, ni engagé politiquement, mais attaché à la vérité historique.

Officier en Algérie pendant 5 ans, dont 1962 au 2ème Bureau du Cdt en chef, j’ai connu des colons, mais fréquenté surtout les musulmans du bled. Vice-Président de la Commission française d’Histoire  militaire, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, du Conseil scientifique des Mémoriaux (quai Branly et Marseille), j’ai consulté des centaines de cartons d’archives (Comité des Affaires algériennes, Commission de sauvegarde du droit et des libertés, CICR Genève), j’ai écrit 8 livres sur l’Algérie, participé à 6 ouvrages collectifs, et dirigé l’équipe de chercheurs sur les civils disparus (rapport remis au Premier ministre en novembre 2006).

2 Le monde diplomatique de mai 2008.

3 pour ne pas surcharger le texte, je ne précise pas les références des déclarations et des documents cités.

 

 

Appel de Jean-Marc Richard, Proviseur Honoraire.

MESSAGE A MES COMPATRIOTES PIEDS-NOIRS

Jean-Marc RICHARD

 

 

Nous étions enfants de la même terre.

   Le système colonial avait classé les choses : l’indigène en retrait, l’européen et le juif en avant.

   De là découle le mal qui tua chacun.

   L’homme du retrait voulait aller de l’avant, et beaucoup de ceux de l’avant refusèrent l’avancée des autres.

   Pourquoi ?

   C’est la question simple que tout Pied-Noir doit se poser aujourd’hui.

   Entre sa prééminence et le progrès de tous ceux qui n’étaient pas lui, a-t-il fait en temps voulu les choix que lui imposaient la justice et l’attachement au pays ?

   Sait-il combien sa sueur, ses larmes, son sang, de plus d’un siècle, ont été dilapidés pour des intérêts financiers totalement étrangers au quotidien de Bab-El-Oued ?

   Il faut le dire : le peuple Pied-Noir à également été victime de la colonisation ; une sorte de victime collatérale.

   Quant à l’Algérie, sans ses enfants partis et souvent chassés , elle a perdu la force d’être une démocratie prospère.

 Ainsi les Pieds-Noirs, les Harkis, des intellectuels brillants, des entrepreneurs efficaces, de véritables combattants de la guerre d’indépendance, se retrouvent avec la douleur du pays perdu et le sentiment commun d’avoir été mystifiés ; dans chaque camp.

   L’amour de l’Algérie devrait les rassembler.

Jean-Marc RICHARD


Des témoignages....



Hervé Cuesta....


 

Suite à la demande d’ Eric WAGNER du 04/12/08, voici mon témoignage :

 

Bonjour Monsieur LLEDO!

 

Merci de me contacter et d'avoir retenu mon témoignage

Nous vivions dans un paradis terrestre à cap Caxine à l’ouest D’ALGER, attendant que la situation se calme depuis Pâques 1962…

Ben Bella tous les  quart d'heure à Radio Alger (France V) nous promettait une vie heureuse dans l'Algérie nouvelle "Français d' Algérie, PN nous avons besoin de vous pour construire l' Algérie nouvelle. Il ne vous sera  fait aucun mal......"

 

C'était sans compter sur l'ALN qui faisait une vraie chasse au sorcières....

Mon copain d'Usine a été enlevé sur la route de Chéragas en partant de chez nous du cabanon. Il a été frappé puis relâché après avoir subi un tribunal (des gens passaient, un sac de pommes de terre sur la tête avec 2 trous pour les yeux,  et disaient si c’était un "bon" ou un mauvais"

Entre temps l’ALN est venu un soir perquisitionner les 3 cabanons où nous vivions comme au paradis. C’était devenu  l' enfer: nous n' oublierons jamais ce que nous avons subi. Ils cherchaient des armes...

Le lendemain vers 14 heures (nous faisions la semaine coloniale)  en revenant de Belcourt où je travaillais, j’ai été arrêté par une patrouille de la Willaya 4; quand j’ai vu que le chef (un vieux fellagha) lisait mon permis de conduire  à l' envers,  j’ai compris...

Il s’est dirigé vers moi et avec la crosse de sa mitraillette il m'a frappé à la tête; ses collègues, un autre vieux et des jeunes tous de mon âge (j’avais 19 ans)  et même plus jeunes, se sont rués sur moi et m’insultaient "sale PN, tu es de l' OAS..." Eux aussi me tapaient avec leur crosse là où ils pouvaient. Je me protégeais en leur disant que si je n’étais pas parti fin juin, c’est que je n’avais rien à me reprocher. Cela ne les a pas calmés...

J’ai pu me sauver en poussant mon scooter Vespa qui d’habitude, ne démarrait plus lorsqu’il était chaud.  (Mauvais réglage des vis platinées) . Ils me pourchassaient et par miracle le moteur est reparti…

Mon père me voyant arriver la tête en sang m’a mis à l’abri chez une amie à Alger et a retrouvé mon copain  M. P. qui venait d’être relâché.  Nous avons été voir le directeur de l' Usine qui nous a fait une lettre pour être embauché à Montrouge à Paris, le 1 ou 2 septembre. Puis mon père a fait le nécessaire et nous a mis dans le prochain Kairouan  avec la 4 chevaux de Michel et ma Vespa. Le bateau est parti vers 12 heures 30 le  7 août

Nous étions depuis 05 heures et demi du matin,  à faire la " chaîne" dans une foule que vous imaginez

Quand c’est arrivé à nous (nous étions paniqués) le flic ou douanier m’a demandé mon autorisation parentale (j’avais 19 ans et mon père et moi avions oublié que j’étais encore mineur)

Il n’a voulu laisser partir que mon copain; nous l’avons supplié car tous les 2 on avait du travail à Paris le 2 septembre (mutés par notre Usine d’Alger, la S.F.R.A.) et mon copain et moi nous ne connaissions pas la France, et n'avions aucun point de chute.

Le flic m’a dit "si tu vas chercher ton père je ferme les yeux"

Je suis retourné comme un fou avec un taxi à cap Caxine.

A l'aller le chauffeur Arabe me demanda pourquoi j’avais peur et pourquoi je fuyais.... Je lui ai expliqué. C’était un brave type d’une trentaine d’années.

Avec mon père nous sommes revenus dans le même taxi; le chauffeur n’arrêtait pas de nous dire "ne partez pas, sans vous nous sommes foutus"

A la fin on pleurait tous les 3 dans le taxi...

J’ai pu monter à bord avec mon copain qui était mort d’inquiétude

Au moment de larguer les amarres,  un silence de plomb sur le pont du bateau et nous avons vu arriver une patrouille FLN ; mon copain et moi nous nous sommes serrés croyant que c’était pour nous...

 Il faut préciser que mon cousin Patrick CUESTA a failli être tué à Chéragas par le FLN le 9 mai 1962; M. P. étant de Chéragas, nous avions fait le rapprochement, surtout que lors de la 1° arrestation de Michel au cabanon, les militaires avaient pris notre identité. Nous étions un peu paranos. Bien plus tard nous avons appris que la 1° arrestation de Michel n’avait rien à voir avec l’attentat de Patrick mon cousin,  mais que nous avions été dénoncés par un collègue Arabe  (Chaabi) de l’Usine SFRA de Belcourt...

 

Au bout d’un long moment la patrouille est repartie avec un jeune comme nous,  les menottes à la main...

Nous l’avons tous regardé en silence et dans ce regard, il y a avait un sentiment indescriptible : de la pitié, de la rage et un soulagement qui  se résumait "le pauvre, ouf ce n’est pas nous... "

Je ne vous raconte pas la perquisition subie au cabanon: il y a de quoi écrire un livre…

 

Voila dans quel état nous sommes partis et à l’arrivée à Marseille le CRS qui nous a fouillés,   m’a dit avec un regard de haine en ouvrant ma valise: "que du linge neuf ! "  J’avais  tellement dégoutté et crevé par les 27 heures de tempête,  que je n’ai pas pensé à  lui dire "j' aurai du  laisser les habits neufs là-bas?"

Ce n’était que le début du "chaleureux accueil de la métropole"... Ce CRS et la population Métropolitaine avaient été bien « formatés » par une certaine presse et les politiques de l’époque ; merci les médias !….

 

Je vous signale que je suis (comme beaucoup de PN) toujours suivi par un psychiatre et que j'ai failli être hospitalisé 2 fois, pour dépression nerveuse... 

Quand mon père m'a embrassé au départ du Kairouan,  je lui ai demandé "quand est-ce qu'on se revoit?"

Il m’a dit dans 3 mois, le temps de vendre l'appartement qu’il avait acheté en copropriété 1 an avant (quelle naïveté...) et vendre aussi le pas-de-porte de la papeterie de ma mère, rue Dupuch à Alger....

Or, toute la famille,  mes parents, ma sœur de 17 ans et mes 2 frères de 7 et 5 ans étaient dans le bateau le 15 août 1962  (soit une semaine après...) tant la situation était devenue dangereuse et pénible…

 

Un des cabanoniers  Jean BERTHIER a été égorgé devant sa femme, sa belle-mère et son bébé de 18 mois. C’était la débandade; en 8 jours les cabanons se sont vidés. Nous étions les 3 dernières familles (Berthier, Vardis-Spiteri et Cuesta). Au début à Pâques, nous étions 8 cabanons, et petit à petit ils se vidaient; ce qui nous a permis de déménager à chaque fois: nous sommes partis du cabanon le moins cher près de la route du phare,  et nous avons terminé dans la villa du grand-père Selva à qui appartenaient les cabanons. C'était le bonheur, l'insouciance et le plaisir de la mer, de la pêche... Nous avions une jolie plage pour nous, 3 "pasteras" et tout le matériel de pêche laissé gratuitement  par les voisins...

Mais l’enfer est vite arrivé...

 

Et après ça Monsieur Daum ose nous demander pourquoi nous avons fui???

 

Vous savez, lorsque je revis ces moments, j'ai beau prendre des somnifères, j'ai du mal à dormir...

 

Je vous joins un témoignage de M. P. qui pourra confirmer et une photo du Bonheur: des jeunes au cabanon, c’était mi-juin avant que les cabanons ne se vident: Je me trouve en haut au centre; Michel est le dernier à gauche à côté de ma sœur; mon petit frère Christian est à terre. Pour tout l’or du monde, à cette époque nous ne serions jamais partis de ce paradis terrestre...

 

Dans le témoignage de M. il fait allusion à Hamid; c’est lui qui a tiré sur mon cousin....

A signaler que son frère aîné Y., qui ne voulait pas partir lui non plus a été arrêté  en décembre 1962 et fait prisonnier 21 jours dans les sous-sols du GG, puis dans un camp d'internement dans le bled.

Lui a connu la torture (gégène,  baignoire et coups violents...) et beaucoup de malheurs. C’est un miraculé. Il y a quelques années il m'a tout raconté pour se soulager,  mais quand j’ai voulu le filmer pour envoyer son témoignage à Guy Pervillé, sous la pression de sa femme et ses enfants, il a refusé.

C’était trop dur pour lui...

Je n'ose plus insister pour lui redemander. Je n'ai pas dormi de la nuit, lorsqu’il m'a raconté cela ; cela avait duré 15 à 20 minutes.

Il m’a précisé avec dégoût que dans le personnel qui s'est occupé de lui, les deux tiers étaient des Européens ou Français. Seul un tiers était des Arabes. Cela l’a profondément marqué et il se pose toujours cette question: "pourquoi des français faisaient cela à d'autres français??" Lui aussi, n'avait rien à se reprocher et il a été "blanchi". Sinon, il ferait partie des "disparus d'après le 19 mars"

 

Je connaissais vos documents et je vous remercie de mettre les pendules à l’heure auprès de ces faussaires de l’histoire...

Bravo pour votre combat et votre film que je n'ai pas encore vu mais que je conseille à tous mes amis métropolitains.

 

Amitiés et merci

 

Hervé Cuesta

 

Le cousin de H Cuesta.

A Hervé Cuesta.

Témoignage concernant mon enlèvement qui a eu lieu le 5 août 1962

En partant de Cap Caxine  j'ai pris la départementale qui va de Guyotville au village de Chéragas afin d'éviter le bord de mer pour me rendre à Alger car le FLN faisait de nombreux barrages ;  la chasse aux pied- noirs était à son paroxysme, surtout envers les jeunes. J'étais presque à mi-parcours lorsque je fus rattrapé par une voiture bariolée en vert dont les occupants  armés de  mitraillettes me faisaient signe de m'arrêter, ce que je fis. Après m'avoir fouillé et, pris mes papiers, ils me conduisirent dans l'une des villas, derrière l'église de Chéragas... Enfermé dans la salle de bain, on m'a remis un crayon et un papier sur lequel je devais inscrire des noms de pieds- noirs faisant parti de L'OAS... (Sur le sol des  cordes et des serviettes maculées de sang, laissaient  entrevoir le sort qu'on pouvait me réserver si je ne coopérais pas. Finalement, je n'ai pris que quelques coups de poings et des gifles durant mon interrogatoire pendant lequel des musulmans ont été appelés pour m'identifier. Les questions et les réponses étant en arabe, je ne comprenais pas toujours.
Hamid en  uniforme (FLN), un copain de Chéragas, semblait étonné de me voir là, moi aussi!  Il m'a dit: << ne t'inquiètes pas, si tu leur donnes des noms, ils te relâcheront...>>. Puis il est parti, je ne l'ai plus revu... en guise de noms, j'ai noté sur le papier les noms de collègues musulmans...
Dans la soirée, je fus conduit, devant leur chef, qui m'a dit: "  Demain tu nous rapportes une  photo d'identité,  pour que je te fasse un document pour circuler dans Alger..." Ils m'ont rendu mon véhicule. Le lendemain, je prenais le bateau pour la France en compagnie d'un camarade de travail. Nous sommes le 6 août 1962.

j'atteste sur mon honneur que mon récit ci-dessus est vrai.

 

PM        

Quand je repense à mon enlèvement, je me dis que j'ai eu ce jour la beaucoup de chance qu'ils me relâchent le soir-même... surtout que je fréquentais le fils du boulanger Roger Laporte qui, comme tu sais, a été enlevé lors d'une de ses livraisons de pains dans une ferme proche du centre de Chéragas. Son Père, paraît-il, aurait retrouvé son corps…

 

 

 

En lisant le témoignage de Patrick, je me pose la question : est-ce bien le même homme le  fameux Hamid en question qui lui a tiré volontairement dessus et celui que j'ai vu en pleurs le soutenant devant la maison du toubib Caron?...C'était donc un sous-marin. Je l'ai découvert le jour de mon enlèvement, il se trouvait parmi la bande en armes... Qui aurait cru ? Au village, il recherchait notre compagnie, il m'est arrivé de lui donner des fringues ; il participait à nos déconnades et souvent nous l'emmenions avec nous à la mer, nous le considérions comme un pieds-noirs,  un de ceux qui voulaient que l'Algérie reste française.


Les raisons de la peur. Une rétrospective d'un jeune témoin à l'époque.

Comme quoi, au Québec, en cette saison, il fait froid, mais cela n'empêche nullement de réflechir!

Paroles de Jean-Louis Galiero...


Le compte rendu du «débat» et les remarques que ce dernier vous inspire montrent à l'évidence votre indignation

Elles évoquent pour moi et des souvenirs et quelques réflexions.

 

1 -- Des souvenirs, d'abord. Parti en France avec mon frère en 1962 à la veille de l'Indépendance de juillet, je suis revenu passer l'été 1963 auprès de mes parents, à Alger, car ces derniers projetaient de nous inscrire à l'école française d'Alger pour l'année à venir. Ils avaient donc craint pour nous en 62 et nous avaient envoyés en France pour nous protéger. Puis, un an après, ils songeaient à nous faire revenir à Alger car ils y vivaient et comptaient y demeurer. Ils croyaient – ou s'efforçaient de croire – à un avenir dans cette ville. Finalement, je suis retourné en France pour la rentrée et le projet ne se réalisa jamais. Ma mère nous rejoignit en France après avoir vendu notre appartement d'Alger et nous habitâmes Aix-en-Provence.

Papa vint nous rejoindre en 1965 seulement. Le patron (un entrepreneur) pour qui il travaillait comme conducteur de travaux ne lui envoyant plus les salaires des ouvriers depuis la France, il décida de  fuir l'Algérie car les ouvriers l'avaient prévenu qu'il serait tué en représailles, malgré l'estime dont il jouissait auprès d'eux.

Il fut donc impossible à notre famille de ne pas quitter l'Algérie.

2—Autre souvenir. En 1968 (j'avais 20 ans), je discutais avec une étudiante algérienne à la terrasse d'un café, et il me fut impossible de lui faire admettre qu'il y avait eu des souffrances pour les Pieds-Noirs aussi. C'était déjà un tabou. Auprès d'un ami québécois de ma femme (elle aussi native du Québec) qui est aujourd'hui journaliste à Radio-Canada, il fut également impossible (en 1971 cette fois-ci)de simplement faire valoir ce principe d'équité, en somme. J'ai alors compris l'impossibilité de partager un point de vue et une expérience afin de mettre les pendules à l'heure juste, pour ainsi dire. Il a fallu se taire, faire comme si , et ce n'est qu'il y a quelques semaines que j'ai écrit quelques lignes sur la fusillade du 26 mars 1962 que j'ai vécue avec mon père et mon frère, et qui nous aurait tués sans l'ouverture providentielle de la porte d'un immeuble.

 

Voilà quelques années, alors que j'enseignais au Collège de Montréal, j'ai eu comme élève un Algérien de quatorze ans, soit l'âge que j'avais quand j'ai quitté l'Algérie et perdu mon pays… Je me suis demandé comment il se faisait que mon départ (et bien entendu celui de tous les autres PN) n'avait pas été suffisant pour que les citoyens algériens, nombreux à Montréal, puissent vivre dans leur pays flambant neuf…

 

3- - Dernier souvenir. Suzanne (mon épouse) enseignait à Constantine entre 1968 et 1972 pour le gouvernement algérien. Un jour, dans la cité de béton où vivaient les coopérants, elle a vu (et entendu) un concierge d'immeuble donner une terrible  taloche à l'enfant d'un coopérant français ; le bruit, répercuté par le béton, résonne encore dans sa tête. Et un peu, par osmose, dans la mienne.

 

 Je me permets à présent de vous livrer des réflexions inspirées par votre envoi.

1) Pierre Daum parle des PN  qui ont «quelque chose à se reprocher».

Il m'apparaît évident qu'il s'agit là d'un moyen classique de culpabilisation , mais qui se retourne contre lui : les Algériens quittant ou ayant quitté l'Algérie ces dernières années ont-ils « quelque chose à se reprocher » ; ceux des Algériens ayant commis ou commettant des atrocités avant – et depuis – l'Indépendance ont-ils quitté l'Algérie ? Et ainsi de suite.

2) … sur les différentes violences infligées aux PN, en particulier à Oran.

Il est bien tentant de les nier, de les minimiser ou les justifier.

En fait, Daum comme Stora et consort sont dans la situation des théologiens obligés de justifier la mort des enfants, l'existence du mal et les injustices de toutes sortes. Impuissants à le faire, ils préfèrent ,comme on dit, noyer le poisson.

Enfermer les Pieds-Noirs dans le cercle de la responsabilité coloniale est la seule échappatoire qui reste à nos dévots. C'est pourquoi la citation de Camus que vous faites est éclairante. La France n'est pas responsable et ce sont les PN qui porteront l'odieux. Le paradoxe de ce point de vue est que Daum dit que les PN sont rentrés en France et ont été rapatriés. Avec raison vous marquez sic.

3) Car ici-même est le mythe utilisé par nos stratèges : les PN seraient revenus en France, ce qui est évidemment parfaitement faux pour beaucoup d'entre eux, qui n'y possédaient aucune attache familiale. Autant enterrer Césaire à Paris, il n'y serait pas chez lui à l'évidence.

 4) Mais le mensonge est tenace : il permet de laisser croire que les PN n'étaient là-bas que par parenthèses. Cela nous interpelle au premier chef, nous qui étions enfants ou adolescents au moment des « événements ».

Je parlais tout à l'heure de théologie, la question essentielle ici est celle de notre légitimité : celle de notre naissance et de notre existence (celle de tous les jeunes du monde dans notre cas depuis toujours, au fond). Par notre existence même nous sommes criminels, car responsables de la colonisation, ce qui ne saurait être le cas de l'Algérien arabo-musulman dont parle Réda Malek. Oui, il s'agit bien là de xénophobie et d'intolérance, même si elles ne sont jamais soulignées…Cet aspect n'est pas abordé parce qu'il ébranlerait des certitudes. Francis Jeanson, ami de Sartre et « liquidateur » de Camus dans les Temps modernes n'a jamais voulu regretter d'avoir aidé à porter les valises pour le FLN à l'époque de la guerre. Interrogé longtemps après, au moment du terrorisme islamiste en Algérie, il persiste et signe. Au fond comme tous ceux qui ont soutenu tous les camps d'extermination du monde ! C'est probablement qu'il lui faudrait remettre en question ses certitudes, comme le héros de La Chute.

5) Nous qui sommes partis de là-bas très jeunes ou- plus généralement- qui étions jeunes à cette époque, nous sommes des exilés qui ont eu la possibilité de réfléchir à toute cette histoire. Nous connaissons la complexité et la diversité des points de vue. C'est au moins cela notre héritage et nous n'avons de leçon à recevoir de personne qui voudrait nous faire taire par des raisonnements mensongers. Nous nés en Algérie, qui en avons tellement vu, faisons partie d'une communauté variée et complexe et non d'un bloc homogène et mauvais comme le laissent entendre certains témoins que vous citez.

 

Notre malheur comme celui des victimes de la Deuxième Guerre mondiale c'est d'avoir été des civils. Car ce sont les civils qui trinquent dans tous les conflits. C'est la raison de notre fuite.

La citation admirable de Germaine Tillon dans votre envoi illustre parfaitement  la justice que nous souhaitons de tout notre coeur: « C'est la relation qu'il faut redresser et non pas le cou des gens qu'il faut tordre. »

De ce point de vue, je crois que nous avons gagné déjà une partie de notre combat puisque nous acceptons de changer la relation et croyons que c'est possible. Rejoignant par le fait même la « concordance de mémoires entre les simples gens » dont vous parlez.

Amicalement,

Jean-Louis Galiero

 







 

 

Wagner le 19.12.08 à 09:15 dans l/ Débats / Points de rencontres - Lu 7226 fois - Version imprimable
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