Proposer une devise
"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.Sommaire
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D'Algérie-Djezaïr
Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.ORGANISATION
Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.La minorité européenne d'Algérie (1830-1962)
Fanny Colonna et Christelle Taraud. Colloque Meynier juin 2006.
La minorité européenne d’Algérie (1830-1962) : inégalités entre « nationalités », résistances à la francisation et conséquences sur les relations avec la majorité musulmane
Fanny Colonna et Christelle Taraud
(colloque Meynier juin 2006)
« Les guerres sont faites pour être gagnées. Or, celle-ci, nous l’avons perdue »
Enfants de collabos, film, France 2, 11 juin 2000.
« Aussi n’est-il pas excessif de soutenir que les Français d’Algérie n’ont pas perdu, contrairement à ce qu’ils croient pour la plupart, la guerre contre les Indépendantistes mais que, au fil d’une suite de bifurcations insues (dont quelques acteurs chaque fois étaient conscients), ils ont perdu une série de batailles et finalement une vraie guerre contre le système colonial lui-même. Car, tout comme le peuple soumis, ils ont été eux-mêmes soumis à la loi du système, lequel d’ailleurs s’inventait au coup par coup et non selon un plan à long terme machiavélique » (Colonna, séminaire MMSH Aix en Provence 2000).
Introduction
Liant sociologie et anthropologie historiques, ce travail sur les Européens du Maghreb, commencé depuis presque deux ans maintenant[1] croise clairement un certain nombre de demandes présentes dans le texte de présentation de ce colloque : son appel à l’ensemble des disciplines des sciences sociales et donc à l’interdisciplinarité ; son regret de l’entropie franco-française et franco-algérienne et son désir d’y intercaler les travaux de collègues non francophones et en particulier anglophones. Il semble en effet évident, à la lecture d’un certain nombre d’ouvrages, que le renouvellement des problématiques, dans une perspective interdisciplinaire vivifiante, est en cours. Ainsi, Julia Clancy–Smith tout en nous proposant une critique très historienne de « cette approche binaire entre les deux catégories mutuellement exclusives de rulers and ruleds, de colonisés et de colonisateurs ; de cette curieusement monotone discussion a/s de la rencontre coloniale où il n’y aurait d’espace discursif que pour une Europe monolithique engagée contre des « natives » également monolithiques… » nous rappelle cependant, dans le même temps, que le peuplement européen en Tunisie et en Algérie « n’a jamais constitué une seule communauté mais plutôt, une mosaïque querelleuse et sans règles, de groupes en compétition porteurs de normes culturelles dissemblables et jouissant de privilèges politiques différents ». De la même manière, elle parle de « la complexe intégration des peuples méditerranéens, « colonies dans la colonie » et du fait que les principaux « cultural brokers » entre l’Europe et le Maghreb furent ces Méditerranéens transplantés – souvent très pauvres – durant l’épisode colonial[2]. Ce que moult recherches micro- historiques sur le local et sur les villes algériennes tendent à confirmer aujourd’hui.
I - Les Français d’Algérie, une histoire « illégitime »
Un constat tout d’abord, en apparence seulement hors sujet : même si la production de fictions littéraires sur l’Algérie coloniale est pléthorique, elle manque cruellement de grandes œuvres à portée universelle. Aucun texte, par exemple, de l’envergure de Autant en emporte le vent. Les quatre romans de Jules Roy sur le XIXe siècle n’en tiennent malheureusement pas lieu. Les grands évènements qui auraient pu faire « épreuve » comme les deux conflits mondiaux n’en ont pas produit non plus alors, qu’en contrepoint, on trouve le chef-d’œuvre de Tsirskas - Cités à la dérives - sur l’engagement (raté) de la communauté grecque d’Egypte face à la progression des Italiens et des Allemands au Moyen Orient. Albert Camus aurait pu prétendre, pour l’Algérie, à occuper cette place mais, en relisant Le premier homme, on se dit que ce texte, très émouvant, reste - tant l’invention des personnages algériens proprement dits est maladroite et artificielle - une esquisse incomplète. Ce constat révèle, selon nous, un symptôme important : 130 ans d’algérianité n’ont pas produit un véritable univers de chair et de sang qui, comme les romans russes du XIXe siècle ou ceux, plus proches de nous, de la communauté blanche d’Afrique du Sud ou de Rhodésie[3], soit capable de parler en même temps au-delà de ses propres frontières et sur ses propres limites.
Ce constat peut, par ailleurs, se lire sur fond d’ignorance - laquelle est rarement évoquée en tant que telle. On sait, en effet, réellement très peu de choses, en termes problématisés, sur les Français d’Algérie en tant que société(s) - sans doute faut-il ici parler au pluriel, on verra plus loin pourquoi - malgré l’énorme masse bibliographique, tous genres confondus, fictions et essais, que la fracture de
Il y a en effet, concernant l’Algérie tout du moins[7], une histoire légitime, celle des Algériens, dans l’acception actuelle du mot. Encore bien lacunaire, très dominée par des paradigmes politiques et même policiers, par la tyrannie des sources officielles, par des périodisations imposées, par la désaffection actuelle de l’objet Maghreb en faveur du Moyen Orient, cette histoire légitime se renouvelle pourtant à grands pas grâce à des travaux discrets et de qualité. Si on ne considère que les XIXe et XXe siècles et le seul point de vue de la légitimité politique – jamais négligeable en histoire – on peut dire que cette histoire tient sa force passée, présente et à venir de ce qu’elle se donne justement comme tache d’approfondir les formes de la violence coloniale faite au(x) peuple(s) conquis, y compris dans ses interactions avec la puissance dominante et avec les colons et les colonisateurs. Quant à sa légitimité scientifique, il lui suffit d’inventer en puisant, ça et là, dans les courants historiographiques anciens et nouveaux. Beaucoup reste encore à faire malgré tout notamment sur le local dont on sait, par exemple, encore bien peu de choses mais cette histoire a cependant tout l’avenir devant elle et derrière elle, même si le moment présent est au doute car elle dispose d’un formidable évènement fondateur, la guerre d’indépendance algérienne, qui va jouer, pendant longtemps encore, le rôle de 1789 dans l’extraordinaire développement de la science historique en France au XIXe siècle (les réflexions sur ce thème, de Furet à Nisbeth, sont irremplaçables)
En face, si on peut dire, du côté du passé du peuplement français en Algérie, il y a la sanction de l’Histoire, une défaite et, au mieux, des occasions ratées et des exceptions, des raretés ou/et des bizarreries. Au nombre de celles-ci, un certain nombre d’actes, d’œuvres, de textes, souvent admirables, toujours intéressants, qu’on peut qualifier de résistances, au sens très large, ou de non-conformes/conformistes et qui sont plus ou moins légitimes ou illégitimes, non seulement politiquement mais aussi scientifiquement, en fonction du réseau mobilisable. Ces îlots (acteurs/actions) ne sont pourtant pas ou sont difficilement totalisables. Ils ne parlent que pour eux-mêmes, ne disent pas grand-chose du tissu social, de ses temporalités, de son quotidien ; ne « parlent » qu’à leurs familles de pensée ou aux « convertis » : les communistes lisent Jean-Luc Einaudi, sur Fernand Yveton, Lisette Vincent ou Maurice Laban[8], les chrétiens méditent sur les vies de l’abbé Béringuer, du Curé Scotto, ou du moine dominicain, devenu évêque d’Oran, Pierre Claverie qui sera assassiné en 1996. Ces messages ont donc surtout en commun d’être peu généralisables car, récits singuliers ne péchant pas seulement par leur exceptionnalité, ils ne sont pas seulement la preuve a contrario, notamment par leur nature héroïque, de la toute puissance du paradigme holiste de la domination coloniale, ils ne font système avec rien. Ils ne relèvent ainsi ni de l’histoire sociale, allant de la masse aux singularité[9], ni de celle des mentalités qui restitue un monde à partir d’un microcosme spécifique (rien à voir avec le meunier de Ginzburg)[10].
Qu’on s’intéresse, en effet, à des personnes, à des moments ou à des groupes[11], l’exercice qui consiste à tenter de donner une forme à leur existence au sein de la société dominante ne peut que parler de segments, de cloisonnements et de factions et, dès qu’on y regarde d’un peu près, d’anathèmes qui divisent non seulement cette « société » dans sa globalité, mais chacun des milieux qui cherchent à y inventer autre chose : les Indigénophiles au XIXe siècle et les Algérianistes au XXe siècle pour ne prendre que ces deux exemples parlants. Tous ces mondes-là sont donc en lévitation, entre autre du fait de leurs pulsions segmentaristes ou/et de leurs positions segmentées. C’est précisément pour cette raison – celles de la fragmentation et de l’hétérogénéité qui ne furent pas seulement diachroniques, c'est-à-dire liées à l’histoire du peuplement, mais synchroniques, à cause, pour le dire vite, du travail des idéologies - que nous avons choisi d’entrer dans ce vaste dossier par la question des inégalités. Pierre Bourdieu était proche du but quand il parlait d’une « société à castes ». Sa métaphore est entièrement fondée concernant la fracture majeure du monde colonial, celle qui séparait les Français musulmans des autres. Mais cette fracture en cache une autre - et même une pluralité d’autres (il y avait aussi le clivage pathos/pied-noir dans lequel il est tombé à pieds joints), celles qui fissuraient cette minorité européenne qui n’était certes pas un « bloc » et ne pouvait être perçue en tant que tel (si on excepte le traumatisme fondateur de 1962). Cette question des inégalités ne peut donc être appréhendée en dehors de ce double plissement : un million de Français d’Algérie face aux neuf millions de Français musulmans ; et, dans ce million là, des strates hiérarchisées selon des codifications subtiles qui, plus souvent qu’on ne le dit, renvoyaient et/ou côtoyaient la grande faille constitutive de l’univers colonial. Il s’agit ici de poser ces strates hiérarchisées non en elles-mêmes - quel intérêt puisque la société qu’elles fondent malgré tout n’existe plus ! – mais en les croisant avec une autre question tout à fait fondamentale : qu’est-ce qui a empêché la greffe durable, autrement que sur le mode minoritaire, erratique ou sous la forme de chapelles, de l’idée qu’un homme = une voix dans la société blanche en Algérie, durant 130 ans ? Ou, pour dire les choses autrement, comment expliquer qu’au milieu du XXe siècle, un peu moins d’un million de personnes raisonnablement alphabétisées et scolarisées, donc imbues des idéaux de
II- Permanence et efficacité des clivages
En 2001, une historienne aixoise, Hélène Bracco, écrivait : « … Et ce que j’ai découvert, qui a été très intéressant et très nouveau pour moi, c’est qu’il y avait dans cette population une hiérarchie implacable entre les Français de souche et tous ceux qui ne l’étaient pas…des Européens qui avaient pourtant, s’ils le souhaitaient, reçu la nationalité française. Ils l’avaient reçue d’office en 1889 mais certains ne l’étaient pas quand je suis allée en Algérie en 1993. Ils avaient souhaité rester Italiens, Espagnols ou Maltais. Cette hiérarchie s’était établie de façon assez brutale. Le dessus du panier (je reprends les termes de quelqu’un qui me l’a dit ainsi), c’était les Européens de
Il s’agit, on l’aura compris, d’un point de vue extérieur, une impression née lors d’une enquête en Algérie mais post festum. Voici maintenant, un témoignage de l’intérieur, celui
En entreprenant ce travail sur les inégalités au sein du peuplement européen – travail qui n’en est encore qu’à ses débuts –, surgit presque par hasard, la preuve micro-sociologique d’une dimension essentielle de la société blanche coloniale en Algérie, sa nature de société « castée », nature tellement essentielle que tous les discours communs étaient mis en œuvre pour
III –Bref rappel des inégalités « internes »
au sein du peuplement européen
L’objectif de ce papier n’est évidement ni d’accuser, ni d’exonérer qui que ce soit, mais de comprendre. De comprendre comment se sont constituées les « castes » en question - qui bien sûr n’en étaient pas vraiment, d’où le problème – en questionnant, par exemple, le cadre juridique : le décret Crémieux de 1871, le code de l’Indigénat de 1881 et la loi de francisation de 1889. Ces lois ont-elles été pensées séparément ou ensemble ? Et surtout dans quel but ? Comme un outillage juridique « machiavélique » visant exclusivement à la division des populations locales (musulmanes et juives, arabes et berbères) et à l’unification des Européens ? Pour analyser ces questions, le rapport Peyerimhoff, publié en 1906, donne plusieurs indications essentielles. Au début du siècle, en effet, les Européens sont encore majoritaires dans le peuplement (ils sont trois sur cinq) et leur natalité est toujours plus forte que celle de la population française migrante. Ces étrangers sont présentés comme étant « d’un type un peu inférieur » mais cependant « assimilables »[14]. Pourtant, dit-on alors, il ne faudrait pas que le déséquilibre numérique entre Français et Européens s’aggrave car la colonisation française elle-même serait en danger. Paul Leroy Baulieu écrit ainsi dans son livre L’Algérie et
De la même manière que l’on questionne les résistances à la francisation et au dispositif juridique de 1889 qui l’officialise, dans le cadre du peuplement européen, il serait aussi très utile – dans un souci comparatiste – d’étudier les réactions de la société locale et de ses élites face à la mise en place du code de l’indigénat en 1881 ; mais aussi d’une manière plus improbable encore les liens qui peuvent éventuellement se nouer et les résistances conjointes qui peuvent s’organiser face à ce continuum de discriminations (indigénat, francisation forcée) ; continuum dont on retrouve notamment des traces langagières dans le domaine éminemment problématique, au regard de la mortalité écrasante, de la contamination épidémique, de la « grippe espagnole » à la « syphilis arabe »[20]. Ici, le détour par le premier empire colonial (XVIIe et XVIIIe siècles), et par les provinces françaises du Canada, pourrait s’avérer essentiel tant la proximité avec ce qui se passe en Algérie, à partir de 1830, est évidente du côté français : utopie d’une race nouvelle meilleure que celle du sol natal, puis soupçons de corruption au contact des Amérindiens, d’où une évidente désaffection au moment de la guerre de Sept ans (1756-1760) que
Dans ce contexte, un autre champ d’application de « l’aventure coloniale » reste d’autant plus étrangement en suspens que l’Algérie est indubitablement la colonie de peuplement de l’empire français. Cette question est celle, complexe et occultée, des femmes européennes et des rapports sociaux de sexe qui, notamment dans la question des mariages mixtes préconisées par Pélissier de Reynaud (il s’agit ici de « partager » les femmes, mais qui partage qui ? Et selon quelles modalités ?), est évidemment incontournable. Il y a, en effet, au début de l’Algérie coloniale non seulement un rapport de domination de « race à race » mais aussi évidemment de « sexe à sexe » (hommes/femmes et colons-colonisés). Dans certaines nationalités, et à certains recensements, les Européennes sont ainsi plus nombreuses que les hommes (le « phénomène Bécassine » bien connu en France métropolitaine - touche en Algérie plus particulièrement les Italiennes et les Espagnoles - qui conduit la fille aînée d’une famille à se placer, en ville, chez les bourgeois). Ce qui pose le problème de la migration au féminin et des raisons de cette migration ? Ce qui pose aussi, par extension, la question d’une présence (importante ?) de femmes célibataires ou veuves (avec ou sans enfants) qui sont venus en Algérie seules – c’est-à-dire sans la protection d’un homme ? Que sont devenues ces femmes après leur arrivée ? Comment ont-elles subvenu à leurs besoins (il faut ici questionner le rôle du travail ancillaire dans l’économie coloniale) ? Comment ces Européennes, le plus souvent très pauvres, deviennent-elles ensuite Françaises ? Par mariage ? Par démarche personnelle ? Leur taux de scolarisation différentiel (très bas) est-il un indicateur du nécessaire détour par la stratégie matrimoniale ? Ce qui est troublant ici – et ce qui est avéré par les enquêtes orales et familiales[23] - c’est, qu’en cas d’intermariage (homme français/femme espagnole, italienne ou maltaise), aucune transmission des langues et coutumes (hormis parfois la cuisine) ne s’effectue dans
Cet arasement du local et du particulier – loin d’être nouveau dans le contexte français[24] – s’est aussi construit, très pragmatiquement, sur un déni de la diversité physique et culturelle méditerranéenne dont on s’est d’ailleurs bien gardé de conserver
Au regard de ce qui vient d’être dit, on comprend la nécessité vitale, de la part de l’administration coloniale française, de naturaliser ces Européens au travers d’une politique offensive – dont la loi de 1889 n’est probablement que la partie immergée - visant à faire du « Français coûte que coûte ». Si l’on ne connaît pas encore l’ensemble des ressorts (individuels et collectifs, psychologiques et politiques…) mis en œuvre pour parvenir à ce résultat, on connaît le résultat lui-même avec la « sanction de l’Histoire » de 1962. Finalement ces Français d’origine européenne partent presque tous pour la France[28], pays que la plupart d’entre eux ne connaissent pas et sur lequel ils posent le pied pour la première fois, l’identification avec les « Français » - où joue évidemment le rapport « race à race » - étant plus forts que la (relative) proximité avec les « Arabes ».
IV– « Affronter ces « mauvais objets » dont le soucis insiste et dont l’accès se dérobe pourtant à toute voie royale, pour maintenir ainsi ouverte, avec
les blessures de l’intolérable, les questions qui donnent sens à l’œuvre »
(Jacques Rancière, 2000)
Bien sûr il serait absurde d’imaginer un livre qui ferait la synthèse de toutes les entrées qui viennent d’être énumérées ici notamment parce qu’il ne serait que la mise ensemble de ce que l’on sait déjà de sources traditionnelles diverses. Certes Albert Camus disait, à propos des Français d’Algérie, que « ce peuple n’a pas d’âme parce qu’il n’a pas de passé » mais il n’est pas certain, justement du fait de sa fragmentation, que tous et même beaucoup se reconnaîtraient dans une telle entreprise. Il semble d’ailleurs, au regard de l’actualité récente, que l’urgence soit plutôt à produire un savoir nouveau, en donnant sinon la parole du moins la chance d’être connus et compris à des destins beaucoup moins remarquables que ceux qui ont été publicisés jusqu’ici, à partir de l’invention de sources nouvelles, avec des modes d’approche variés et sur des objets encore inexplorés. Il apparaît, en effet, qu’il y a beaucoup à exhumer du côté de la première moitié du XIXe siècle, si mal connue quant au tissu social comme le montre le premier chapitre, très inspiré, du livre de Jean-Luc Einaudi sur Lisette Vincent et la création du village de Saint Cloud, sur les convois de colons de 1848, leur proximité idéologique avec les insurgés en France, leurs rapports très difficiles, voire carrément hostiles avec l’armée qui les réprime et souhaite les radier des listes de la colonie, leur culte de la liberté et de
L’ambition de ce chantier, car c’en est un, serait par ailleurs dérisoire s’il ne se donnait pas comme finalité d’ouvrir la voie à une nouvelle famille de recherches qui, prenant le relais des irremplaçables monographies des années 1980 portant sur le siècle dernier[31], renonce définitivement à une globalisation à la fois victimaire et infériorisante[32]. Une nouvelle voie qui s’attacherait, parallèlement aux productions de fiction et de mémoires de plus en plus nombreuses et réussies et aux « vies héroïques » incontournables (pour lesquelles on ne rendra jamais assez grâce, entre autres, à Jean-Luc Einaudi), à des histoires au plus près des gens ordinaires, très localisées et datées, ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, non problématisées. Des histoires où seraient décrits, avec le plus de vérité possible, les rapports sociaux entre les différentes catégories de personnes (Musulmans, Wasps locaux et minorités méditerranéennes) ayant vécu de 1830 à 1962 sur cette terre commune.
Ces entrées fragmentées permettront-elles de répondre à la question initiale ? A celle du pourquoi à laquelle le paradigme holiste (la nature irrépressible du système colonial) semble seul permettre de donner une signification, celle du « jugement de l’Histoire » ? Evidemment non. Mais l’histoire n’est-elle pas tout autant la mise en récits de ce qui n’ayant pas prévalu est alors tombé dans le silence et dans l’oubli, tant en termes de créativité individuelle, de courants d’idées, voire de pratiques quotidiennes rompant avec la loi d’airain de l’exploitation et de la dénégation de l’humanité de l’autre ? Cette histoire- là serait celle des petites guerres gagnées contre la violence coloniale – gagnées avec, et non contre, « l’Autre » - et donc, dans le même temps, celle d’une victoire sur la violence faite aux colonisateurs eux-mêmes. C’est à ce prix que la transmission, laquelle se porte si mal pour le moment, pourra se faire entre les citoyens algériens d’aujourd’hui, qui ont grand soif de ces morceaux de leur passé et les générations migrantes qui pendant 130 ans ont investi et trop aimé une terre dont elles n’étaient, sans vouloir l’accepter, – au nom du simple principe de réalité - que les métayers. On verra alors, à partir de multiples histoires d’individus, de groupes, de milieux professionnels, d’associations et d’utopies, que ces décennies n’ont pas été vécues pour rien. Il est très important que les générations post 1962, des deux côtés de
[1] Ateliers AFEMAM de Lyon en 2004 et de Strasbourg en 2005 et Projet France/Maghreb en 2006.
[2]
[3] Voir notamment les textes de Nadine Mortimer.
[4] Pierre Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, Paris, PUF, 1961, p 113-118.
[5] M. Yelles, Cultures et métissages en Algérie, Paris, L’harmattan, 2005.
[6] Pierre Nora, Les Français d’Algérie, Paris, Julliard, 1961.
[7] C’est probablement moins le cas pour
[8] Jean-Luc Einaudi, Pour l’exemple (L’affaire Fernand Yveton), Paris, L’Harmattan, 1986 ; Un rêve algérien. Histoire
[9] Yveton, Vincent et Laban ne sont pas les produits de milieux consistants. Ils sont d’ailleurs très différents entre eux et l’artefact du PCA, censé les rassembler, ne suffit pas à leur donner sens. Ce serait plutôt l’inverse, ils se sont, chacun à leur manière, servi du Parti pour mener leurs propres luttes.
[10] Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier au XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980.
[11]
[12] Les Cahiers
[13] « Géographie enfantine d’Algérie », 1 et 2, Algérie Littérature Action, n°61-62, 2000.
[14] Henri de Peyerimhoff, Enquête sur les résultats de la colonisation officielle de 1871 à 1895, Gouvernement général de l’Algérie, Alger, Imprimerie Torrent, 19O6.
[15] Paul Leroy Baulieu, L’Algérie et
[16] Les Eglises des communautés (l’église espagnole à Alger par exemple) ont une très grande importance, notamment dans l’Oranais surtout si on compare avec la décléricalisation claire à l’Est où les 3% d’Européens présents ne construisent pas d’églises. A l’Ouest, c’est le contraire, l’Espagne fournissant prêtres et bonnes de curés. Cette différence interroge.
[17] Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, tome 2, 1871-1954, (voir chapitre III, le développement du peuplement européen), Paris, PUF, 1979 ; Gérard Crespo, Les Italiens en Algérie, 1830-1960, Editions Jacques Gandini, 1994.
[18] Sondages dans les Archives coloniales à Aix en Provence (CAOM),
[19]
[20] Ce travail pourrait s’appuyer sur une comparaison entre la presse des colons, la presse en langue arabe (qui fait une place importante aux notables musulmans) et sur la presse indigénophile (le Journal des débats et La revue des deux mondes).
[21] Saliha Belmessous, « Etre français en Nouvelle France : identité française et identité coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles », French Historical Studies, vol 27, n°3, 2004, p 5O7 ; J.B. Vilar, Los Espagnoles en
[22] On disait aussi « établissement français sur la côte septentrionale de l’Afrique ». C’est seulement le 14 octobre 1839, dans une correspondance adressée à Vallée par le ministre de
[23] Pour l’Algérie,
[24] La question des « particularismes » dans la construction de la nation française est très ancienne. De la même manière, nation et migration/immigration ont toujours posé problème. Voir Gérard Noiriel, Etat, Nation et immigration, Paris, Gallimard Folio, 2001.
[25] Guide Piesse, Itinéraire de l’Algérie et de
[26] Jean Luc Einaudi, Un rêve algérien…, op.cit., p 25.
[27] A. Djamaï, Sable rouge, 1996.
[28] Il faudrait aussi se poser la question de qui « rentre » en Espagne ou /et en Italie au lieu de « rentrer en France » ? Qui part vers « les Amériques » ? Une étude sur cette question du rapatriement reste à faire.
[29]
[30]
[31] Jean-Jacques Jordi, Les Espagnols en Oranie (références exactes ?) ; Gérard Crespo, Les Italiens en Algérie. 1830-1960 : histoire et sociologie d’une migration, Calvisson, 1994 ; Marc Donato, La prodigieuse histoire des Mahonnais en Algérie, Nîmes, 1992.
[32] Jeannine Verdès-Leroux, Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui. Une page d’histoire déchirée, Paris, Fayard, 2001.
Wagner
le 06.09.10 à 13:13
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