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D'Algérie - Djezaïr
Mouvement de réconciliation

Proposer une devise

"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.

D'Algérie-Djezaïr

Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.

ORGANISATION

Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.

Le discours du récipiendaire.

Boualem Sansal Prix de la Paix.

PRIX DE LA PAIX
des editeurs et libraires allemands 2011
Discours de remerciement de
Boualem Sansal
Eglise Saint-Paul - Francfort-sur-le-Main
16octobre2011
- Seul le texte prononce fait foi -
Peter von Matt, mon estime laudateur, vous a si bien parle de moi et de mon travail dans son eloge que je n'ai rien ä ajouter, sinon ä vous dire merci, merci ä vous Mesdames et Messieurs pour l'insigne honneur que vous me faites d'etre venus me voir, ä vous les editeurs et libraires allemands pour l'honneur royal que vous me faites de me donner votre prix, le Friedenspreis, l'une des plus prestigieuses dis-tinctions de votre grand et beau pays. Dans le contexte d'aujourd'hui votre geste est emouvant et reconfortant, il temoigne de l'interet que vous portez ä nos efforts, nous peuples du Sud, de nous liberer de nos mechantes et archaTques dictatures dans nos pays, dans ce monde arabo-musulman jadis glorieux et entreprenant mais ferme et immobile depuis si longtemps que nous avons oublie que nous avions des jambes et une tete, et qu'avec des jambes on peut se tenir debout, marcher, courir, danser s'il nous platt, et avec sä tete faire cette chose inconcevable et magnifique, inventer l.'avenir et le vivre au present dans la paix, la liberte, l'amitie. Quel pouvoir eni-vrant et redempteur: nous inventons l'avenir pendant qu'il nous in-vente lui-meme. L'humanite a bien de la Chance de posseder cette faculte, vivre par sä volonte propre ä l'interieur de ce dessein inde-

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chiffrable et insurmontable qu'est la Vie. Mais en verite la chose est banale, c'est l'apprendre qui surprend, la vie est une invention per-manente, revolutionnaire, et nous sommes des poemes vivants, ro-mantiques et surrealistes, qui portons en nous des verites eternelles et des promesses infinies, c'est au deuxieme degre qu'il faut nous considerer. L'homme libre n'a au fond d'autre choix que d'agir comme un dieu, un createur audacieux qui va de l'avant, sinon il tombe dans le non-etre du fatalisme, de l'esclavage, de la perdition. Camus le franco-algerien, le revolte, nous exhortait ä ne pas nous resigner, nous y croyons plus que jamais, en ces moments de terreur et d'espoir le courage est notre seul choix car il est la droiture par excellence, voilä pourquoi nous regardons l'avenir avec confiance.
Merci, eher Peter, pour vos mots si forts et pour votre amitie, gräce ä vous je peux consacrer mon temps de parole ä dire deux, trois choses qui me tiennent ä cceur en rapport avec le prix, avec mon pays, avec le printemps arabe. Vous m'avez epargne un exer-cice penible : parier de mon travail. Je n'aurais au demeurant jamais su le faire aussi bien. Merci de tout cceur.
Mes remerciements vont naturellement au Jury du prix et ä son President, l'aimable Gottfried Honnefelder, je leur suis particuliere-ment redevable d'avoir considere mon travail comme un engagement « en faveur de la rencontre des cultures dans le respect et la com-prehension mutuels », ainsi que vous le dites dans votre communi-que officiel. Cela prend un relief particulier pour moi en ce moment oü, dans nos pays arabes, souffle un vent salutaire, porteur de ces valeurs humanistes, toutes nees de la liberte, et donc universelles, qui fondent mon engagement. Un merite litteraire aussi grand soit-il ne vaut guere, selon moi, que s'il soutient une grande cause, la pro-motion d'une langue, d'une culture, un projet politique, philosophi-que. J'ai envie de croire que ce que nous faisons les uns et les au-

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tres, ecrivains, cineastes, poetes, philosophes, politiques, a pu contribuer d'une maniere sans doute infinitesimale ä l'avenement de ce printemps arabe qui nous donne tant ä rever, et ä nous impatien-ter, anime qu'il est par l'esprit de liberte, de fierte retrouvee, et de courage aussi, comme nous le voyons se derouler, surmontant tou-tes les menaces et dejouant jusqu'ä present toutes les tentatives de recuperation, et si j'ai pu y contribuer un tant soit peu c'est parmi d'autres intellectuels et artistes arabes que je sais infiniment plus meritants que moi. Certains ont atteint des sommets et leurs seuls noms fönt lever des foules.
Ici meme, en l'an 2000, vous avez honore ma compatriote Assia Djebar qui a beaucoup fait pour promouvoir cette evidence que dans nos pays arabo-musulmans aussi la femme est un etre de liberte et que sans femmes en pleine possession de leur liberte il n'y a de monde juste nulle part, il y a un monde malade, ridicule et hargneux qui ne se voit pas mourir. Je peux vous dire ici que son combat a porte ses fruits : en Algerie, la resistance, la vraie, qui est tenace et digne, est essentiellement port.ee par les femmes. Durant la guerre civile des annees 90, la decennie noire comme nous l'appelons, alors qu'elles etaient les premieres cibles des hordes islamistes, mais pas seulement, l'autre camp, le pouvoir et ses clienteles, qui voyait en elles la cause de nos malheurs endemiques et usait de toute la force de la loi et de la propagande pour les reduire, elles ont magnifiquement resiste et aujourd'hui elles fönt l'avenir en tentant de maTtriser un present tres penible ä vivre. Elles sont de toute facon, comme toujours, notre dernier recours.
Je voudrais ici, avec votre permission, me tourner un cöurt instant vers ma femme, eile est lä au premier rang, entre nos chers hötes Gottfried Honnefelder et Peter von Matt. Je veux la remercier en la regardant dans les yeux : chere Naziha, merci pour tout, pour ton

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amour, ton amitie, ta patience et ce courage tranquille dont tu äs fait montre toutes ces annees, dans toutes les epreuves que nous avons traversees et Dieu sait comme elles furent douloureuses, la guerre civile, l'enlisement dans l'absurde, la solitude grandissante, methodi-que, sterilisante. Ce prix qui nous honore te revient en verite.
Je voudrais aussi remercier mes distingues predecesseurs, les laureats de ce prix fameux, le Friedenspreis, qui ont pris sur leur temps pour venir assister ä cette ceremonie tellement imposante, j'ai nomme Karl Dedecius et Friedrich Schorlemmer. Je suis emu et im-pressionne comme un eleve devant ses maTtres de les voir assis en face de moi.
Ma gratitude va ä mes editeurs, et amis, qui ont fait le voyage ä Francfort et qui sont dans la salle, je cite Antoine Gallimard qui pre-side aux destinees des Editions Gallimard, Katharina Meyer qui di-rige les Editions Merlin. Je salue mes traducteurs en allemand, Regi-na Keil-Sagawe, Riek Walther, Ulrich Zieger, ils sont dans ia salle, Sans eux, qui m'aurait lu ? Je leur dois d'avoir ete adopte en Allema-gne. Mes autres editeurs m'excuseront de ne pas les citer, le temps et l'espace me sont comptes. Je leur dois beaucoup et je les remer-cie.
Je le dis en passant, je regrette beaucoup que l'ambassadeur d'Algerie en Allemagne ne soit pas avec nous, car aujourd'hui, ä tra-vers ma personne c'est l'Algerie et son peuple qui sont honores. Cette chaise vide me desole et m'inquiete, j'y vois un rnauvais signe, cela veut dire que ma Situation au pays ne va pas s'ameliorer meme en y ramenant un prix de la paix. D'ici, s'ils pouvaient m'entendre, je voudrais rassurer mes compatriotes et leur dire que nous ne som-mes pas seuls, dans cette salle nombreux sont les femmes et les hommes qui croient en nous et nous soutiennent et parmi eux de grands ecrivains dont la voix porte loin, un jour eile leur parviendra et

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leur donnera ce surcroTt de courage qui fait la difference face aux tyrans. Je (es remercie de tout coeur.
Je reviens maintenant ä ces choses que je voulais vous dire, qui
me tiennent ä coeur. La premiere renvoie ä ce jour de cette annee
2011, le 10 mai precisement, jour desormais memorable pour moi,
quand j'ai recu une lettre d'Altemagne, du President Gottfried Honne-
felder qui m'annongait cette nouvelle incroyable, impensable, que
j'etais le laureat du prix de la paix 2011, ce prix qui depuis sä crea-
tion en 1950 a honore des personnalites immenses. Je vous le dis
franchement, je ne comprenais pas, il y avait meprise, me disais-je,
un enchamement d'erreurs a fait de moi, un ecrivain modeste, un
militant d'occasion, un scribouillard comme on dit de moi ä Alger
dans les milieux autorises, le laureat de cette distinction prestigieuse
ä laquelle, je vous l'assure, je n'avais jamais seulement songe. Ce
jour, j'ai ressenti un choc enorme qui m'a plonge dans un question-
nement existentiel angoisse qui a dure tout l'ete et jusqu'ä ce jour. Si
je suis bien cet homme ä qui on a donne ce prix de la Paix, alors
j'etais dejä un autre homme... et je ne le savais pas l J'eus soudain
peur que Ton me trouvät ambigu, faussement modeste, cyniquement
ambitieux, betement versatile, je suis un homme accommodant, je
peux verser ä mon insu dans Tun ou l'autre travers. Je ne suis pour-
tant que moi-meme, quelconque et ma foi plutöt timore. Mais reste-t-
on soi-meme avec un tel prix sur les epaules ?
C'est votre prix, Mesdames et Messieurs les editeurs et libraires allemands, vous savez son pouvoir de transformation - je dirais transfiguration car la chose se fait instantanement, ä l'annonce meme, comme par magie - sur ceux-lä ä qui vous le donnez, vous savez comme il peut les impressionner, les transformer ou leur faire

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prendre conscience qu'ils avaient change au cours du temps et que leur oeuvre s'inscrivait dans un autre plan, plus large que celui qu'ils croyaient occuper comme ecrivains, philosophes, dramaturges ou autres, il leur fait decouvrir qu'ils ceuvraient pour une cause supe-rieure, la paix, et pas seulement pour satisfaire un besoin narcissique d'ecriture. On se decouvre finalement quand les gens vous le mon-trent. Le phenomene releve de la relativite, nous vivons par nous-memes mais c'est par les autres que nous existons, c'est de leur re-gard interrogateur que nous vient la conscience de notre existence et de notre importance. La oü je suis, derriere ce lutrin, face ä vous, je suis moi-meme et un autre cependant que je ne connaissais pas, que je ne connais pas encore, celui que vous avez designe pour etre l'homme du Prix de la Paix 2011. Le prix cree la valeur sans doute, comme la fonction cree l'organe. Je servais la paix sans le savoir, je vais maintenant la servir en le sachant, ce qui va mobiliser en moi d'autres facultes, je ne sais lesquelles, peut-etre le sens de la Strate¬gie et de la prudence, autant indispensable dans l'art de la paix que dans l'art de la guerre. Le prix de la paix est comme le doigt de Dieu ou la baguette du magicieri, il vous transfigure ä l'instant oü il vous touche le front, il fait de vous un soldat de la paix.
Vous imaginez combien J'ai pu etre desoriente devant cette nou-velle. Platte, mais desoriente. C'etait un saut quantique dans un au-tre monde, celui de la notoriete qui vous depasse, quand l'individu s'efface devant l'image qu'on a de lui, celui des grandes responsabi-lites qui vous imposent d'avoir des ambitions aussi grandes. La vie est un revelateur, dit-on, chaque jour on devient un peu plus... ce qu'on est. Au bout seulement, nous saurons qui nous etions au de-part. Encore la relativite. Croyez-moi, je me suis beaucoup interroge : un prix de la paix, ä moi ? me disais-je, ä moi qui vis dans la guerre depuis toujours, qui ne parle que de la guerre dans ses livres, et qui peut-etre ne croit qu'ä la guerre, car toujours eile est sur notre che-

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min, et apres tout nous n'existons que par eile, c'est eile qui nous fait cherir la vie, c'est bien eile qui nous fait rever de la paix et nous incite ä la rechercher, et puis helas ainsi est notre histoire en Algerie, ja-mais au cours des siecles nous n'avons eu le choix entre guerre et paix mais seulement entre guerre et guerre et quelles guerres, elles nous furent toutes imposees et chacune a failli nous decimer jus-qu'au dernier, une guerre de liberation contre le colonialisme qui fut longue et atroce entre 1954 et 1962, qui, ainsi que nous le decou-vrimes au fil des massacres, etait une guerre gigogne : dans la guerre pour l'independance si pleine de nobles accents, il y avait une autre guerre, une guerre fratricide honteuse et cruelle, on se battait contre les forces coloniales et contre nous-memes, FLN contre MNA, arabes contres berberes, religieux contre lai'cs, preparant ainsi les haines et les divisions de demain, et il y avait une autre guerre en-core, sournoise et crapuleuse celle-lä, que les chefs du mouvement nationaliste dejä engages dans la course au pouvoir se faisaient, ce qui clairement ne laissait aucune chance ä l'avenir de liberte et de dignite pour lequel nos parents avaient pris les armes.
La paix finit par arriver cependant, apres huit annees de guerre, mais c'etait une dröle de paix, eile ne dura qu'un jour, le temps d'un coup d'Etat, le premier d'une serie, car aussitöt, le lendemain de l'independante, le 5 juillet 1962, la liberte gagnee par le sang a ete volee au peuple comme on vole l'argent des pauvres, avec mepris et vulgarite, et nous enträmes alors dans une interminable guerre de tranchee, obscure et triste, qui a mis le peuple face ä une armee in-visible, une police politique piethorique appuyee par une bureaucra-tie tentaculaire, contre laquelle nous ne pouvions rien, nous n'avions que la patience et la ruse pour resister et survivre.
La liberation n'etait pas LA liberte, encore moins LES libertes, c'etait l'enfermement, plus les penuries. C'etait dur ä avaler. Apres

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cela, sans meme un repit, ne serait-ce que pour mesurer les degäts psychologiques de cette longue et humiliante soumission, nous sommes tombes en 1991 dans la pire des guerres, la guerre civile, une barbarie aveugle voulue par les hordes islamistes et le complexe militaro-policier, qui fit des centaines de milliers de morts, qui a ruine le peuple et brise ce lien miraculeux qui fait une nation. Cette barba-rie est aujourd'hui en phase de reflux, les protagonistes (les Turbans et les Casquettes comme nous les appelons au pays), ont conclu un deal fructueux, ils se sont partages le territoire et la rente petroliere. Ces arrangements mafieux ont ete passes sous le couvert de lois magnifiques, susceptibles de seduire l'opinion occidentale la plus difficile, car ayant pour objet la concorde civile, la reconciiiation na-tionale, bref la paix, entiere, fraternelle, bienheureuse, une paix en fait teile une ruse de guerre qui recompense les assassins, acheve les victimes et, avec elles, enterre une fois pour toutes la verite et la justice. Ils se sont montres de parfaits strateges, ils ont reussi ä se-duire les democraties occidentales, ce qui a fini de nous abattre, nous comprenions qu'il n'y avait de Bien et de Verite nulle part.
Les Turbans les ont seduits en premier, en 1991, ils ont joue sur une soi-disant legitimite acquise par les urnes, des urnes truquees en l'occurrence, dont les militaires les auraient frustree et plus tard, lorsque leur vraie nature se revela au grand jour, effroyable de haine et de fourberie, les Casquettes bardees de medailles ont ä leur tour seduit les democraties occidentales, decidement tres faciles ä con-vaincre, ou qui pechaient au nom de la realpolitik, ils ont fait valoir leur capacite ä les proteger du terrorisme islamiste et de l'emigration clandestine, lesquels comme l'explosion de la contrebande ne sont que les scories de leur gestion calamiteuse du pays. Dans cette nou-velle division internationale du travail, l'arbitraire, la torture et le meurtre etaient ainsi valides dans nos pays. Les röles etaient distri-bues de la sorte, le Sud etait le repaire des envahisseurs,

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l'epouvantail de Service, le Nord etait le paradis encercle menace, et, supreme deraison, nos dangereux et insatiables dictateurs furent eleves ä la dignite de Gardiens de la Paix dans le monde, des bien-faiteurs de l'humanite comme Ben Laden a pu l'etre pour ces millions d'ämes en jachere dans ce qu'on appelle la « rue arabe » pour l'Orient et les « banlieues difficiles » pour l'Occident.
Quant au peuple algerien, aneanti par dix annees de terreur et de mensonge, on lui offrit en guise de paix ce qui ressemble le moins ä la paix : la tranquillite, cette soupe ennuyeuse qui prepare l'oubli et la mort bete. C'etait ga ou la guerre, encore la guerre, toujours la guerre. Nous nous laissämes convaincre nous aussi, nous etions fatigues et bien seuls. Nous avons aussi peche par ignorance, per-sonne ne nous avait jamais dit qu'il fallait un minimum de democratie dans un pays pour que la paix puisse devenir une alternative credi-ble, qu'il fallait encore d'autres ingredients pour que cette paix rudi-mentaire se vive ensemble et profite ä chacun : il faut un peu de sa-gesse dans la tete des enfants, un peu de vertu dans le cceur des vieux endurcis par les souffrances, un peu de retenue chez les ri-ches, un peu de tolerance chez les croyants, un peu d'humilite chez les intellectuels, un peu de probite dans les institutions de l'Etat, un peu d'attention de la part de la communaute internationale. Dans un pays qui n'a connu que la dictature, celle des armes et de la religion, la seule idee qu'on peut avoir de la paix est la soumission, ou le sui-cide, ou l'emigration sans retour. L'absence de liberte est une dou-leur qui rend fou ä la longue. Elle reduit 1'homme ä son ombre et ses reves ä ses cauchemars. Le peintre Giorgio De Chirico disait cette chose troublante : II y a plus d'enigmes dans l'ombre d'un homme qui marcne au soleil que dans toutes les religions passees, presentes et futures. C'est possible, et sans doute vrai, mais il n'y a que de la honte et rien de mystique dans la douleur chez l'homme qui se reduit ä son ombre. Qui n'est pas libre ne respectera jamais l'autre, ni

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l'esclave car son malheur lui rappelle sä propre humiliation, ni celui qui est libre car son bonheur est une Insulte pour lui. Seul le desir de liberte le sauvera de la haine et du ressentiment. Sans ce desir consciemment porte, nous ne sommes pas des humains, il n'y a rien de vrai en nous.
Tel est mon pays, Mesdames et Messieurs, malheureux et dechi-re. Je ne sais qui l'a voulu ainsi, la fatalite, l'histoire, son peuple, je dirais plutöt ses dirigeants qui sont des gens capables de tout. Mon pays est une somme de paradoxes insolubles, mortels pour la plu-part. Vivre dans l'absurde est debilitant, on titube d'un mur ä l'autre comme un ivrogne. Pour les jeunes, qui ont un avenir ä trouver, qui ont besoin d'un cap clair pour se guider, c'est dramatique, il est de-chirant de les entendre hurler ä la mort comme des loups au fond de la nuit.
Le prernier paradoxe est que l'Algerie est un pays immensement riche et les Algeriens cruellement pauvres. C'est rageant comme de mourir de soif au milieu d'un lac profond et frais. Ce qui n'est pas perdu par la dilapidation Test sans faute par la corruption. Le deu-xieme paradoxe est que l'Algerie est une democratie parfaitement constituee, avec des partis politiques de toutes les couieurs jus-qu'aux plus originales, une presse libre autant qu'on peut l'etre, un President elu selon la loi, et toutes sortes d'institutions dont le souci reconnu est le droit, la transparence, l'equilibre des pouvoirs, le ser-vice pubiic, mais dans la realite de chaque jour le peuple vit le des-potisme le plus cruel, le fameux despotisme oriental que rien au cours des siecles n'a pu humaniser. Le troisieme paradoxe, ä mes yeux le pire parce que cause de troubles mentaux irremediables est celui-ci : i'Algerie a une histoire extraordinaire, tellement riche et en-


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richissante, eile a frequente toutes les civilisations de la Mediterra-nee, elles les a toutes passionnement aimees, et epousees, et fiere-ment combattues, la civilisation grecque, phenicienne, romaine, van-dale, byzantine, arabe, Ottomane, espagnole, francaise, mais ä l'independance, quand vint le moment de rassembler ses peuples, y compris les derniers arrives, les Pieds-Noirs, et mobiliser son genie pour aller de l'avant, eile a d'un seul coup efface sä memoire ; dans un inexplicable autoodi, le deni de soi, eile a renie son identite an-cestrale berbere et judeo-berbere et tout ce qu'une histoire multimil-lenaire lui a apporte et s'est enfermee dans une histoire courte qui empruntait beaucoup ä la mythologie et presque den ä la realite. La raison ä cela ?
C'est la logique du Systeme totalitaire, le Parti Unique voulait Sa religion, Son histoire, Sa langue, Ses Heros, Ses legendes, il les in-venta en petit comite et les imposa par decret, la propagande et la menace apporterent ce qui fait que ces choses mortes mar-chent quand meme : l'adhesion apeuree des gens. La lütte pour la reconnaissance de notre identite a ete longue et douloureuse, la re-pression a fait des centaines de morts, notamment dans cette region indomptable depuis les origines qu'est la Kabylie, la torture et la pri-son ont brise des milliers de militants et pousse des populations en-tieres sur les chemins de l'exil. Obeissant ä sä logique, la repression s'est etendue aux francophones, aux chretiens, aux juifs, aux laTcs, aux intellectuels, aux homosexuels, aux femmes libres, aux artistes, aux etrangers, tous ceux qui par leur presence pouvaient empecher l'identite revee de se realiser. La diversite, la couleur humaine, est devenue un crime de lese-identite. La lütte n'est pas finie, le plus dur reste ä faire, se liberer et se reconstruire dans un etat democratique ouvert, accueillant, qui donne une place ä chacun et n'impose rien ä personne.

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Vous savez tout cela, Mesdames et Messieurs, vous savez que ce sont ces violences, ce harcelement sans fin, cette immixtion epou-vantable dans notre vie intime, qui ont amene les revoltes dans nos pays, elles explosent les unes apres les autres comme un feu d'artifice. II y a beaucoup de malheurs dans ces evenements mais nous les acceptons car au bout est la liberte.
Pour avoir ecrit ces choses connues de tous, mes livres sont in-terdits dans mon pays. C'est l'absurde dont se nourrissent les dicta-tures : mes livres sont interdits mais moi qui les ecris je vis dans ce pays, libre jusqu'ä nouvel ordre d'aller et venir. S'il y a une epee de Damocles au-dessus de ma tete, je ne la vois pas. Et si mes livres circulent quand meme au pays, c'est au travail invisible et tres risque de certains libraires qu'on le doit. Dans une lettre adressee ä mes compatriotes, publiee en 2006 sous le titre Poste Restante Alger, j'ecrivais ceci : « N'etait la peur de les pousser ä bout (Je parle des intolerants), je leur dirais que je n'ai pas ecrit en tant qu'Algerien, musulman et nationaliste, ombrageux et fier, et totalement discret, j'aurais bien su en l'occurrence quoi dire et comment le dire, j'ai ecrit en tant qu'etre humain, enfant de la glebe et de la solitude, hagard et demuni, qui ne sait pas ce qu'est la Verite, dans quel pays eile ha-bite, qui la detient et qui la distribue. Je la cherche et ä vrai dire je ne cherche rien, je n'ai pas ces moyens, je raconte des histoires, de simples histoires de braves gens que l'infortune a mis face ä des ma-landrins ä sept mains qui se prennent pour ie nombril du monde, ä la maniere de ceux-lä, perches au-dessus de nos tetes, souriant gras-sement, qui se sont empares de nos vies et de nos biens et qui en Supplement exige notre amour et notre reconnaissance. J'aimerais leur dire que la dictature policiere, bureaucratique et bigote qu'ils soutiennent de leurs actes ne me gene pas tant que le blocus de la pensee. Etre en prison, d'accord, mais la tete libre de vagabonder,

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c'est ca que j'ecris dans mes livres, ca n'a rien de choquant ou de subversif ».
Dans « L'homme revolte », Camus disait: Ecrire, c'est dejä choi-sir. Voilä, c'est ce que j'ai fait, j'ai choisi d'ecrire. Et j'ai eu raison de le faire, les dictateurs tombent comme des mouches.
Je voudrais, si vous le permettez, terminer par une petite reflexion en relation avec les revoltes arabes et le conflit israelo-palestinien. Nous le sentons tous, depuis la revolution du Jasmin en Tunisie : l'air est en train de changer dans le monde. Ce qui paraissait impossible dans ce vieux monde arabe sclerose, complique et atrabilaire, est arrive : on se bat pour la liberte, on s'investit dans la democratie, on ouvre les portes et les fenetres, on regarde l'avenir et on le veut ai-mable, et simplement humain. Ce qui se passe ä mon avis n'est pas seulement la chasse aux vieux dictateurs obtus et sourds et ne se limite pas aux pays arabes, c'est un changement mondial qui s'amorce, une revolution copernicienne : on veut une vraie democra-tie, universelle, sans barriere ni tabou. Ce qui violente la vie, l'appauvrit, la restreint, la denature, est devenu insupportable ä la conscience du monde, on le refuse de toutes ses forces. On refuse les dictateurs, on refuse les extremistes, on refuse le diktat du mar-che, on refuse l'emprise etouffante de la religion, on refuse le cy-nisme pretentieux et lache de la realpolitik, on refuse la fatalite meme quand eile a le dernier mot, on refuse les pollueurs, partout on s'indigne, on s'insurge, contre ce qui fait mal ä l'homme et ä sä pla-nete. C'est une nouvelle conscience qui emerge. C'est un tournant dans l'histoire des nations, un « Die Wende » comme vous avez dit vous-memes au moment de la chute du Mur de Berlin.

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Dans ce mouvement insurrectionnel, nous sommes de plus en plus nombreux ä refuser que le plus vieux conflit du monde, le conflit israelo-palestinien dure plus longtemps et accable demain nos en-fants et nos petits-enfants. Nous sommes meme impatients, nous refusons que ces deux grands peuples, si profondement ancres dans l'Histoire de l'humanite, restent un jour de plus otages de leurs petits dictateurs, d'extremistes bornes, de nostalgiques mal sevres, de ran-?onneurs et de provocateurs de quartiers. Nous les voulons libres, heureux et fraternels. Notre conviction est que le printemps parti de Tunis va arriver ä Tel-Aviv, ä Gaza, ä Ramallah, il arrivera jusqu'en Chine et au-delä. Ce vent souffle dans toutes les directions. Bientöt il rassemblera Palestiniens et Israeliens dans la meme colere, ce sera le « Die Wende » du Moyen-Orient, les murs tomberont alors dans un joli et sympathique fracas.
Mais en vrai, le miracle n'est pas qu'lsraeliens et Palestiniens fas-sent la paix un jour, ils pourraient la signer en cinq mmutes sur le coin d'une tabie, et plus d'une fois ils se sont trouves ä deux doigts de le faire, le miracle est que ceux qui se posent en parrains, en tu-teurs et en conseilleurs de ces deux peuples, que dis-je, se posent en prophetes intransigeants, cessent de transferer leurs fantasmes sur eux. Les Guerres saintes, les Croisades ä repetition, les Ser-ments eternels, la Geostrategie des Origines, c'est fini depuis long-temps, Israeliens et Palestiniens vivent ici et maintenant, non dans un passe mythique, et il ne leur incombe pas de le ressusciter. La demande de reconnaissance d'un Etat palestinien independant et souverain dans ses frontieres de 67 introduite par le President Mah-moud Abbas aupres de I'ONU etait un coup d'epee dans l'eau, nous le savions, mais ä mon avis, meme rate, ce petit coup est un grand coup, aussi decisif que le fut rimmolation du jeune tunisien Bouazizi qui embrasa le monde arabe. Pour la premiere fois depuis soixante ans, les Palestiniens n'ont obei qu'ä leur volonte propre, ils sont ve-

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nus ä New York parce qu'ils le voulaient, ils n'ont demande l'autorisation ou la caution de personne, ni aux dictateurs arabes, que nous sommes en train d'enterrer Tun apres l'autre, ni ä la Ligue arabe qui ne resonne plus comme un tambour de guerre, ni ä un quelconque grand mufti mysterieux sorti de l'arriere-boutique isla-miste.
C'est extraordinaire, pour la premiere fois les Palestiniens ont agi comme des Palestiniens au service de la Palestine et non comme des Instruments au service d'une nation arabe mythique ou d'une internationale djihadiste helas bien reelle. Seuls les hommes libres peuvent faire la paix et Abbas est venu en homme libre, et peut-etre comme Sadate le paiera-t-il de sä vie, les ennemis de la paix et de la liberte ne manquent pas dans la region, et ils sont aux abois. II est triste qu'un homme comme Obama, le merveilleux trait d'union entre les deux hemispheres de la planete, ne l'ait pas compris et saisi l'occasion qu'il guettait au demeurant depuis son fameux discours du Caire.
Israel est un pays libre, personne n'en doute, c'est une belle, grande et etonnante democratie, plus que tout autre pays, il a besoin de la paix, l'etat de guerre et d'alerte permanents dans lequel il vit depuis soixante ans n'est pas tenable, il lui faut ä son tour rompre avec les extremistes et tous ces lobbys qui, ä l'abri dans leurs loin-tains edens, l'incitent ä l'intransigeance, sterile evidemment, et l'enferment dans des equations insolubles. A mon avis, II nous faut tous sortir de l'idee que la paix se negocie, on negocie des modali-tes, des formes, des etapes, la paix est un principe, il s'enonce en public, de maniere solennelle. On dit: Paix, Shalom, Salam et on se serre la main. C'est ce qu'a fait Abbas en allant ä I'ONU, c'est ce qu'a fait Sadate quand il est alle ä Tel-Aviv. Est-ce rever que souhai-

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ter que Netanyahou fasse de meme, qu'il vienne ä I'ONU ou qu' aille ä Ramallah enoncer le principe de la paix ?
Je vous remercie pour votre patience.






















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Wagner le 08.11.11 à 12:39 dans d/ Nos écrivains célèbres. - Lu 1701 fois - Version imprimable
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Mouvement de cœur et d’opinion, il fonctionne, compte tenu de son expansion, principalement grâce à Internet : Site, groupes de discussion et d’action. Cependant et afin de favoriser les contacts vivants, lorsque l’implantation géographique de ses "adhérents" le permet, des sous-groupes géographiques se constituent.

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