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D'Algérie - Djezaïr
Mouvement de réconciliation

Proposer une devise

"Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit." Albert Camus// "La vérité jaillira de l'apparente injustice." Albert Camus - la peste// "J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'intarissable espérance." Jacques Berque// « Mais quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles. On parle de l'arabe, on parle du français, mais on oublie l'essentiel, ce qu'on appelle le berbère. Terme faux, venimeux même qui vient du mot 'barbare'. Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom? ne pas parler du 'Tamazirt', la langue, et d''Amazir', ce mot qui représente à la fois le lopin de terre, le pays et l'homme libre ? » Kateb Yacine// "le français est notre butin de guerre" Kateb Yacine.// "Primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) Serment d'Hippocrate// " Rerum cognoscere causas" (heureux celui qui peut pénétrer le fond des choses) Virgile.// "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" Albert Camus.

D'Algérie-Djezaïr

Le MOUVEMENT D’Algérie-Djezaïr vient d’être officialisé par plus d’une centaine de membres fondateurs résidant dans le monde entier, ce 22 juin 2008 à Saint Denis (Paris - France). Il est ouvert à toutes celles et ceux qui voudront le rejoindre, natifs d'Algérie, et leurs descendants.

ORGANISATION

Elle est démocratique, c'est-à-dire horizontale, sans centralisme, et sans direction. Les décisions essentielles doivent être conformes à l’esprit du Texte Fondateur. Elles sont prises après larges consultations, où tous les membres donnent leurs opinions. Les règles internes sont arrêtées par les "adhérents". Pas de cotisations. Les groupes et le Mouvement trouvent les moyens de faire aboutir leurs actions.

"Itinéraire d'une Frangérienne"

Zohra Maldji-Salah

Itinéraire d'une Frangérienne  de  Zohra Maldji-Salah


Par Jean-Pierre Lledo.

 

Je suis heureux de vous inviter à vite lire ce récit. Et d'abord ces quelques extraits. Rassurez vous, ce ne sont que quelques pages. Le reste est de la même vérité. Car c'est toute une vie. Vie de maman de quatre enfants qui vont tous à l'Université en France, ce qui permet au papa maçon de discuter Platon avec sa sorbonnarde de fille. Mais qui se rappelle aussi presque tout depuis sa naissance à Nemours, jusqu'à son arrivée, jeune mariée, dans l'ex-métropole. Une Algérienne devenue française, par sa nouvelle vie, son travail qu'elle arrache à son mari réticent au début, sa découverte des Français, pas plus racistes que les frères du bled, tient-elle à souligner. Car Zohra Maldji n'a jamais froid à la plume. Elle dit les choses, telles qu'elles sont. Telles qu'elles les a vécues. Avec les vrais noms. Avec les belles histoires et les vilaines, celle du grand-père notamment. Et quand elles sont vilaines, ne comptez pas l'arrêter. Si son mari n'a pu l'empêcher d'apprendre à conduire, alors n'essayez même pas ! Du temps de la guerre, elle a vu des prisonniers algériens en mauvais état, et elle le dit. Mais elle se rappelle aussi l'assassinat de ce bon policier musulman, par des patriotes ''libérateurs'' et elle le dit aussi. Personne n'avait osé avant elle, dans la chronique locale de Ghazaouet, telle qu'on l'appelle depuis l'indépendance. Dans ces centaines de pages, il y en a pour tous les goûts. Les romantiques et les nostalgiques. Les femmes révoltées qui refusent leur condition. Le passé et le présent. Même la TV française en prend pour ses galons. Ne parlons pas des intégristes et autres bigots. Zohra Maldji ne devrait jamais s'arrêter d'écrire, pour rester ce sacré vigile. Source de lucidité, de courage, et de repères dans un monde où le modèle en passe de se populariser est la figure du trouillard. Trouillard de la pensée et plus encore de l'expression, de surcroît amnésique à mort ! Merci Zohra Maldji.


 

I

 

 

SOUVENIRS, SOUVENIRS…

 

 

L’une de mes camarades de classe, Geneviève Micelli, apportait chaque lundi un bouquet de fleurs à la maîtresse. Fleurs qui provenaient du jardin de sa mère dont c’était l’occupation favorite et que l’on voyait souvent ceinte d’un tablier, un chapeau sur la tête, des gants et un sécateur à la main. 

Geneviève était toujours joliment habillée avec un tablier différent chaque jour. Elle avait de jolis cheveux blonds assez longs, mais un beau lundi, elle arriva avec les cheveux coupés court. Elle était mignonne et cela lui allait bien. Bien que petite-fille de Papa Falcone, c’était une petite fille gentille et discrète, mais nous n’avions que des relations de camarades de classe, sans plus. Si je me souviens bien de certaines, d’autres ne sont plus que des fantômes installés tout au fond de ma mémoire et que je n’arrive pas à faire sortir au grand jour.

Marie-Thérèse, la maigrichonne qui n’arrêtait jamais de manger et qui, chuchotait-on, avait un ver solitaire dans l’estomac.

Violette Pappalardo, aucun signe particulier, sauf qu’elle était très grande, douce et gentille et plus maigre que moi si c’était possible,

Danièle Lévy, fille d’un agent de police. Signe particulier : se moquait de tout un chacun, voulait tout régenter et était d’une méchanceté notoire. Je ne l’aimais pas beaucoup.

Odette Laidet, grosse fille aux joues bien rondes encadrées de tresses noires. Allait souvent au cinéma le dimanche et nous racontait le film le lendemain. Son père aussi était un policier.

Lydie et Estelle Bouhana, deux sœurs, deux amies. Leur soeur aînée Renée était institutrice. Elles étaient elles aussi orphelines de père. Leur mère tenait un pressing, à deux pas de l’école.

Un souvenir concernant ces deux sœurs. Un jour, Lydie me demanda d’aller avec elle voir sa mère après l’école, car elle voulait me parler. Que me voulait-elle ? Tout simplement que j’apprenne à mes deux amies à danser puisque dès l’année scolaire terminée, elles devaient toutes rentrer en France. Et c’est ainsi que chaque jour après la classe, j’allais chez elles. Elles habitaient dans un immeuble pas loin de l’école. Et pendant que Fatna la bonne jouait de la derbouka, j’essayais d’enseigner à mes amies la façon de se mouvoir. Quand maman apprit que je donnais de leçons de danse à mes amies, elle se mit en colère et me dit : “Tu es folle. Tu vas nous faire égorger si on voit que tu vas chez eux !”. Nous étions en 1962 et l’OAS faisait régner la terreur, les nôtres aussi d’ailleurs. Mais j’étais jeune, je passai outre et je continuai à aller donner les leçons de danse à mes amies jusqu’à leur départ.

Sylvie, cousine des précédentes, fille gâtée et insupportable.

Annie, la fille unique du Docteur Bernard, très coléreuse et très gâtée aussi.

Régine, la pauvrette pleine de boutons.

Josy Belmonte : son papa avait aussi une conserverie dont la spécialité était surtout les anchois et qui avait été non seulement le patron de mon père à une époque mais aussi son ami, et qui habitait l’une des plus jolies maisons de la ville.

Arlette Barioulet dont le père possédait des terres et qui demeurait à deux pas de chez moi.

Palma et Anna Galano, deux sœurs, deux jumelles mais très dissemblables. Palma ressemblait à son père, grande et bien charpentée, et Anna à sa mère, petite et plutôt boulotte.

C’est grâce à elles que j’avais de la lecture pendant les vacances car elles m’en apportaient de la bibliothèque de l’église. C’est ainsi que j’ai lu les romans de Delly.

Elisabeth et Nicole Llabador, deux soeurs. Leurs ancêtres furent parmi les premiers habitants de Nemours, venus s'installer dès les premiers jours de la colonisation et dont l'un fut même maire. Monsieur Edouard-François Llabador fut conseiller municipal à l'époque où Monsieur Gustave Dréveton était maire, en 1886. Octave Llabador, son fils, fut élu conseiller municipal dès le 1er mai 1908, puis en mai 1912.

Il fut de nouveau élu conseiller municipal en mai 1929 et proclamé maire. Il exerça ses fonctions de maire jusqu'en 1935 où lui succéda Monsieur Jean Ribes.

Pendant les 30 années de son exercice, Monsieur Octave Llabador s'était consacré à l'essor de la ville de Nemours. C'est grâce à ses efforts que ses projets concernant le chemin de fer et le port virent le jour. C'est donc à lui que, pour une grande part, revint le mérite d'avoir pu démontrer les possibilités du développement maritime de Nemours, dont la valeur de la rade avait été pendant longtemps discutée.

Nemours lui doit aussi l'exécution, si longtemps différée, des grands travaux d'aménagement du port, la construction du chemin de fer de Nemours-Zoudj-El-Beghal, la construction du nouvel Hôtel des Postes, le dérasement de la partie Ouest des remparts.

Son fils, Monsieur Francis Llabdor, avait été le pharmacien connu et estimé de tous. Il avait à son tour démontré l'amour qu'il avait pour sa ville natale en lui consacrant un ouvrage "Nemours - Djemâa-Ghazaouet", devenue depuis la Bible des Nemouriens.

Et puis il y eut Henriette Torremocha, ma tendre et douce Henriette. A l’inverse des autres filles qui étaient toutes nées à Nemours, elle, elle venait s’installer chez nous. Elle habitait l’un des appartements du phare dont son père était le gardien, avec sa mère, ses deux frères Oscar et Alain et sa petite sœur Bernadette, qui, elle, par contre est née à Nemours. Que d’agréables après-midi nous avions passées là. Ce fut chez elle que je revis un sapin de Noël, après ceux de l'école maternelle

Mon école ne possédait pas d’infirmerie, aussi allions-nous passer toutes nos visites médicales dans celle du collège. L’infirmière, Madame Jorcin, dont le mari était instituteur à l’école de garçons, était une femme à l’air fragile, très douce et très gentille. Toutes les filles l’aimaient beaucoup. Le jour de la visite, nous étions vêtues de nos plus beaux vêtements, comme si nous allions à une fête.

Nous portions de jolies culottes, notre tricot de corps le plus beau, des chaussettes blanches et impeccables. Certaines filles avaient des jupons ou des combinaisons. Une fois la visite terminée, nous reprenions le chemin de notre école en rangs bien sages.


II

 

HISTOIRE A NE PAS DIRE NI ECRIRE

 

 

 

Rentrée des classes - Classe de cinquième - 63-64

 

Ce que j’aimais particulièrement à chaque rentrée, c’est la distribution des livres scolaires. C’était à chaque fois une nouvelle découverte. Mais s’il y avait une chose que je détestais, c’était d’avoir des livres vieux ou abîmés. Dans le lot que l’on nous distribuait, il y en avait toujours trois ou quatre qui étaient plus ou moins en bon état. Alors, pour que tous mes livres soient neufs, je demandais à faire la première semaine de service de classe. Ce service, et chacun des élèves était tenu de le faire, consistait, une fois la classe vide, à nettoyer le tableau, secouer la brosse dans le couloir, ranger les craies et veiller à garder pleines les bouteilles d’encre afin que les élèves puissent remplir, le cas échéant, leurs encriers.

Je demandais toujours à être de service dès le premier jour, et ainsi je pouvais échanger mes livres abîmés contre des neufs, et, une fois recouverts de papier marron pour les protéger, personne ne s’apercevait de rien. Et ma petite supercherie, qui a duré pendant quatre ans n’a jamais été découverte, puisque je me  gardais bien de le dire à qui que ce soit. C’est avec plaisir que je demandais aussi à m’occuper de la bibliothèque de la classe, une vraie, car j’y découvrais d’autres livres que ceux de la bibliothèque Rouge et Or, Verte ou Rose. C’était dépassé !

Cette année-là, j’eus un nouveau professeur de mathématiques, Monsieur Paul Bouhana. Malgré mes lacunes et mes faiblesses, il a su m’amener à mieux travailler, à mieux comprendre et donc à avoir de meilleures notes. J’étais archi-nulle en géométrie, mais je m’en sortais honorablement en algèbre. Quant aux sciences naturelles, et à la physique-chimie, je peux dire que nous ne rigolions pas du tout pendant ces cours. Notre professeur, Monsieur Ibanez, n’était pas à proprement parler un Monsieur souriant ou agréable. Il était bel homme pourtant, quoiqu’un peu petit. Il souriait si rarement que lorsqu’il le faisait, c’était comme une récompense. Gare à celui ou à celle qui n’aurait pas fait ses devoirs, oublié d’apprendre sa leçon ou bien d’apporter tel ou tel instrument. Il ne badinait pas avec la discipline, et nous, de notre côté, nous faisions en sorte qu’il ne soit pas trop sévère à notre égard. Les cours de sciences naturelles et de physique-chimie n’avaient pas lieu en classe, mais dans ce que l’on appelait le laboratoire, pourvu de paillasses et de robinets et de tout le matériel nécessaire.

Monsieur Ibanez étant toujours égal à lui-même, il était impossible de savoir qu’elle était son humeur. Aussi, en allant au cours, nous rencontrions les élèves qui en sortaient et c’est par des signes de têtes ou des regards en coin qu’ils nous renseignaient sur son humeur, le professeur se tenant sur le pas de la porte, attendant que les uns sortent et que les autres rentrent. C’était un professeur dur, exigeant, intransigeant, mais équitable. On le craignait, mais on l’aimait bien malgré tout.

Français et Histoire-Géographie nous étaient enseignés par Madame Nicole Bouhana, l’épouse de notre professeur de mathématiques. C’était une femme sympathique et avec qui l'on avait de bons rapports dans l’ensemble.

Pas de dessin. Pas de musique.

Et toujours le même professeur d’arabe.

Si ses vêtements sales et mal entretenus luisaient de crasse et lui donnait un air peu engageant, son intelligence, elle, brillait par son absence. Nous ne nous aimions pas du tout et un incident, survenu en classe de cinquième, entérina définitivement notre inimitié. Il faut dire qu’il avait une habitude détestable, pour ne pas dire vicieuse, de pincer les filles qui avaient mal répondu dans le dos au niveau du soutien-gorge. On ne comprenait pas pourquoi il faisait cela et quel plaisir il pouvait en tirer. Surtout moi, qui n’était qu’une maigrichonne. Naturellement, aucune des filles n’osait en parler à sa mère. Il était professeur et arabe. C’est tout dire. Mais un jour tout fut découvert, à cause ou grâce à moi. Je me souviens que c’était en hiver, un jeudi. La veille, mercredi, nous étions montés chez mes grands-parents pour la veillée avec tout le reste de la famille. Etant donné que nous n'avions pas classe le lendemain,  nous avions dormi là, comme d’habitude.

Le matin alors que je rentrais dans la pièce où se trouvait ma mère, ma tante Sakina et ma grand-mère. Je me heurtai à celle-ci, qui sortait en portant la meida du petit-déjeuner. Un cri de douleur m’échappa et grand-mère aussitôt me dit d’arrêter de faire semblant d’avoir mal, m’ayant à peine effleurée. Mais maman, se leva et aussitôt vint vers moi.

- Qu’est-ce que tu as ? Pourquoi as-tu crié ?

- Rien, je n’ai rien. C’était juste pour rire.

- Retire ton tricot, que je voie !

Je dus m’exécuter. Et là, maman et ma tante virent une large tache bleue.

- Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda maman et ne me raconte pas de mensonges.

Je fus forcée de lui dire que c’était le professeur d’arabe qui agissait ainsi et avec toutes les autres filles aussi d’ailleurs.

- Très bien, dit maman

Puis se tournant vers ma tante et ma grand-mère qui revenait à cet instant :

- Je rentre chez moi pour me changer, puis je prendrai le premier car pour Nédroma. Je reviendrai ce soir.

Et comme c’était jeudi, jour du hammam et qu’on devait y aller toutes ensemble, elle dit à ma tante Sakina de se charger de nous.

Après s’être changée, maman partit pour Nédroma où habitaient les parents du professeur et chez qui il retournait quand il n’avait pas classe. Il était à peine 9h30 quand maman arriva donc à Nédroma. Elle alla directement chez eux. Elle connaissait bien la mère du professeur et après les salutations d’usage, cette dernière demanda à maman la raison de sa visite.

- Je voudrais parler à ton fils.

- Mon fils dort encore. Si ta fille a un problème avec lui, il faudra attendre demain pour aller le voir au collège.

       - Je ne peux pas attendre jusqu’à demain, et il serait préférable pour ton fils que je le voie ici plutôt qu’à l’école.

A ce moment, ce dernier sort de sa chambre et s’avance vers ma mère et la sienne.

-Voilà Khadija Bent El Hadj Seddik qui veut te parler, dit cette dernière à son fils.

- A quel sujet ? Et pourquoi tu t’es déplacée ? Tu pourras tout aussi bien me voir demain au collège.

- Certainement, mais je ne pense pas que tu aimerais que l’on sache pourquoi je tenais à te voir.

- Et pourquoi ?

- Je veux que tu saches bien qu’à l’avenir, je t’interdis de porter la main sur ma fille et sur les autres aussi. Si tu dois les punir, tu n’as qu’à faire comme les autres. Leur donner des punitions écrites ou des coups de règle sur les doigts. Eh oui ! Nos chers parents trouvaient tout cela normal, et l’on se gardait bien de leur dire que nous avions eu une punition quelle qu’elle soit, pour ne pas en avoir le double. [Tout cela s’est bien perdu et l’en on voit le résultat maintenant , il ne faut pas martyriser ces pauvres chérubins, n’est-ce pas ?] Tu n’as pas le droit de te comporter ainsi avec nos filles, concluait ma mère

- Si tu ne veux pas que mon fils punisse ta fille à sa façon, tu n’as qu’à la retirer de l’école, répliqua la mère.

- Ma fille continuera d'aller à l’école et c’est ton fils qui perdra sa place, s’il continue de se comporter ainsi avec nos filles. Aujourd’hui, je suis venue seule ; mais je vous préviens tous les deux que, si cela continue, je ne le serai pas quand j’irai voir le directeur. J’emmènerai toutes les autres mères avec moi.

Et se levant sur ces derniers mots, ma mère s’en alla sans les saluer. Elle alla ensuite déjeuner chez une de ses cousines, à qui elle raconta tout, encore sous l’effet de la colère.


III

 

L’AVENEMENT DE L’INTEGRISME

 

Cette année-là donc j’entrais en quatrième.

 

J’y retrouvais Mme Puig comme professeur d’histoire-géographie. Elle venait de mettre au monde, en France, un petit Frédéric. Mais hélas, cela allait être malheureusement sa dernière année. J’avais déjà perdu toutes mes autres amies qui étaient toutes rentrées en France.

Monsieur Bouhana, professeur de maths, sa femme professeur de français et de musique, Monsieur Ibanez, professeur de sciences naturelles et de physique-chimie. Cette année-là, je retrouvais avec bonheur les cours d’anglais et j’ai beaucoup apprécié et aimé Monsieur Marziano, le professeur d’anglais. Pour le dessin, que l’on faisait pour la première fois, ce fut un jeune enseignant qui venait de rentrer avec sa famille de France. Il était inutile de préciser que j’étais plus que nulle. Les cours de dessin étant quand même obligatoires, tout le monde était tenu d’être présent ; mais on y allait avec plaisir, car il y avait une ambiance bonne enfant, le professeur étant à peine plus âgé que nous. Nous étions plutôt espiègles et pas très attentifs.

Et toujours le même professeur d’arabe.

Cette année-là aussi je pris en charge la bibliothèque. J’étais très connue, pour ne pas dire célèbre, avec ma boulimie de lecture. C'est ce qui m’a permis de découvrir d’autres auteurs qui m’entraînèrent dans d'autres univers que le monde enfantin de la Comtesse de Ségur, les romans de chevalerie ou, à l’eau de rose et autres Clubs des cinq ou  Clan des sept.

Avec bonheur je découvris les œuvres de Victor Hugo que je ne connaissais pas, Balzac, Zola, Maupassant, André Gide, Colette et tant d’autres, ainsi que des romanciers anglo-saxons. J’eus plus de difficultés avec les écrivains russes. Les personnages avaient des noms assez incompréhensibles, et souvent chacun en portait trois ou quatre différents et, allez savoir, qui était qui. Qui a compris les “Frères Karamazov” dès la première lecture ? Mais mon obstination aidant, je persévérais et je finissais par comprendre les mécanismes et les ressorts du roman russe. Je n’eus pas à le regretter. Je fis connaissance aussi avec des écrivains Algériens : Kateb Yacine, Mohamed Dib, ce dernier étant originaire de ma région puisqu’il est né à Tlemcen, et je lus aussi Mouloud Féraoun, assassiné le 15 mars 1962.

Les programmes scolaires étaient toujours en français, heureusement pour nous. Mais cela n’allait pas tarder à changer. Car à partir du moment où Boumédienne prit le pouvoir en “renversant” Ben Bella, il n’eut d’autre empressement que d’arabiser le pays. Pour ce faire, il abandonna l’Education nationale aux intégristes qui s’empressèrent de faire main basse sur l'école.

Cela fut une épouvantable catastrophe, non pas dans le fait d’arabiser, mais dans les conditions dans lesquelles cela a été fait, de manière brutale et sans préparation aucune et dans un laps de temps très court.

Naturellement, il n’y avait pas beaucoup d’enseignants de langue arabe. Aussi a t-on appel à la Syrie, à la Jordanie et surtout à l’Egypte. Ainsi, Gamal Abd-el Nasser, ce “grand frère” trouva-t-il là le moyen de se débarrasser des indésirables qui le gênaient et nous envoya-t-il la lie de son pays.

Ces soi-disant enseignants tombèrent sur l’Algérie comme des sauterelles, au propre comme au figuré. Après leur départ, ils ne laissèrent que des ruines. Leur séjour chez nous fut un désastre incommensurable, irrémédiable, irréversible. Nous en payons le prix aujourd’hui.

C’était des gens incultes, sans aucun savoir, sans aucune pédagogie, sans aucun bagage culturel, sans aucune connaissance de notre pays et de son histoire. C’étaient des ignares entre les mains desquelles a été placé le destin de milliers d’âmes, et par là le pays lui-même. Après des enquêtes faites quelques années plus tard, trop tard, après des résultats désastreux il s’est avéré que ces enseignants n’étaient le plus souvent rien d'autre que des savetiers, coiffeurs, maçons ou, dans le meilleur des cas, de petits fonctionnaires, etc.

Ils ont formé toute une génération de sous-cultivés, d’"analphabètes bilingues" qui, s’étant aperçus ensuite qu’ils avaient été le jouet d’une certaine politique ont, pour se venger, en caricaturant l’enseignement, fait d’énormes dégâts. Dégâts qui ont aidé l’Algérie à sombrer dans l’agonie et le chaos dans lequel elle se trouve actuellement.

En effet, ces messieurs au pouvoir, intégristes compris, envoyaient leur progéniture dans les lycées où l’on enseignait en premier lieu le français, puis plus tard les envoyaient à l’étranger. Mais les autres n’avaient pas ce choix. Aussi, lorsque, à la fin de leurs études, ils s’aperçurent que l’arabe ne leur donnait que l’enseignement pour débouché et que toutes les autres fonctions étaient réservées aux élites, ils ne furent pas très heureux de constater qu’ils avaient été floués. Alors, ils se vengèrent. L’envie, l’aigreur, la haine s’installèrent dans leur cœur. Et, commensaux fidèles de leurs maîtres les Egyptiens, ils continuèrent à faire des ravages en distillant tout le poison qu’ils portaient en eux. Tous les enfants ont pâti de cet enseignement faussé, tronqué. On ne leur apprenait que la haine de l’autre. Peu importait qu’il fût étranger, juif, Français, artiste, intellectuel ou femme. Surtout femme.

Emmener des enfants dans un musée ? Cela n’existe pas. Leur faire connaître la nature ? Leur apprendre la beauté des arts quels qu'ils soient ? A quoi cela sert-il vraiment ? Il faut détruire tout ce qui est beau, tout ce qui appartient à l’autre, ce qui est différent ; celui qui ne pense pas de même, celui qui n’agit pas de même. Voilà à quoi tenait leur enseignement, surtout quand il était saupoudré de versets du Coran, eux-mêmes tronqués, faussés et sortis de leur contexte.

On peut donner un "bel" exemple de ces instituteurs abandonnés du système. C'est celui de Ali Benhadj, l'ex-numéro 2 de l'ex-FIS. Comme tous les autres, il n'était qu'un rebut, mais l'intégrisme montant lui donna la possibilité de prendre sa revanche. Et quelle revanche ! En devenant le numéro 2 d'un parti reconnu, il donna libre cours à sa haine, à son aigreur, à sa rancœur, à sa hargne, à son animosité envers tous ceux qui n'étaient pas de la même obédience. Le ton acerbe, amer, mordant et vindicatif de ses discours, grâce à ses talents d'orateur, galvanisait les foules formées surtout de jeunes, tous sans travail, sans idéal, et, qui, adossés à leur "hitt" (mur) regardaient passer la vie sans eux, sans qu'ils y participent. Arabophone, ce fanatique avait la haine des "Fils de France", principales victimes de sa vindicte, dont, tout comme les autres, il aurait aimé faire partie. Dieu et la religion n'avaient rien à voir là-dedans. Le pouvoir et la puissance étaient le seul moteur qui les faisait tourner. Qu'ils roulent en vélomoteur comme Ali Benhadj ou Mercedes de star comme Abassi Madani, seul le "trône" les intéresse... En fait, leur dieu avait pour nom POUVOIR !

 


 

IV

 

LE MARIAGE ? UNE BELLE SUPERCHERIE !

 

Le mariage est une loterie certes, mais quand on vous y mène les pieds et les poings liés, les yeux bandés, la bouche scellée sans rien savoir, on ne peut présager de ce qui va se passer. Mais au fait qu’est-ce que le mariage pour la femme ? Ce n’est ni plus ni moins que la seule et l’unique possibilité d’avoir un mari et des enfants à élever et par là obtenir une place dans la société grâce à son foyer. C’est un genre de paiement bien différent que celui que reçoit la prostituée, le bout de papier délivré par les autorités civiles ou religieuses ou les deux à la fois, attestant de la légalité de cette union qui n’empêche aucunement, au contraire, la femme d’être soumise à l’homme qui, en échange de l’honorabilité qu’il lui a apportée, se conduit en maître absolu et en despote. La femme devra se plier à toutes ses exigences et à ses désirs ; ce n’est ni plus ni moins qu’une espèce de prostitution légale que l’on appelle par fausse pudibonderie et véritable hypocrisie “le devoir conjugal”. La seule différence avec la prostituée est qu’elle n'est obligée de subir les coups de boutoir que d'un seul individu.

Cette fausseté et cette duplicité, convenues, connues et acceptées entraînent des souffrances morales et physiques dont seules les femmes paient le prix et dont elles ne sont pas toujours conscientes, dans la mesure où ce qu’elles subissent est “normal”. Elles ne pensent pas donc qu’elles ont à se plaindre et que le châtiment qu'elles subissent, elles l'ont mérité, puisqu'elles sont fautives. Peu importe qu'il y ait une raison ou non. C’est la victime qui offre elle-même au bourreau la corde pour la pendre. Beaucoup de femmes aux conditions de vies plus que malheureuses se suicideraient. Mais le suicide équivaut à commettre un péché. Un péché qui les enverrait directement en enfer. Enfer qu’elles vivent déjà sur terre. Mais certaines ne résistent pas et ne pouvant plus supporter la misère physique et morale qu’elles subissent, et, sachant qu’il n’y aura aucune amélioration avec le temps, que les ans passeront sur elles sans que jamais elles ne voient de ciel bleu dans leur vie, elles font le grand saut et préfèrent mourir d’un seul coup plutôt qu’à petit feu pendant de longues années.

Voici l’histoire véridique de l’une d’elles. Cette jeune fille avait épousé le fils d’un paysan, qu’elle ne connaissait pas comme de bien entendu. Celui-ci demeurait avec ses autres frères sous la férule du père dans un village accroché à une montagne où il fallait avoir des sabots de chèvres ou de bouquetins pour accéder.

Dans ce village oublié de Dieu et des hommes habitaient plusieurs familles qui étaient plus ou moins apparentées. Dans la famille en question, c’est le père qui, en véritable despote, gérait le travail et personne n’avait le droit de dire quoi que ce soit. Les fils filaient doux et les femmes, véritables serves, travaillaient comme des bêtes de somme, sans rechigner. D’ailleurs, elles ne travaillaient pas seulement comme bêtes de somme, elles étaient des bêtes de somme. Eté comme hiver, elles trimaient silencieuses et soumises. Tous les jours vers 4h00 du matin, le père frappait à la porte de ses fils. Les femmes se levaient en premier pour préparer le repas du matin, puis chacune d’elles devait faire la corvée qui lui était impartie dans la maison avant d’aller travailler dans les champs. C’est ainsi qu’elles se partageaient la préparation du repas, le ménage, la lessive, la vaisselle et naturellement pétrir et cuire le pain pour toute la maisonnée, sans oublier de s’occuper des enfants.

Ensuite, il leur fallait aller ramasser le bois, traire les vaches et les chèvres, aller à la source chercher l’eau sur le dos pour remplir les jarres et souvent même glaner derrière les moissonneurs quand il le fallait. Elles n’avaient pas un seul moment de répit

Et tout ceci sous le regard malveillant et inquisiteur du père au cœur aussi sec que les cailloux sur lesquels elles se blessaient les pieds en marchant le plus souvent pieds nus, car les sandales en plastique qu’il leur apportait étant loin d’être confortable et les faisant souffrir, elles préféraient ne pas en mettre. Il fallait voir les crevasses qu’elles avaient aux pieds. On pouvait facilement y loger une datte. Le père avait regard sur tout et n’achetait que le strict minimum, et même en deçà. 

Lorsqu’un couple vit seul, et même si le mari est dur, la femme essaie d’arranger un peu les choses, d'améliorer le quotidien, d’arrondir un peu les angles. Mais avec ce père-là, les angles étaient des arêtes vives et coupantes et gare à celle qui voulait ruer dans les brancards, elle était vite mise au pas. Les fils étaient veules, c’était des lâches qui, soi-disant, devaient suivre la tradition qui veut que le père règne sur tout et sur tous. Sans doute, mais il y a des limites.

Donc cette jeune femme, qui n’avait pas l’habitude de travailler au rythme imposé -le seul moment de répit étant l’heure du repas- ne pouvait plus continuer de vivre comme cela. En parler au mari, était peine perdue. N’ayant aucun pouvoir, celui-ci ne pouvait lui apporter aucune aide ni aucune consolation. La naissance d’une petite fille n’arrangea pas les choses. Donner naissance à une fille ! C’était une véritable malédiction. Aussi, un jour qu’elle était en visite chez ses parents, chose assez rare, elle leur dit qu’elle était décidée à ne pas retourner chez son mari et qu’elle préférait rester avec eux. Ceux-ci refusèrent d’écouter les doléances de leur fille et crièrent au scandale et à la honte. Ils lui dirent qu’elle devait retourner chez son mari, que c’était la même chose pour tout le monde, qu’elle devait se soumettre et qu’elle devait remercier Dieu pour tout.

Elle retourna donc au domicile qui n’avait rien de conjugal, le cœur lourd de peine, de haine, de souffrance et plein d’un immense désespoir.

Une de ses belles-sœurs, qui venait juste de quitter l’école et qui avait été mariée par son père à son corps défendant, bien qu’étant un plus jeune qu’elle, menant la même vie, la comprenait. Toutes les deux se faisaient des confidences et s’entraidaient mutuellement. Elles ne pouvaient même pas parler de rêves ou de désirs qui auraient pu les habiter. Ils avaient été impitoyablement brisés et anéantis. Et puis à quoi bon rêver et rêver à quoi ? Elles n’avaient aucun espoir de se libérer, car la pire des geôles n’est pas celle où l’on est enfermé à clé avec un gardien de l’autre côté pour surveiller. Celle-là n’est rien. Un jour ou l’autre on peut espérer en sortir. Mais la prison dans laquelle on vit avec toutes les apparences de la liberté, où portes et fenêtres sont ouvertes sur l’extérieur, mais où des chaînes invisibles, mais réelles vous empêchent de vous enfuir, chaînes qui ont pour nom traditions, usages, coutumes, peur du qu’en dira-t-on, l'ahchouma, l’opinion des autres. Un certain fatalisme aidant et la menace de la répudiation vous font intégrer sagement le domicile conjugal avec un regard plein de regret à l’horizon qui se profile au loin. Cette jeune femme disait souvent à sa belle-sœur et amie :

- Un jour, je me tuerai. Je ne peux plus supporter ça. Je n’ai que vingt-quatre ans. Je n’imagine pas vivre les autres années ainsi. Je n’ai plus de courage.

Impuissante, sa belle-sœur essayait de la raisonner, mais tout au fond de son cœur, elle lui donnait raison. Elle vivait le même calvaire et elle était encore plus jeune. Et ce qui devait arriver arriva. Après une dernière tentative auprès de ses parents qui refusèrent absolument de l’écouter et de l’aider, elle rentra chez elle, s’enferma dans sa chambre et se pendit avec une corde à l’une des poutres du plafond. Elle était arrivée au bout du rouleau, elle était exténuée, usée mentalement et physiquement. N’ayant pas d’autre choix, elle avait préféré mourir dans le péché plutôt que de continuer de vivre un calvaire qui durerait des années et des années. Mais le plus monstrueux dans toute cette affaire, c’était la réaction de la belle-famille. Voyant que la jeune femme ne sortait toujours pas de sa chambre et qu’elle ne répondait pas aux appels, sa belle-mère entra pour voir qu’elle était la raison de ce silence inhabituel. Lorsqu’elle vit le corps pendu au plafond, elle ne dit rien, ferma la porte à clé et la mit dans sa poche. Pourquoi ? Parce qu’une famille, ce jour-là, devait venir faire la demande de mariage d’une de ses filles et qu’elle ne voulait pas que sa fille lui reste sur les bras à cause de ce suicide.

Elle dit donc à toutes les autres que leur belle-sœur était fatiguée et qu’il ne fallait pas la déranger. Les autres trouvèrent cela assez étrange, car fatiguée ou pas, il fallait quand même travailler, surtout que ce jour-là il fallait préparer le repas pour les invités.

Sa jeune amie et belle-sœur voulut aller la voir quand même. Naturellement, elle trouva la porte close et ne recevant aucune réponse, elle conclut que la jeune femme s’était endormie et alla s’occuper de la petite. Ce n'est que très tard dans la nuit, une fois les invités partis, que la belle-mère raconta ce qui s’était passé et pourquoi la jeune femme n’avait pas paru. Le corps, qui était resté suspendu pendant tout ce temps, fut décroché, les parents furent prévenus et le lendemain après un simulacre de réunion funèbre où les "tolbas" psalmodièrent quelques versets du Coran, elle fut enterrée. Une jeune femme était morte, mais les circonstances de sa mort, ils se sont bien gardés de les crier sur les toits. Elle a été enterrée selon les rites. Et Allah est grand ; c’est lui qui l’a voulu. Il faut donc le louer et l’honorer.

Les parents se sont-ils sentis responsables de la mort de leur fille ? Et la belle-famille ? Je ne pense pas, car si cette jeune femme est morte, c’était tout simplement Mektoub. Le mektoub a bon dos. Tout ce qui aurait pu être évité, il en hérite. Pour les uns, c’est un fait, pour les autres, c’est une consolation. On ne peut rien faire, et parfois même on ne doit rien faire, ne pas aller à l’encontre. Mektoub ! On ne peut pas lutter contre le fatalisme des gens, contre l’acceptation inévitable de la fatalité. Puisque c’est mektoub, pourquoi s’insurger ? Pourquoi essayer de rendre les choses différentes et faire en sorte que cela n’arrive pas ? Tenter de faire modifier la mentalité ou l’état d’esprit de ces gens, c’est, comme on dit chez nous, exactement comme de tenter de frapper l’eau avec un bâton pour la durcir. Mission impossible ! Mais toutes les femmes n’ont pas le courage d'en finir avec la vie de cette façon. Il ne leur reste d’autre rien à faire que d’accepter leur sort, de louer et de remercier Celui qui leur permet de vivre, survivre ou végéter. Leurs souffrances, leurs peines, leurs chagrins, leurs conditions d’esclaves, ce n’est pas grave. Elles ne sont que des femmes, des être inférieurs, elles doivent baisser la tête et être obéissantes et même remercier d’être traitées comme cela.

 


V

 

 

MES BATAILLES

 

Et j’allais innover. Je voulais apprendre à conduire pour pouvoir acquérir une certaine autonomie et une indépendance et ne pas être toujours en train de mendier pour être emmenée ici ou là, au gré de l’humeur du mari. Donc je voulais apprendre à conduire. A conduire, quelle horreur et quel grand mot ! Et pourquoi faire d’ailleurs ? Pour s’occuper de son foyer, une femme n’a pas besoin de savoir conduire une voiture. Et puis que diraient les autres ? Les autres ? Qu’ils soient maudits ! Je me battis pendant deux ans où j’essuyai refus sur refus. Puis je décidai de réagir et de prendre en quelque sorte le taureau par les cornes. Je suis allée à l’auto-école et demandai ce qu’il fallait pour s’inscrire. On me donna les renseignements, je fis le nécessaire et m’inscrivis. Le soir, je le disais à mon mari, qui ne dit rien. Nous étions fin 1977.

Ici, je voudrais ouvrir une parenthèse.  Dans ce livre, j’égratigne passablement les hommes. Mais quand ils ont des qualités, je leur rends hommage, en un certain sens. Il y a des hommes qui ne refuseraient pas que leur femme soit plus moderne ou qu’elle soit un peu plus autonome. Pas libre, car le mot "liberté" dans leur esprit a une connotation péjorative et négative ou, si elle a les capacités, qu’elle puisse travailler. Mais la société est là et son poids pèse très lourd et comme les hommes obéissent à cette loi, en général ce sont les femmes qui en pâtissent. Sur ce point, mon mari ne m'a jamais empêché de m'occuper de notre famille comme je l'entendais, ce qui exaspérait certains. Mais quand même quelques petites phrases lâchées par-ci par-là lui faisaient comprendre qu’il n’agissait pas en bon musulman en me laissant toute latitude. Mais je m’en moquais royalement. Comme disait grand-père : "occupez-vous de votre famille, je m’occupe de la mienne". Et je m’en suis occupée sans faire attention à qui que ce soit, ni à tout ce que l’on pouvait raconter. Je me suis mise aussi à fréquenter la piscine avec ou sans mes enfants, selon qu’ils allaient en classe ou non. Là aussi que de pavés dans la mare, c’est le cas de le dire. Mais qui s'en souciait ? Pas moi en tout cas.

Pourtant, à ces gens, je rendais bien des services. Je leur remplissais leurs feuilles de sécurité sociale, écrivais pour eux aux différentes administrations quand un problème se posait ou leur faisait leur courrier et répondait à celui qu’ils recevaient. Pourquoi je le faisais ? Tout simplement pour leur démontrer que j’étais au-dessus de la mesquinerie et de l’étroitesse d’esprit qu’ils montraient à mon égard et par-là leur donnait une leçon de tolérance en leur remplissant leurs papiers. Depuis, il y a eu beaucoup de changement dans ce domaine.

Leurs enfants ayant grandi, n’ayant plus droit à toutes les prestations qui leur été versées et la vie devenant de plus en plus cher, ces médisants ont dû se plier aux exigences de la vie, et faisant contre mauvaise fortune bon cœur, laisser leurs femmes et leurs filles travailler et apprendre à conduire.

Donc, j’étais une femme qui conduisait, qui emmenait ses enfants à la patinoire, qui fréquentait la piscine et qui faisait seule ses courses, eh oui ! Il est évident qu’en agissant ainsi, je n’étais pas dans les normes, que j’étais sortie des sentiers battus et que j’avais battu en brèche tous les préjugés que l’on nous opposait.

Si une femme voulait quelque chose qui, aux yeux du mari, sortait des habituels us et coutumes, il répondait invariablement non, et si elle lui disait :

- Mais pourquoi ? Il n’y a aucun mal à cela.

Il répondait tout aussi invariablement :

- Ça, ce n’est pas fait pour nous les arabes.

Vous ne pouvez vous imaginer à quel point je déteste cette expression. Je la hais, je l’exècre. Je ne suis pas la seule d’ailleurs. Ce que cela signifie ? Tout simplement que nous était refusé le droit de sortir des ornières, de ne pas vivre avec des œillères qu’on nous a mises pour ne pas voir ce qui se passe aux alentours. Que tout amusement en dehors de celui qu’on trouve dans nos fêtes nous est proscrit, que toute idée de vouloir être autonome et indépendante doit être exclue et qu’il est inutile de vouloir vivre autrement. Voilà ce que veut dire cette expression qui est une épitaphe de la vie de la femme “arabe”.

Et me demanderiez-vous, que faisais-je pendant mes moments de loisir, en plus de la piscine ? Et bien mon occupation favorite, la lecture. La mairie eut l’heureuse idée d’ouvrir une annexe de la bibliothèque dans mon quartier. Je m’y inscrivis ainsi que mes enfants. N’étant pas allée plus loin que la troisième, je n’ai pas eu la possibilité de découvrir tous les autres écrivains, romanciers et poètes. Et c’est ainsi qu’avec bonheur, Apollinaire, Aragon, Bazin, Eluard, Malraux, Mauriac, et tant d’autres, dont les romanciers anglo-saxons, devinrent mes compagnons de route. Lorsque mon mari rentrait à la maison et ne m’y trouvait pas, il savait que j’étais certainement à la bibliothèque, puisque c’était mon endroit favori. J'étais une femme de "l'extérieur", comme il m'avait surmenée. Il ne comprenait pas et, hélas, ne comprend toujours pas ce besoin de lire, d’autant plus que je l’ai transmis à mes enfants, surtout à l’aîné, Farid et à sa sœur, Samia, mais pour eux ce n’était pas grave, c’était des enfants, et ils allaient à l’école. Ce qui était tout à fait normal pour eux, ne l’était pas pour moi. Mes livres, à ses yeux, sont inutiles et encombrants.

Une maison sans livres est une maison sans âme, comme une femme sans sourire et un jardin sans fleurs, lui répondais-je invariablement.

Et des livres à la maison, il y allait en avoir de plus en plus au fil des ans. Mais cela n’a pas été simple d’en arriver là. J’ai souffert de son ostracisme envers les livres. Je cachais ces derniers, je ne pouvais pas lire en sa présence, ni même laisser croire que je lisais. Et puis, petit à petit, je me libérais de ces contraintes. Mes livres prenaient leur place au fur et à mesure dans la maison, et une fois habitué à en voir, il n’y fit plus attention, ou du moins fit semblant.

Et pour l’habituer, non pas à la lecture, celle-ci ne s’impose pas, il faut l’aimer, mais à toutes les richesses insoupçonnées contenues dans un livre, je lui apportais des livres sur la faune et la flore, les animaux d’Afrique, les oiseaux, les différentes civilisations. Je lui en achetais même quelques-uns. Comme il aime tout ce qui est en rapport avec les animaux sauvages et surtout les oiseaux, je lui prenais des livres abondamment illustrés.  Et comme il sait très bien dessiner, il reproduisait sur le papier pour les enfants les scènes qui lui plaisaient. C’est dommage qu’il n’ait pas eu la possibilité de développer ce don. Mais souvent le milieu et l’époque ne favorisent pas toujours et ne permettent pas de faire connaître et apprécier son talent quand on en a un. Ainsi en allait-il pour mon mari. Il avait des aptitudes pour le dessin, mais qui s’en serait soucié ? Et puis le dessin, ce n’est qu’une chose artistique, qui ne compte pas, juste bonne pour les riches, pas pour ceux qui doivent gagner leur vie. Et c’est ainsi que des talents restent en friche et finissent par mourir.

En décembre 1978, naissance de mon quatrième et dernier enfant. Un garçon, Nouri.

Le premier tournant marquant un changement dans ma vie fut d'avoir appris à conduire. Le deuxième allait commencer avec la rentrée en sixième de mon fils Farid. Et là, j’ai mis carrément les pieds dans le plat et j’ai jeté le peu de convenances traditionnelles qui étaient restées accrochées à mes basques.

Avec mon mari, j’ai établi une sorte de protocole, une espèce de charte. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que je voulais m’impliquer totalement et entièrement dans l’éducation et l’instruction de mes enfants et que cela signifiait que je pouvais rentrer tard le soir lors des réunions de travail. En effet, pour être plus proche et être toujours présente, j’ai adhéré à une association de parents d’élèves, la PEEP. Là aussi, je me fis des amis. Non seulement, je participais aux conseils de classe, comme déléguée de parents d’élèves, mais j’assistais aussi aux conseils d’administration. J’étais aussi membre du bureau. J’ai ainsi suivi tous les conseils de classe pendant de longues années de la primaire à la terminale.

La première fois que les femmes maghrébines virent mon nom sur un bulletin de vote, après la rentrée scolaire, elles me demandèrent ce que cela signifiait et ce que cela pouvait bien représenter aussi bien pour moi que pour elles.

Je leur expliquai patiemment tout ce qu’elles voulaient savoir. Par contre, je refusai de les influencer, leur disant qu’elles avaient le libre choix, puisqu’il y avait une autre fédération. Elles ne vinrent pas toutes bien sûr, mais il fallait le temps pour qu’elles s’habituent. Elles étaient fières de voter pour une des leurs. Certaines avaient, en toute innocence, barré les autres noms sur le bulletin pour ne laisser que le mien, d’autres avaient réécrit mon nom, de peur qu’on ne sache pas pour qui elles votaient. Les bulletins étaient nuls, mais cela ne faisait rien. Elles étaient de bonne foi et voulaient démontrer par-là que c’était pour moi qu’elles voulaient voter. Une fois le vote clos, je leur ai expliqué qu’il ne fallait jamais rayer ou écrire sur un bulletin de vote, car cela l’annulait. J’ai appris plus tard qu’à celles qui ne savaient pas lire, les autres avaient montré le sigle de ma fédération en leur disant que c’était celui-là qu’il fallait mettre. Tout simplement.

Mes rapports avec les différents enseignants de mes enfants ont toujours été excellents, ce d’autant plus que certains étaient de la même trempe que les professeurs que j’avais eus et dont j’ai gardé un ineffable souvenir.

La seule erreur que j’ai commise, et là je n’ai pas vu plus loin que le bout de mon nez, c’est d’avoir mis mon fils Rachid qui entrait en classe de sixième dans la classe où l’arabe était la première langue étrangère. Cette année-là fut créée une classe où les élèves avaient la possibilité d’apprendre l’arabe. J’avais pensé un peu naïvement que les élèves ne se retrouveraient ensemble qu’à l’heure du cours d’arabe ; or il s’est avéré qu’ils avaient mis dans la même classe tous les enfants originaires des trois pays du Maghreb. Je voulus retirer mon fils, mais le principal-adjoint fut intransigeant. C’était trop tard, le planning était déjà bouclé et on ne pouvait pas faire marche arrière. La bonne blague !

Trente cinq élèves maghrébins furent donc réunis dans la même classe à cause de l’arabe. Ce ne fut pas une réussite. Mais le problème n’était pas encore là. Ils furent quinze élèves à passer en cinquième, puis neuf en quatrième et ensuite trois seulement en troisième. Si cela n’était pas un fiasco, celui lui ressemblait étrangement. Sur les trois élèves, l’un préféra préparer un BEP, l’autre alla à Fontainebleau et le dernier, qui était donc mon fils, se retrouva tout seul en seconde.

Et là que se passa-t-il ? Que l’arabe n’avait jamais été envisagé après la troisième. Evidemment, il y en eût plus tard, mais à ce moment-là peu importait. Toujours est-il que mon fils a dû prendre l’anglais en première langue et l’espagnol en grand commençant. Heureusement qu’il était bon élève, mais il avait quand même deux ans de retard par rapport à ses camarades de classe qui en faisaient depuis la sixième.

Ma fille était encore en primaire quand un jour, comme tous les parents d’origine algérienne, je reçus un mot du directeur nous informant que des cours “d’algérien” allaient être donnés à l’école.

Je suis allé voir le directeur pour d’une part lui indiquer qu’on ne pouvait pas donner des cours "d’algérien", "l’algérien", en tant que langue proprement dite, ne pouvait ni être écrite ni être lue, et que c’était sûrement des cours d’arabe. Il me dit que c’était parce qu’ils étaient destinés uniquement aux enfants algériens. Cela ne changeait rien du tout quand même. Je voulus savoir si c’était un enseignant laïc ou un enseignant coranique. Il ne connaissait pas la différence. Je lui expliquai en quoi elle consistait. Il me dit qu’il n’en savait rien et qu’il a seulement reçu une note du Rectorat l’informant de la mise en place de cet enseignement. Par curiosité et pour me renseigner directement, j’y envoyai ma fille. Je compris vite en voyant les premières leçons. Je la retirai et informai le directeur que je refusais qu’elle continue à fréquenter ces cours d’arabe.

Cet instituteur était bien un instituteur coranique, et comme la majorité d’entre eux malheureusement, complètement ignare, fanatique et intolérant. Sa pédagogie consistait aussi en une baguette de bois avec laquelle il battait les élèves. D’ailleurs, une classe de CM2 s’était révoltée à cause de son intolérance et de son refus d’accepter un garçon dont le papa était algérien, mais dont la mère, elle, était espagnole. Les élèves, ne voulant pas que leur camarade soit rejeté à cause de cela, refusèrent de continuer à fréquenter les cours d’arabe. Bel exemple de bonté, de fraternité et de tolérance.

Le jour du premier conseil de classe, l’enseignement du cours d’arabe par cet enseignant plus qu’arbitraire vint sur le tapis. Les enseignants étaient plutôt mécontents de son attitude, et du fait que ses cours étaient fréquentés par des élèves assez faibles et dont le niveau allait être encore plus bas. Deux enseignantes étaient assez étonnées du contenu des certaines rédactions des filles. Je leur apprenais que c’était la fameuse règle des 3 F : Future Femme au Foyer. De plus, lorsqu’un élève refusait d’aller à son cours, il n’y allait pas de main morte et allait le chercher en classe, presque manu militari, oserais-je dire. Je leur expliquais donc que cet enseignant n’apprenait pas du tout l’arabe littéraire à ses élèves et que ceux-ci, s’ils voulaient en faire en sixième, seraient très surpris, car c’était deux choses différentes. Je mis en garde les parents, qui, eux aussi, ne voyaient pas la différence et petit à petit, ils ne laissèrent plus leurs enfants y aller. D’autant plus que les aînés entrant en sixième s’apercevaient que ce qu’ils avaient appris ne leur servait à rien du tout.

Mademoiselle Sellam, qui enseignait l’arabe au collège et qui était un excellent professeur, me dit qu’un jour cet individu est entré dans sa classe sans y être invité, sans frapper, sans s’annoncer, et lui demanda brutalement ce qu’elle enseignait à ses élèves et particulièrement aux filles.

- Je leur enseigne ce que j’ai à leur enseigner et de toute façon, je n’ai pas de compte à vous rendre. Je vous prie de sortir de ma classe, je ne suis pas venue vous déranger dans la vôtre.

Il sortit, mais après l’avoir traitée de tous les noms. Quand elle me raconta cette scène, je lui dis qu’il n’avait pas le droit d’intervenir dans son travail et qu’elle pouvait porter plainte contre lui. Elle me répondit qu’il ne valait pas la peine qu’elle se dérange pour lui.

Le collège Politzer que tous mes enfants ont fréquenté était situé dans ce qu’on appelait une ZUP, comme d’ailleurs toute la cité HLM. Encore une étiquette, et comme toute étiquette, elle avait une connotation négative. Des familles bien pensantes avaient réticence à y mettre leurs enfants, l’environnement n’étant pas à leurs yeux de qualité. Or, c’était un préjugé stupide et non fondé. L’enseignement qui était donné était de qualité et les professeurs pour la plupart étaient excellents.

Mes rapports avec eux furent des plus amicaux ainsi d’ailleurs qu’avec le principal du collège ou plutôt les principaux, car il y en eut trois. Mais je dois dire que c’est avec le dernier que j’eus le plus d’affinités, sans doute parce qu’il était de souche méditerranéenne.

Dans le dossier d’entrée en sixième de ma fille Samia, j’avais mis “anglais” pour la première langue. Pas folle la guêpe. Une seule erreur suffit. Le principal de l’époque, Monsieur Montagne, me convoqua dans son bureau et me demanda pourquoi je ne voulais pas mettre ma fille en classe d’arabe.

- Hors de question, je n’ai pas oublié la mésaventure qui est arrivée à mon fils.

- Bien sûr, je le comprends, mais des cours d’arabe sont maintenus prévus à partir de la seconde.

- Ca ne fait rien, c’est non !

- Pourquoi ne pas la mettre en allemand alors ? Pourquoi en anglais obligatoirement ?

- Parce que la langue anglaise à toujours eu notre préférence et que ma fille fera de l’anglais comme ses frères. Si elle choisit ensuite l'allemand libre à elle.

- Vous êtes une maman jeune, jolie et intelligente, dommage que vous ne changiez pas d’avis.

- Je suis sans doute une maman jeune, jolie et intelligente, mais je suis aussi têtue que la mule du Pape.

Et justement, à propos de toutes les langues étrangères, eut lieu une réunion avec tous les enseignants, les parents et le principal concernant les cours d’arabe, de portugais et d’espagnol. Je laissai le soin aux professeurs de portugais et d’espagnol de parler de leurs problèmes. Pour l’arabe, je pris la parole et m’adressai au principal :

Quand vous dites que c’est normal que les enfants maghrébins doivent apprendre l’arabe parce que c’est leur langue maternelle, vous êtes deux fois dans l’erreur.

 

1) Les enfants n’ont pas l’arabe pour langue maternelle, mais bien le français, car quand ils rentrent à l’école maternelle, ils parlent déjà français.

2) L’arabe littéraire ou classique n’a rien à voir avec l’arabe parlé par les parents, quelle que soit leur nationalité. Ce dernier n’est qu’un dialecte et de plus chaque région a le sien propre. Quand l’enfant entend parler ses parents en arabe, il ne s’y retrouve absolument pas quand il est en classe. C’est vraiment une langue étrangère pour lui. Ce qu’elle est vraiment même en Afrique du Nord, puisque l’arabe y a été apporté lors de l’islamisation des pays du Maghreb. Seuls les Kabyles, s’ils ont bien voulu de l’islam, ont gardé leur langue natale.

- Quoi qu’on en dise, en vérité et historiquement parlant, le mot arabe est impropre quand il est employé pour les maghrébins. L’Arabe est en Arabie saoudite. Et encore, à l'époque pré-islamiste, le terme "Arabe" désignait-il les nomades en général et les Bédouins en particulier. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure. Et qui fera ou voudra faire la différence ?

- Pour revenir à l’enfant qui va en classe apprendre l’arabe, il est exactement, comme en France au début du siècle, le petit auvergnat ou le petit breton quand il allait à l’école. En classe, il apprenait le français, chez lui il parlait l’auvergnat ou le breton. L’enfant, quel qu’il soit ne pouvait attendre aucune aide de ses parents dans ce domaine.

- Quant à me dire que je dois faire faire de l’arabe à ma fille parce que ces beaux messieurs de l’Ambassade d'Algérie ou d’ailleurs ont signé un accord avec le Rectorat stipulant que tous les enfants de parents maghrébins devaient faire de l’arabe, je m’en fiche complètement. Ils ne sont pas venus me demander mon avis là-dessus. Et d’ailleurs, n’envoient-ils pas eux-mêmes leur progéniture faire des études en Angleterre, en Suisse ou même aux Etats-Unis ?

Leur font-ils apprendre l’arabe en premier ? Pas que je sache. Pour cela, ils peuvent rester au pays ou bien aller en Egypte ou dans l’un des pays du Golfe. Si plus tard, mes enfants veulent faire de l’arabe, libres à eux, mais dans le contexte actuel, non.

Et aucun autre de mes enfants que Rachid ne fit de l’arabe. C’est à moi de savoir ce qu’il convient à mes enfants, pas à des étrangers, quels qu’ils soient. D’ailleurs, quelques années plus tard, les cours d’arabe cessèrent. Car même s’il y eut des cours assurés au lycée, il y avait un autre piège qui n’avait pas été décelé au départ ou du moins personne n’avait songé, ou feint de songer, au problème qui allait apparaître un peu plus tard. C’est que lorsqu’un élève changeait de lycée pour suivre telle ou telle filière, il ne pouvait pas le faire, l’arabe n'étant pas envisagé dans l'autre établissement, ont dû passer par le CNED pour passer le baccalauréat. On considérait qu'ils avaient fait de l'arabe en première langue, et donc qu'ils devaient à continuer à en faire. Cela a valu bien des déboires à ces élèves.

Il ne faut surtout pas se méprendre et croire que je méprise la langue arabe, pas du tout. Je regrette moi-même d’en avoir fait fi, conséquence de mon inimitié envers mon ancien professeur d’arabe.

Non ce que je déplore, c’est ce manque de cohérence qui était à la base de mon refus de nuire à la scolarité de mes enfants en leur faisant apprendre l'arabe dans des conditions administratives déplorables. Ce manque de cohérence et d'information n'était peut-être pas si involontaire et donnait à réfléchir.

L’année où mon fils Farid est entré en troisième fut inauguré un échange avec un collège anglais sis à Chelmsford. Naturellement, je l’y envoyai. Il resta 15 jours pendant la période de Noël, ce qui lui permit de voir comment se déroulait cette fête chez les Anglais et comment ces derniers vivaient.

A Pâques, nous reçûmes le jeune Anglais. Il s’appelait Marc. C’était un jeune garçon sympathique. Et alors que je ne m’y attendais pas -les Anglais étant réputés ne pas être de gros mangeurs-il apprécia ma cuisine. Il la trouvait très colorée, bien relevée, variée, bref en un sens exotique. Il m’a même demandé de lui refaire certains plats qu’il a aimés et de le laisser me regarder faire afin qu’il note tout et qu’ensuite il explique à sa maman comment faire. Quant aux gâteaux, il m’a même demandé de lui en donner pour faire goûter à certains de ses amis qui étaient reçus dans d'autres familles françaises. Ce que je fis.

J’invitai d’ailleurs son meilleur ami, James, à dîner un soir à la maison, ce qui fit plaisir à tous deux.

            Lorsqu’il rentra chez lui, sa mère m’écrivit une longue lettre de remerciements, m’informant que son fils avait prix cinq kilos pendant son séjour chez moi, chose qui ne lui était jamais arrivé. Elle me remercia aussi pour la jolie robe (typiquement algérienne) que je lui avais envoyée ainsi que la rose de sable. Elle en était très fière et l’avait montrée à toutes ses amies. Elle aussi possédait un objet exotique. Comme quoi, on peut rendre heureux les gens avec peu de chose. Ce qui nous paraît être tout à fait ordinaire, pour d’autres est somptueux.

J’avais donc trois garçons et une fille, et dans mon esprit, il était hors de question de la défavoriser en quoi que ce soit par rapport à ses frères parce que, justement elle était une fille et qu’en tant que telle elle n’aurait pas eu les mêmes droits.

            Aussi eût-elle les mêmes avantages que ses frères et n’a jamais été lésée. Quand son tour est arrivé d’aller en Angleterre, elle y alla aussi, tant avec l’école qu’à titre privé pendant les grandes vacances.

            Les petites filles arabes ont beaucoup de mérite par rapport à leurs petites camarades françaises. En effet, pour la plupart, elles font partie d’une famille nombreuse et doivent donc aider leurs mères. S’occuper du petit frère ou de la petite sœur, aider au repas du soir, faire le ménage et le repassage les jours où il n’y a pas de classe. Et les devoirs viennent ensuite. Le plus souvent l’appartement étant surpeuplé, elles ne possèdent même pas un coin tranquille pour travailler.

            Les garçons ? Eux, comme d’habitude, une fois rentrés à la maison, jettent leur cartable dans un coin et ressortent pour rentrer quand ils veulent. Pas tous, mais la majorité agit comme cela, et les parents ne trouvent rien à dire, surtout les pères, car après tout ce sont des garçons.

            Les filles sont traitées d’une façon inégale et injuste par rapport aux garçons, mais dans la plupart des familles, elles finissent par l’emporter, car sachant que le salut de leur vie future se trouve dans les études, elles finissent pour la majorité par décrocher leur baccalauréat pour pouvoir continuer leurs études si possible, que ce soit en université ou en passant un BTS. Mais il a fallu beaucoup de temps et un long chemin pour qu’elles en arrivent là.

            Pendant toute la période où je participais aux conseils de classe, et même après, je n’arrêtais pas de stimuler les filles, de les motiver, de leur dire qu’elles ne devraient plus se contenter de vivre comme toutes les mères, les tantes, les cousines et les voisines, l'époque était révolue, où la femme devait dépendre entièrement de son mari et se retrouver ainsi pieds et poings liés. Qu’elles devaient réussir leurs études pour pouvoir travailler et s’assumer financièrement et par là avoir leur indépendance et être autonome et que le bonheur d’une jeune fille ne passe pas absolument par le mariage.

            Certaines traditions étant devenues caduques, elles devaient se préparer à vivre pour elles et non pour le plaisir d’un homme. Elles devraient être courageuses et pouvoir dire non, et ne devaient en aucun cas se laisser avoir par cette satanée phrase “ce n’est pas pour nous les arabes”. Et lorsqu'elles auraient obtenu leur baccalauréat, elles devraient continuer leurs études et ne pas se laisser emprisonner et marier si elles ne le voulaient pas. Qu’elles avaient la chance de vivre dans un pays qui leur permet de s’épanouir et de vivre différemment et de saisir la chance de ne pas se laisser embêter par les tabous, tabous qui ne sont utilisés qu’au détriment des femmes, et qui feraient d'elles des prisonnières à vie.

Bien sûr, ces filles appréciaient mes discours parce que je leur tenais un langage différent et tout à l’opposé de ce qu’elles entendaient dans leur famille

Une fois même, une mère m’apostropha :

- Dis donc, tu a fini de dire à mes filles qu’elles devaient réussir en classe pour qu’elles puissent plus tard travailler et qu’ainsi au cas où le mari ne leur conviendrait pas, elle le mettraient à la porte d’un coup de pied ?

Ce n’était pas tout à fait les termes que j’avais employés.

- Bien entendu, il faut qu’elles comptent sur elles-mêmes d’abord. C’est fini l’époque où la femme était l’objet absolu de l’homme, il faut qu’elles pensent à elles aussi.

- Oui, mais si tu leur dis des choses comme ça, elles vont penser à des mauvaises choses et partir de la maison.

- Absolument pas. Elles savent bien que je leur parle de leur avenir, et que je ne les incite nullement à quitter le foyer familial.

Mais malheureusement, le poids de la famille, de la société, des traditions, des tabous fait que malgré tout les filles ne peuvent pas toujours sortir hors des chemins qui leur ont été tracés. Pour beaucoup, une fille qui sortirait, ne serait-ce que pour aller au cinéma avec une amie ou à la piscine, est considérée comme une fille perdue. Il y a eut quelques changements dans ce domaine, mais dans toutes les familles.

Lorsque mes deux fils eurent leur bac, l’un après l’autre et qu’ils continuèrent leurs études en allant, Farid à Jussieu et Rachid à Assas, on me disait :

- C’est normal puisque ce sont des garçons, mais ta fille la laisseras-tu y aller ?

- Oui si tel est son désir. Si elle veut continuer, je ne lui refuserai jamais.

Lorsque ma fille est allée à son tour poursuivre ses études à la Sorbonne, on me disait aussi :

- Si ton mari a été d’accord pour que ta fille aille faire des études à Paris, c’est parce qu’elle est avec ses frères.

Sous-entendu qu’ils sont les gardiens et les garants de sa vertu. Je répondais oui ou non selon mon humeur. Pourquoi les mères refusent-elles catégoriquement de laisser sortir leurs filles ? Pour une raison bien simple et absurde. Pour que ces dernières n’apprennent rien. Dans leur esprit étriqué et inculte, si elles sortent, elles vont voir et apprendre des choses qu’elles ne doivent pas connaître et par-là même sans doute vouloir les appliquer. Allez leur faire comprendre que sur certains sujets, leurs filles pourraient leur en apprendre, qu’elles n’ont pas besoin de sortir et que pour cela les livres qu’elles lisent sagement à la maison leur apportent tout ce qu’elles désirent savoir et qu’une fille avertie en vaut deux !

Mais il arrive aussi souvent que la fille libère sa mère. Ces dernières décennies, il y a eu un changement chez les hommes envers leurs filles et même envers leurs femmes. Ils acceptent plus facilement maintenant que leurs filles font des études à Paris ou qu’elles travaillent et qu’elles apprennent à conduire. Mais il ne faut pas se leurrer. Leur mentalité n’a pas changé d’un iota. C’est une simple question de gros sous. Les enfants grandissant, les frais augmentent et les filles qui travaillent, cela n’est pas négligeable, d’autant plus qu’elles participent plus volontiers aux dépenses de la maison que les garçons.

Et donc, la mère, par contrecoup, se voit plus libre dans la mesure où sa fille la sort, ne serait-ce que pour aller faire ses courses au marché, au super marché ou pour aller dans la famille ou aux fêtes.

Alors qu'elle ne pouvait pas y aller si son mari ne l’y emmenait pas. Si ce dernier n’y trouve rien à redire, c’est que pour lui c’est une corvée en moins. Beaucoup de ces femmes, la vie étant dure et n’épargnant personne, se sont mises à travailler. Ce monde du travail leur a ouvert les yeux et permis de voir autre chose que le quotidien. Et de s’imposer un peu.

Et de se dire quand même que l’on peut vivre autrement et d’avoir une dignité et une fierté données par le travail. Et le plus drôle de l’histoire c’est que ceux qui étaient les plus farouches adversaires des femmes qui travaillaient, ceux qui faisaient preuve d’un ostracisme le plus absolu, ceux qui dénigraient le plus les hommes qui avaient autorisé leurs femmes à travailler, lorsque leur tour vint où leurs femmes se sont mises à travailler, et bien ils trouvèrent cela naturel et ne s’en offusquèrent pas. Argent, argent, quand tu nous tiens !

Les femmes qui ne travaillent pas se font des petites fêtes l’après-midi. Le prétexte ? A vrai dire, il n’y en pas vraiment. Elles s’invitent les unes les autres à tour de rôle. Elles s’habillent et passent l’après-midi à manger, à danser et à chanter, à parler de choses et d’autres ; et n’étant qu’entre femmes, bien sûr, tous les défauts des hommes étaient mis sur le tapis, et s’il n’y en avait pas assez, et bien elles en rajoutaient. C’était gratuit et cela leur faisait plaisir. Et cela pouvait mener à des conversations passionnantes, parfois frisant l’hystérie, parlant toutes à la fois, les mains s’envolant en l’air pour appuyer les paroles. Surtout quand il y avait de farouches adeptes de la vision de la femme vue par l’homme et de certaines conceptions religieuses ou traditionnelles.

Une fois, à une femme qui disait :

- C’est la honte les femmes qui se coupent les cheveux, portent des vêtements courts, qui se parfument et se maquillent.

Je lui demandais :

- Ah, oui ! Tu as lu ça dans le Coran ?

- Non, mais les hommes le disent et cela me suffit.

- Et bien, moi cela ne me suffit pas. Et pour te dire autre chose, sache que maintenant les hommes ne sont plus rien. L’époque où ils faisaient ce qu’ils voulaient, comme de prendre plusieurs femmes, les répudier quand cela leur chantait, commander d’une façon arbitraire et leur mener la vie dure est révolue, finie. Maintenant, c’est aux femmes de vivre, non pas selon les critères de l’homme, qu’il soit père, frère, oncle ou mari, mais selon leur propre bon vouloir.

La femme se tut, d’autant plus que plusieurs autres firent chorus avec moi. Bien sûr, j’exagérais un tant soit peu, beaucoup de femmes ne pouvant vivre et penser autrement. Mais, cela ne faisait rien, c’était pour le plaisir de lui clouer le bec.

Naturellement, je ne pratique pas. Je ne fais pas de prière. On me le reproche assez souvent. Je réponds que si je ne fais pas la prière, c’est que je n’en ressens ni le besoin, ni le désir et de faire des prières d’une façon mécanique uniquement pour faire comme tout le monde à l’instar de la plupart, ça ne m’intéresse pas.

- C’est un devoir et une obligation. 

Raison de plus.

Faire la prière. A qui ? A un Dieu que les hommes ont complètement façonné à leur image imparfaite, qui a littéralement oublié les femmes ? Qui ne leur a donné un rôle que de génitrice ? A qui toute dignité, toute fierté, toute raison d’être, tout plaisir de vivre a été retiré seulement parce que c’est une femme ? Faire la prière. Je ne me vois pas du tout louer et remercier un Dieu qui ne se soucie que du bien-être des hommes. Merci bien.

 

VI

 

MEPRIS ET IRRESPECT POUR LES FEMMES, TU AURAS !

 

Que les hommes montrent leur appétit pour la vie, et la croquent à pleines dents, c’est normal. Mais que des femmes décident d’en faire autant, de ne plus vouloir être conditionnées, d’avoir confiance en elle-même, d’être leur propre maîtresse, bref de décider de vivre pleinement, de s’épanouir, de ne pas vivre étiolées à l’ombre de l’homme, on crie au scandale et on les traite en parias, en marginales.

Certains individus poussaient et, poussent, même l’ignominie jusqu’à dire que la femme, dans toute sa vie, ne doit avoir que trois sorties : celle, inévitable de sa naissance, celle, obligatoire quand elle laisse le domicile du père pour celui du mari ; la seule chose qui change dans ce cas, c’est le geôlier, et celle, inéluctable et définitive de sa mort quand elle quitte le domicile conjugal pour celui de l’éternité, enveloppée dans son linceul.

Vivante, le voile, morte le linceul. Deux noms pour une même chose, un même but : l’ensevelissement d’un être humain. La différence ? Elle tient au souffle de vie.

Et ce code de la famille ou plutôt de l’infamie, instauré par Chadli en 1984 n’a fait qu’enfoncer un peu plus la femme dans le néant, la non-existence, un enterrement qu’on lui offre. En effet, à partir de là, elle n’a plus aucun statut dans la société, plus aucun droit. Sauf celui de faire des enfants et de se taire. Elle a été transformée en mineure perpétuelle qui doit toujours demander la permission. Elle n’a plus le choix, ni le libre arbitre de ce choix. Ce code inique, injuste et rétrograde déstabilisera à la longue le pays. La femme n’est pas seulement le pilier de la famille, mais, n’en déplaise à ces messieurs, elle est aussi le pilier de la société, chose qu’ils ne veulent pas admettre. Un pays qui refuse et rejette ses femmes, est un pays qui se voue à l’agonie et à une mort latente certaine, alors qu'elles peuvent l’enrichir avec leur intelligence, leur force vive, leur capacité au travail, leur savoir-faire, leur endurance à toute épreuve, leur charme, leur gaieté et leur joie de vivre.

Donc, pas de femmes dans les rues. Pas de fleurs dans les jardins. Qui a envie de se promener dans un lieu aride et sec où ne poussent que des chardons, des orties et des buissons épineux ? Alors que la vue d’une simple fleur, aussi humble soit-elle, apporte toujours de la gaieté et un plaisir certain. A condition qu’on sache reconnaître sa valeur réelle.

Il est certain qu’il y a des femmes qui sont favorables à cet état de choses. Je comprends fort bien que les moches, les laides, les laissées pour compte, les oubliées de la vie, celles qui n’inspirent aucune envie, aucun désir, aucune passion, puissent éprouver le besoin de se plier aux diktats de ces tyrans.

Et, qu'elles ne veulent pas vivre seules dans l’enfer qu’elles se sont choisies ou qui leur a été imposé, désirent à tout prix y emmener les autres, leur faire partager leur "mal-vie". Certaines aussi, ne pouvant pas non plus faire comme d’autres, c’est-à-dire sortir, aller à la plage, au ciné, dans des boites de nuit, s’installer à une terrasse de café, aller voir un concert, une exposition etc., avoir des amis avec qui pouvoir faire toutes ces choses, bref, vivre tout simplement, décident de se donner une place dans la société en portant ces défroques d’épouvantail. Ainsi, pensent-elles avoir un statut social qui leur permet de se faire connaître en sortant de l’anonymat que les vêtements normaux ne leur permettaient pas, de se faire connaître en tant que “bonne et véritable musulmane”!

Mais je ne comprends pas que certaines femmes qui font quand même partie de la haute société, qui, à première vue, ne sont ni des incultes ni des imbéciles ont adhéré à ce mouvement intégriste. Qu’espèrent-elles ? Que peuvent-elles attendre d’un Etat intégriste. Quelles sont leurs motivations ? Leurs raisons ? Pourquoi militer en faveur d’un mouvement qui ne les reconnaît pas et ne les reconnaîtra pas ? Pourquoi vouloir s’abandonner entre des mains qui les étoufferont petit à petit ? Je ne peux même pas imaginer que c’est par ambition ou pour le pouvoir, puisqu’elles savent qu’elles n’auront jamais rien et qu’elles ne seront jamais que des moins que rien. Mais, de tout temps, les dictateurs ont eu leur égérie.

Que des hommes y adhèrent, ça, j’arrive à le comprendre. C’est surtout par intérêt, puisque c’est pour eux le seul moyen et la seule possibilité d'accéder au pouvoir et ainsi s’acoquiner avec tous les prédateurs qui n’ont en tête qu’une seule idée : être calife à la place du calife et mettre la main sur le petit morceau de gâteau qui reste encore à dévorer.

La femme est toujours lésée en tout. Qu’elle soit mariée, qu’elle soit divorcée ou le plus souvent répudiée ou qu’elle fasse un héritage, elle est honteusement flouée, volée sans vergogne.

L’homme lui a le droit de se marier avec n’importe quelle femme non-musulmane : française, anglaise, suédoise etc. Mais la femme, jamais, ne pourra sortir de sa communauté en épousant un étranger. Toute sa vie, elle doit se contenter de la même pâture.

Pourquoi les hommes et pas les femmes ? La réponse est plutôt fumeuse, vague et illogique. Il est question de religion et de traditions à transmettre. Pourquoi pour l’un et pas pour l’autre ? Les explications sont oiseuses et insatisfaisantes.  Et ces hommes qui se marient avec des occidentales comment se fait-il qu'ils ne leur fassent pas mener la même vie que si elles avaient été musulmanes ?

Donc l’homme peut épouser qui il veut sans aucun problème. Quant à la femme, si elle a le malheur d’aimer un mécréant, un kaffir et de vouloir l’épouser, gare à elle. Elle est mise au ban de la famille, de la société. Et bien entendu les gouffres de l’enfer sont ouverts sous ses pieds. Elle ne reçoit que malédictions et anathèmes.

Lorsqu’on apprend que telle fille s’est fiancée, la première question est : avec qui ? Réponse : avec le fils un tel. Première réaction : Ah bon ! Puis : en tout cas, au moins c’est un Arabe ! Ce qui sous-entend que si ce n’est pas vraiment un beau parti, comme c’est un arabe, cela devrait aller et lui suffire pour le restant de ses jours.

Non, cela ne devrait pas suffire ! Faut-il que toute sa vie, une jeune fille vive malheureuse avec un garçon que, le plus souvent, elle ne connaît pas et cela parce qu’il est de la même origine qu’elle ? En fait, la seule chose importante, est qu'elle se marie. Le mariage à tout prix. Peu importe qu'elle ne soit pas heureuse.

Peu importe que le mari ne lui convienne pas. Peu importe qu'elle soit tributaire à vie d'un individu dont elle deviendra la chose.

Combien de fois, n'avais-je pas entendu les femmes dirent à leur voisine, amie ou parente qui venait de fiancer sa fille. 

Tu as "donné" ta fille ? Mabrouk ! Hamdoullah ! Tu es tranquille à présent. Tu vas être débarrassée d'un fardeau. Les filles n'apportent que du malheur.

Et si la fille que l'on vient de "donner" est la dernière, voilà ce que l'en entend :

- Alors, ça y est ? Tu as donné ta dernière ? C'est une bonne chose. "Saffite". Hamdoullah !

       "Saffite" ("débarrassé, tout vendu ! "). Terme abject parmi d'autres. Car ce mot inique, employé pour une fille, dit bien ce qu'il veut dire. C'est le mot qu'utilise un marchand de fruits et légumes quand il a vendu toute sa marchandise dans le souk et qu'il s'est débarrassé même de celle qui n'était pas de premier choix.

Naturellement, j'étais trop petite pour comprendre le sens exact du mot qu'employaient ces femmes pour ces filles "données".

Un autre mot que les femmes utilisaient pour qualifier les filles qui grandissaient très vite était "zoubia".  La zoubia est tout simplement la décharge publique qui s'accroît un peu plus chaque jour à cause des immondices et des déchets que l'on y jette.

Les femmes n'étaient-elles donc pas conscientes de la façon sont elles se dévaluaient elles-mêmes en qualifiant ainsi leurs filles ?

Je croyais que le mot "zoubia "était tombé en désuétude et que les femmes ne l'utilisaient plus. Erreur !  Je l'ai entendu, ici en France, il n’y a pas très longtemps à l'occasion des fiançailles d'une cousine.

- Eh, qu'est-ce que tu crois ? Les filles grandissent toujours trop vite. Comme la "zoubia". Un peu chaque jour.

J'étais atterrée. Cela faisait presque quarante ans que je n'avais pas entendu ce mot. Et voilà qu'il revient !

Ceci dit, il faut quand même reconnaître que les femmes algériennes vivent en France en moyenne mieux que celles qui demeurent au pays. Je ne parle pas bien entendu de celles dont les époux appartiennent à la "nomenklatura", gravitant autour d'Alger.

On a beau dire et beau faire, à la longue on finit par prendre des habitudes du pays dans lequel on vit. On finit par être moins regardant sur certaines choses, lâcher du lest, se faire complice de sa fille ou même de celles des autres pour une sortie en ville ou un après-midi au cinéma. Des petits riens qui embellissent un peu le quotidien, une petite victoire sur l’intransigeance, une échappée aux tabous. En tout bien tout honneur, bien entendu. Car les jeunes filles algériennes sont fières et farouches et ne s’en laissent pas conter facilement.

Malheureusement, il s’avère que les garçons, eux, n’ont tiré aucun profit ni aucune leçon de changement qui est intervenu dans leur façon de vivre en France.

Et j’en parle en connaissance de cause, étant souvent à l’écoute des jeunes filles qui, sachant que je ne les trahirai jamais, n’hésitent pas à se confier à moi. Quel que soit l’endroit où je rencontre des filles qui ne sont pas censées être là (cinéma, par exemple), et avec qui que ce soit (garçons de leur classe, mais pas des compatriotes bien entendu), je fais celle qui n’a rien vu et ne me suis jamais empressée d’aller informer un des parents de ce que j’ai pu voir.

Les filles tiennent les garçons à distance. Ils sont toujours à traîner comme des chiens errants et la moindre vue d’une jeune fille déclenche en eux un signal d’attaque. Comme s’ils étaient les chasseurs et elles le gibier.

Du respect pour la femme ! Ils traitent ces jeunes filles comme ils ne voudraient pas que leurs sœurs le soient, ces sœurs qu’ils aimeraient bien garder enfermées, sachant que tous les autres ont les mêmes réactions qu’eux et par-là n’apprécient pas qu’elles soient l’objet de convoitise et qu'elles soient insultées comme ils ne se gênent pas de le faire avec d'autres filles. Et si la jeune fille est étudiante, pour eux, c’est encore une fille plus facile, dans leur esprit immature, bien sûr. Aussi sont-ils étonnés de se voir renvoyer leur propre merde à la figure.

Et comme ils n’ont à la bouche qu’insultes obscènes, et invectives injurieuses, on ne peut pas dire qu’ils soient appréciés. Les jeunes filles fuient leur présence comme la peste et changent même de trottoir à leur vue. Bien sûr, ils ne sont pas tous comme cela, mais hélas, la majorité, oui.

Au pays, les gens ont une vision différente et fausse de la vie de la femme algérienne en France. Pour la majorité d’entre eux, nous passons notre vie dehors, et le soir venu, nous allons dans les boîtes de nuit. Rien que cela. Grâce à l'antenne parabolique, qui leur permet de voir ce qui ce passe ailleurs, ils s’imaginent, prenant pour agent comptant tout ce que leur débitent les feuilletons à longueur de journée, que nous menons une vie de roi, que nous sommes tous des privilégiés, des nantis. Mais il vrai aussi que cette impression leur est donnée par ceux qui chaque année passent leurs vacances au pays.

Comment leur faire croire le contraire quand débarquent dans le village des familles entières dans des voitures plus ou moins neuves, les gosses habillés à la dernière mode et les femmes arborant, lors de mariages ou tout autre fête des toilettes coûteuses et des bijoux tout aussi onéreux ?

Evidemment, ils ne voient pas le revers de la médaille. Se lever tôt le matin, courir après son bus, son train, son métro, et pour beaucoup d’entre eux de faire un travail fatigant, salissant, et rentrer le soir harassé. Les sacrifices consentis pour pouvoir aller en vacances chaque été au pays et éblouir en quelque sorte les autres. Mais justement ces derniers ne veulent rien savoir. Peu leur chaut ! Ils ne voient que ce qu’ils veulent bien voir, c’est-à-dire ce qu’ils ont sous les yeux. Le reste n'existe pas. Et bien évidemment, tout cela fait des envieux, des jaloux. L’envie et la jalousie n’incitent pas à la gentillesse et l’amitié. Loin de là ! Ils ne peuvent pas s’empêcher de lancer à la figure des petites phrases malveillantes, quand elles ne sont pas franchement hostiles.

Après tout, nous ne sommes que des "zimigris." Rien d’autre. Emigrés en France. "Zimigris" en Algérie. Point de pays, des apatrides en quelque sorte. Comme si ceux qui sont restés au pays en étaient les seuls héritiers ! Comme si nous avions trouvé l’Eldorado et que nous n’avions pas voulu le partager ! Absurdité !

Comme si la vie d’un émigré n’était faite que de joie, de plaisir et de gaieté. Un émigré. Qu’est ce qu’un émigré ? Rien. Ca n’a pas d’identité, un émigré. Ca n’a pas de personnalité. Et quand il ne sait pas faire un choix entre son pays d’origine et son pays d’accueil et qu’il vit pendant de nombreuses décennies entre deux chaises, il n’a vraiment plus de pays. C’est un anonyme, un émigré. Quelqu’un qui travaille et qui n’existe que pour cela. Quelqu’un que, lorsque tout va bien, on ne voit jamais. Mais dès que de graves problèmes surviennent, alors là, on s’aperçoit qu’il existe et que ma foi tous les maux proviennent de sa présence sur un sol qui lui est resté étranger.

Des émigrés en France, il y en a depuis des lustres et des lustres, mais on ne s’est aperçu vraiment de leur présence que lorsque le choc pétrolier secoua le monde occidental et que les producteurs de pétrole décidèrent de ne plus vendre leurs produits au prix de l’eau de vaisselle sale.

Et comme en plus les producteurs de pétrole sont des arabes, pour la plupart,  il était très tentant et donc facile de faire le transfert sur ceux qui habitent en France. Comme s’ils étaient pour quelque chose ou qu’ils aient leur mot à dire sur quoi que ce soit.

On mit sur le dos des émigrés en France les problèmes dus à une politique et une réalité économique dont ils n’étaient pas responsables. Ils sont logés à la même enseigne que les Français, mais il est plus facile de faire porter tous les maux à l’étranger, à celui qui est différent.

C’est commode comme bouc émissaire, un étranger, d’autant qu’il ne peut pas toujours se défendre, se sentant toujours culpabilisé pour tout ce qui arrive autour de lui comme s’il en était le responsable. Et comme en plus, c’est ce que disent les médias, c’est que cela doit être vrai.

Et quand les gens n’ont pas l’intelligence du cœur et de l’esprit, qu’ils se laissent manipuler, influencer, asservir par ceux, politiciens malhonnêtes ou fanatiques religieux, extrémistes jusqu’à la folie, il arrive ce qui doit arriver. A force d’écouter les phrases vénéneuses de ces marchands de haine, de violence, d’intolérance et de xénophobie, ils deviennent des gens racistes sans même savoir pourquoi vraiment. Parce que c’est dans l’air du temps, et que c’est aussi devenu une mode.

Mais le Français n’est pas vraiment, réellement raciste. Il est peut être stupide, sot, borné, ignorant et souvent inculte, mais pas raciste. S’il l’était vraiment, les choses seraient plus dures qu’elles ne le sont actuellement. Il lui manque seulement un peu de cœur et de générosité et d’être à l’écoute de l’autre, l’étranger. Mais, il n’y a pas à s’en faire pour cela, car il agit de la même manière envers un autre Français. Même entre eux les Français ne vivent pas ensemble, mais les uns à côté des autres. Par leur bêtise et leur ignorance, ils se laissent mener par ceux qui ont fait du racisme leur fonds de commerce et, en les écoutant, certains deviennent leurs jouets maniables, leurs pions qui se laissent mener comme ils veulent, au seul et unique profit de ceux qui ont fait du racisme leur fonds de commerce.

Le racisme. Quel mot ! Et que de crimes, de drames, de larmes, de peurs, de chagrins, de douleurs il génère ! Mais aujourd’hui a-t-il la même signification qu’hier ? Il a été tellement galvaudé, tellement mis à des sauces différentes que parfois il devient péjoratif.

Et puis le racisme, il y en plusieurs sortes. Il y a le racisme de couleur, de différence d’ethnies, celui de classe ou de rang social, celui contre les trop gros, les trop petits, les drogués, les homosexuels et tous les marginaux quels qu’ils soient. Est-ce parce qu’on n’aime pas quelqu’un pour telle ou telle raison est-on raciste ? C’est ce que l’on voudrait nous faire croire.

Je n’aime pas tous mes compatriotes, loin de là. Je n’aime pas non plus tous les Français. Suis-je raciste pour autant ?

Et moi, si quelqu’un ne m’aime pas, cela ne me dérange pas et ne m’empêchera pas de dormir. Je me souviens d’une femme française que je rencontrais tous les jours à l’école. Cette personne ne ressentait pas envers moi les mêmes sentiments qu’envers mes compatriotes. Celles-ci venaient à l’école, habillées de façon traditionnelle et donc simplement mises. Pour elle, c’était de pauvres femmes. Elle se sentait tellement supérieure à elles et bien plus intelligente. Comme si le fait de porter une jupe courte ou des pantalons était un signe de supériorité intellectuelle. Si cela était, on le saurait.

Mais quand elle me regardait, là c’était différent, la donne n’était plus la même. Il est vrai que je me faisais un point d’honneur d'être toujours bien mise, même pour emmener et chercher les enfants à l’école. J’ai toujours détesté le laisser-aller vestimentaire. Et cette femme ne savait pas où me placer puisque je ne faisais pas partie de ces “pauvres femmes”. Je parlais le français aussi bien qu’elle si ce n’est pas mieux, je conduisais, ce qu’elle ne faisait pas, je faisais partie des représentants des parents d’élèves. Bref, je sortais des normes dans lesquelles on nous plaçait automatiquement, tout simplement parce qu’on vient d’ailleurs et que l’on ne vit pas tout à fait de la même manière. Et bien, je n’ai jamais pensé que cette femme était raciste, mais simplement que c’était “une pauvre femme” stupide. Sans plus. Et je n’y faisais pas plus attention.

A dire vrai, je n’ai jamais été confrontée à ce que l’on appelle un raciste. Sans doute parce que je n’ai pas froid aux yeux, que je n’ai pas ma langue dans ma poche et que je réponds du tac au tac. Des regards parfois, mais je les rends aussi, coup pour coup. 

Par contre, il y a deux expressions qui m’exaspèrent.

La première, une fois connaissance faite, c’est “Oh, vous n’êtes pas comme les autres”. Tout simplement parce que dans leur esprit, et me voyant vivre d’une façon qui leur est proche, ils me cataloguent d’une façon superficielle, selon leurs pauvres critères. Les autres, et tout est là, il faut les connaître aussi avant de porter un jugement quel qu’il soit. Se connaître signifie aller l’un vers l’autre. La connaissance, c’est comme une valse à deux temps. Chaque partenaire doit faire un pas afin qu’il y ait une harmonie et un équilibre. Sinon, il en résulte un ratage. C’est la même chose pour la communication, la connaissance ou la reconnaissance de l’autre, de celui qui est différent. Cette différence même peut apporter une richesse certaine et une nouvelle dimension à cette relation. Mais c’est de ce manque de communication que naissent la suspicion, l’incompréhension, l’intolérance, le sectarisme et la peur de l’autre, l’inconnu. Il suffit que l’on se parle, qu’un dialogue se crée pour que s’installent une relation amicale, un climat de confiance, et qu’une amitié naisse.

La deuxième, c’est, quand je reçois pour la première fois des gens que je ne connaissais pas et qui ont été invités par mon mari, “Oh, mais c’est bien chez vous !”. Comme s’ils s’attendaient à ce que nous vivions dans la crasse et le désordre, la saleté et le bric-à-brac. Cette surprise, je la lis aussi dans leurs yeux quand ils ne disent rien et qu’ils s’attendent à trouver une femme comme ils ont l’habitude de côtoyer. Mais ce n’est pas tout à fait de leur faute. Les préjugés ont la vie dure.

 

 

Et les préjugés, malheureusement, certains hommes s’en servent pour semer la discorde entre les communautés. Et c’est ainsi que le racisme et tout ce que cela comporte est récupéré par des individus ambitieux et démagogues, qu’ils soient chef d’un parti ou président d’une association soi-disant antiraciste. L’un et l’autre ne pensent qu’à leurs intérêts personnels et à leur carrière politique, à assouvir leurs ambitions et faire du racisme un marchepied pour accéder au pouvoir.

L’un a fait de la "pureté de la race française", des "Gaulois" le principe du salut de la nation, un croquemitaine pour faire peur aux Français, en proclamant dans toutes ses déclamations, que les maux dont souffrent les Français et leurs malheurs ne viennent que de ces étrangers et tentant d'obtenir, avec ce cheval de bataille, un maximum de voix lors des élections. L'autre, arriviste et opportuniste, ne connaissant pas plus la mentalité des gens qu'il prétendait protéger et aider, n’a pas mieux arrangé les choses. A cause de lui, on ne peut plus regarder quelqu’un de travers ou ne pas apprécier certaines personnes sans se faire traiter de raciste.

Une petite anecdote en passant. A cette époque je travaillais à Melun. L’été, comme il fait chaud, il arrivait souvent qu’on travaillait les fenêtres du bureau ouvertes. Une après-midi, des gamins se sont installés sur le gazon sous mes fenêtres et se sont mis à écouter de la musique. Ils n’arrêtaient pas de mettre la même chanson de Khaled. Et comme je n’apprécie ni ce chanteur, ni sa musique, j’ai fini par demander aux gosses soit de mettre moins fort, soit d’aller écouter leur musique plus loin. L’un des gamins me regarda et me dit : “Vous êtes raciste, Madame”.

Le comble, être raciste parce qu’on n’aime pas un chanteur !

Il y deux choses que je n’aime pas et je ne suis pas la seule d’ailleurs, et comme d’habitude personne ne nous demande notre avis. On nous impose des choses et ensuite on nous les colle sur le dos.

Par exemple je n’aimais pas le badge “Touche pas à mon pote” sur les badges. Bien sûr, au début cela partait d’un bon sentiment, mais comme toujours les gens ne réfléchissent pas. En effet, “ne pas toucher à...” a une signification qui lui est propre dans la langue française, c’est une mise en garde suivie d’une menace : ne touche pas au gâteau ou tu auras une fessée. Touche pas à mon pote ou je te casse la figure. Où est le message de paix et de fraternité là-dedans ? Et puis ne pas le porter, c’était se mettre à dos tous les autres, car si tu n’es pas avec moi, c’est donc que tu es contre moi. Tout ce qu’il faut pour une bonne entente !

La deuxième chose, c’est cette étiquette que les jeunes, tout aussi irréfléchis, se sont donnés : Beur. Alors qu’ils veulent être considérés comme Français à part entière, voilà qu’ils se donnent un “label” qui les met hors jeu.

Beur = étiquette = marginalisation = rejet.

Pourquoi se donner un surnom qui en peu de temps perdra de son sens et deviendra péjoratif, comme cela l’est actuellement ? En effet, vouloir proclamer ses racines et sa culture qui sont différentes du pays où ils sont nés, c’est bien, mais se marginaliser par un surnom n’apportera que des déboires et fera accentuer les différences. Ce n’est sans doute pas la meilleure façon de faire partie de la société.

Et pour les médias, quelle aubaine ! Enfin un surnom que se sont donné tout seuls ces fils d’immigrés et qu’ils peuvent employer sans être traités de raciste ou d’autres noms d’oiseaux. J’ai pu mesurer leur hypocrisie. Au début, ils disaient les “Beurs comme ils se nomment eux-mêmes”. Mais, maintenant, ils ne prennent plus de gants. C’est les “Beurs” tout court.


 

Les journalistes. A leur manière, ils sont aussi responsables que les extrémistes ou autres fâcheux dans tous les climats de violence actuelle. Il arrive souvent qu’ils connaissent bien mal (ou pas du tout) le sujet dont ils parlent : par exemple la façon de vivre et de penser des émigrés. Voilà des gens dont on ignore tout ou presque. Mais dès qu’un canard boiteux se manifeste dans une de ces familles, voilà cette famille sous les feux de l’actualité.

Peu importe que ce que l’on montre ou ce que l’on dit ne soit que superficiel ou arrangé, que les faits soient dénaturés. Hors de leur contexte, beaucoup de choses n’ont plus la même signification.

Ils n’en ont cure !

Ce qu’il leur faut, c’est avoir un scoop, des images violentes et insoutenables, du sang, des larmes. Et quand ce sont des “Beurs comme ils disent”, c’est encore mieux. Cela se vend plus cher. Vive le chômage et les banlieues ! Grâce à cela, ils peuvent faire des reportages croustillants à souhait à donner en pâture aux gens qui se délectent du malheur des autres.

Si les journalistes ignorent souvent des choses sur les gens sur lesquels ils font un reportage, ils savent très bien par contre ce qui se vend. 

Et s’il y a une chose que je déteste le plus à la télévision, toutes chaînes confondues, c’est quand on “montre” une famille d’émigrés vivant en France et qui serait “intégrée”. Or, curieusement, ces familles ont toujours le même profil. La femme, grosse au possible, habillée de façon traditionnelle, est toujours filmée dans sa cuisine en train de faire du thé ou du couscous (à croire qu’on ne mange que cela). Le mari, lui, est avachi sur le canapé, attendant d’être servi.

Et naturellement, comme par hasard, ce sont des gens dont le vocabulaire est très limité et qui évidemment ne connaissent pas les subtilités de la langue française. Et là, le journaliste a beau jeu de leur faire dire ce qu’il a en envie qu’ils disent. C’est tout juste s’il ne fait pas les questions et les réponses. Ils savent très bien qu’il existe d’autres personnes différentes de celles dont ils font le “portrait” et qui seraient à même de tenir une conversation sur n’importe quel sujet, mais ils ne veulent pas de quelqu’un qui pourrait leur river le clou.

C’est bien mieux de montrer des jeunes, surtout ceux des cités, donc des beurs - d’où le côté négatif de cette appellation- sans travail, manifestant avec violence leur "mal vie" en brûlant, en cassant et en s’opposant aux forces de l’ordre. Ca, ça paye. Alors que de présenter des jeunes gens qui n’ont de problèmes que ceux du quotidien, comme Monsieur tout le monde, qui fréquentent des universités -il y en a ô combien- qui travaillent sans se faire remarquer, qui mènent leur vie sans demander quoi que ce soit à qui que ce soit, ça les dérangerait beaucoup. Ils seraient obligés de se démentir, et ils ne pourraient pas dire : “Voyez, ils n’arrivent pas à s’intégrer à la société et à vivre conformément aux règles de la République, malgré tout ce qu'on fait pour eux. Ils sont et ne resteront que des déchets, des espèces de saltimbanques qui ne pourront jamais se fixer et qui nous perturbent”.

Il y a quelques années, alors que nous étions au mariage de Mourad, un cousin de mon mari, arriva dans la salle qui avait été louée à l’occasion du mariage, un ami du marié avec une équipe de journalistes. C’était un réalisateur de FR3 accompagné de son assistante, du caméraman et du preneur de son.

Que voulait-il ? Ni plus ni moins que filmer le mariage. Ce réalisateur faisait une espèce de reportage sur des jeunes qui ont eu des problèmes et qui les ayant surmontés, s’en sont sortis et ont pu réintégrer la société et le monde du travail. Il y eut un tollé général et un refus net de la part de toute l’assemblée, d’autant plus que celui qui avait amené cette équipe n’avait pas demandé de permission. Il était bien gêné, le pauvre. Quant au réalisateur, il ne comprenait pourquoi on refusait sa demande. Nous lui répondîmes que nous ne voulions pas de sa soi-disant sociologie à deux sous et que nous ne voyions pas ce qu’un mariage, qui n’avait rien à voir avec son sujet, pouvait lui apporter. Si lui et son équipe voulaient rester assister au mariage et dîner, ils étaient les bienvenus, mais filmer non !

Je suis restée à discuter avec lui en compagnie des mes deux garçons Farid et Rachid. Nous tentions de lui faire comprendre notre point de vue. Il fut très surpris quand je lui dis que nous étions hostiles au mot “Beur”. Que ce mot avait une connotation négative, qu’il était nuisible et nous donnait une mauvaise image de nous puisque maintenant il était accolé à tout ce qui était nous portait préjudice.

Il fut choqué par notre virulence.

- C’est la première fois que je rencontre une réaction aussi violente à l’énoncé de ce mot. Pourtant cela fait deux ans que je tourne ce film et j’ai vu bien des jeunes et personne n’y trouver à redire.

- Oui, répondit Rachid. Seulement, ils n’ont jamais dû réfléchir à l’usage qui allait lui en être fait et que cela les desservirait.

- Vous savez, j’ai rencontré un groupe de jeunes et parmi eux se trouvait un Français qui se fait appeler aussi “Beur”.

- Ridicule, lui dit Farid. Il ne peut pas se faire appeler comme ça puisqu’il n’est pas arabe.

- Vraiment, madame, me dit le réalisateur, en se retournant vers moi, je ne comprends pas votre réaction. Vous savez qu’un jour ce mot sera sans doute un jour dans le dictionnaire.

- Et bien, cher Monsieur, ce n’est pas une référence. Merde aussi y est !

Puis je lui demandai si un titre avait été choisi, et quand il me dit que c’était “Beur Story”, je sautai au plafond.

J’appelais mon fils Farid qui discutait avec l’assistante ; celle-ci s’avéra être la mère de son professeur de physique-chimie quand il passait sa licence à Jussieu.

- Dis-moi Farid, aimerais-tu être dans un reportage dont le titre serait “Beur Story” ?

- Absolument hors de question. Jamais de la vie !

- Moi non plus, répliqua son frère. Nous n’aimons pas du tout l’image, toujours négative, véhiculée par ce mot.

- Mais ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont choisi ce titre !

- Grand bien leur fasse, mais nous ne voulons pas cette présentation.

Puis je lui dis.

- Ecoutez Monsieur, nous avons plus qu'assez que tous les films et reportages qui sont faits ne parlent que de ceux qui étaient délinquants et qui sont revenus dans le droit chemin (sic) ou bien de ceux qui sont toujours marginaux. Pourquoi ne faites-vous jamais un reportage sur les autres ? Et bien le jour où vous vous déciderez à faire quelque chose de différent, venez me voir et je vous montrerai l’autre côté de la médaille. Nous nous quittâmes sur ces mots qui, bien entendu, sont tombés dans l’oreille d’un sourd.

Je l’ai vu son reportage, trois mois plus tard, sur FR3, mais son contenu ne m’a guère surpris ; Il n’y avait rien d’original ni de nouveau.

Et les images ! Les journalistes ont le chic d’en faire ce qu’ils veulent et de les montrer là où ils veulent, comme ils veulent, sans se préoccuper de leur authenticité ou de leur fausseté.

Par exemple, lorsque les manifestations intégristes ont commencé à avoir lieu à Alger, une certaine chaîne de télévision n’a pas hésité à montrer une manifestation vieille de plusieurs années à Téhéran faisant croire qu’elle se passait à Alger. Comme si Téhéran ressemblait à Alger et les Iraniens aux Algériens. Mais ça ne fait rien. Un barbu ressemble toujours à un barbu.

Chaque fois, aussi ils ne montraient que les abords surpeuplés des mosquées le vendredi, sans préciser que quelques pas plus loin, les rues étaient normales et que les gens vaquaient à leurs affaires. A voir leurs images, on pourrait croire que toute l’Algérie était devenue intégriste. De plus, faire une comparaison entre la société iranienne et la société algérienne est complètement absurde et erronée. Nous n’avons ni les mêmes idées, ni la même mentalité, ni la même culture, ni la même façon de vivre et de penser. Nous sommes aux antipodes l’une de l’autre Ils ne sont pas arabes, et même leur façon de pratiquer l’Islam est différente puisqu’ils sont chiites. Alors pourquoi vouloir absolument faire un parallèle entre les deux pays ? Histoire de faire du remplissage de papier et de verbiage et bavardage creux sur les antennes de radio et à la télévision.

Quand le problème des filles à foulard s’est posé, personne n’est jamais allé demander leur avis aux autres. Ce n’était pas intéressant. Elles étaient normales et ne sortaient donc pas de l’ordinaire.

La grande majorité des filles aux foulard était des Turques, certaines des Marocaines et quelques Algériennes dans le lot. Ces dernières se battent durement pour garder les acquis qu’elles ont et si possible obtenir d’autres. Porter le foulard équivaut à faire marche arrière et donc faire abstraction desdits acquis.

Rien n’est plus horripilant que de voir un journaliste prendre un ton docte pour dire qu’une nouvelle flambée de violence vient d'avoir lieu, due à des Beurs poussés par le chômage et par un désir de prendre une revanche sur la société qui les rejette.

Et à chaque fois, ces mêmes journalistes posent toujours la même question, à savoir : Etant donné la violence dans laquelle nous vivons ces derniers temps, les Français ne vont-ils pas devenir racistes ? Comme s’ils voulaient à tout prix qu’ils le deviennent et ainsi ils font passer un message pour ceux qui, par hasard, ne le comprendraient pas.

A force de frapper avec un marteau sur un clou, on finit par l’enfoncer. Même s’il est tordu.

Et puis, pourquoi avoir donné tant d’importance et une certaine crédibilité, voire même une légitimité, à des gens comme les représentants du FIS à l’étranger ? Pourquoi avoir donné la parole à ces planqués qui se la coulaient douce loin des atrocités commises par leurs compères, ces destructeurs, ces lâches assassins, ces voleurs de vie ? Pourquoi avoir laisser croire qu’ils avaient des scientifiques et des mathématiciens à leur service, tout simplement parce qu’ils faisaient passer des messages sur le réseau Internet ? N’importe quel débile possédant un ordinateur branché sur Internet peut le faire. Pourquoi leur avoir conféré une dimension qu’ils n’avaient obtenue que par le crime et les atrocités commises sur des victimes innocentes dont le seul tort est de ne représenter aucune valeur aux yeux d’un gouvernement qui aurait dû les protéger et qui ne faisait rien ?

Quand on est journaliste, on fait feu de tout bois et pourvu que cela se vende, on ne regarde pas de trop près à la marchandise. Mais il arrive parfois qu’un journaliste, voulant à tout prix faire une interview percutante, reçoive un camouflet.

C’est le cas de celui qui a interrogé Ben Bella le lendemain de la prise des otages de l’Airbus d’Air France.

Et que répondit celui-ci ?

- Qu’il n’avait pas oublié que lui-même avait été arrêté après que l’avion qui le transportait avait été détourné de sa destination initiale.

Et pan !

A quoi bon aller interroger ces vieilles bedaines que sont Aît Ahmed et Ben Bella qui vivent tranquillement à l’étranger, loin de toute cette violence et ces tueries qui ensanglantent l’Algérie ? Et puis quel souffle nouveau pourraient-ils apporter de leur exil doré ? Et puis ce sont des hommes du passé, d’un passé dont ils n’ont pas été à la hauteur. Surtout Ben Bella. Vu la façon dont il a gouverné l’Algérie et la manière dont il s’est fait ravir le pouvoir, il ferait mieux de s’abstenir de se mettre au premier rang.

Je ne comprends pas pourquoi des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Suède ou la Belgique donnent asile à tous ces pourvoyeurs de la mort. Ils offrent à ces illuminés tout ce que par ailleurs ils honnissent dans l’Occident, c’est-à-dire la modernité dont ils profitent pourtant largement. Ils devraient plutôt refuser toute aide à cette vermine qui se sert de leur pays comme d’une base pour commettre des attentats. Mais qui a dit que les politiciens étaient intelligents ?

Pourquoi leur permettent-ils de tenir des meetings, des conférences, d’éditer des tracts et des revues qui sont de véritables appels aux meurtres, de récolter de l’argent qui permettra de mieux armer les bras des assassins ? Tout simplement pour la sacro-sainte liberté d’expression. Liberté d’expression que ces mandataires de la mort, ces pirates de la vie, ces dépouilleurs d’âmes s’empresseraient de fouler joyeusement aux pieds une fois parvenus au pouvoir, ainsi que tout ce qui de loin ou de près s’apparenterait à la démocratie.

La liberté d’expression, dont ils profitent largement grâce à la cécité réelle ou voulue des gouvernements qui les hébergent, sera bâillonnée, mise aux fers, enfermée dans le secret le plus absolu, censurée d’une façon totalitaire et quiconque essaiera d’en épeler même les lettres sera condamné à une mort des plus ignominieuses.

C’est à ces individus sans foi (bien qu’ils se targuent d’en avoir une) ni loi, que sont offerts l’asile et toute possibilité de se déplacer et de profiter de tout ce que l’Occident peut leur donner pour mener à bien leurs actions criminelles et donner des ordres d’assassinats, occident que par ailleurs, ils ne cessent de vomir et de traiter de “suppôt de Satan” dans les journaux qu’on leur permet d’éditer en toute impunité.  Mais il est vrai que nous ne mordons jamais bien que la main qui nous nourrit.

Dans la religion musulmane, il n’y a pas de clergé à proprement parler comme dans la religion catholique. Il n’y a aucun intermédiaire entre Dieu et l’homme. Chacun se débrouille à sa façon et l’interpelle selon les circonstances et ce qu’il veut bien attendre de lui. Je n’impose à personne ma façon de vivre, de penser ou de m’habiller, aussi je ne vois pas pourquoi je devrais, ainsi que toute femme digne de ce nom d’ailleurs, subir une dictature dans ce sens et me conformer à leurs désirs insanes.

Les intégristes, ces mutants d'une autre galaxie, ces sous-développés de l’espèce humaine, ces déchets de l’humanité, entendent assimiler la foi à une hygiène morale et corporelle et en tant que défendeurs de ladite foi, veulent imposer cette hygiène, au propre comme au figuré, à tout le pays.

Or, avant de vouloir faire le nettoyage des autres, ils feraient mieux de se regarder un peu et de se récurer aussi bien la cervelle (mais en ont-ils ?) que leur corps.

Cette barbe hirsute et embroussaillée qu’ils arborent comme l’étendard de leur croyance et cette tenue bâtarde, importée de l’Afghanistan ou du Pakistan ne leur donnent pas cette propreté, cette netteté qu’ils réclament pour les autres. Loin de là. D’ailleurs, à les voir ainsi attifés, on se demande s’ils n’ont pas choisi le camp de la laideur et de la malpropreté. Mais sans doute, n’ont-ils pas eu de choix à faire, celles-ci leur étant naturelles.

En tout cas, ils ne nous inspirent aucun respect, aucune estime. On ne peut ni honorer ni rendre hommage à des gens dont la piété et la vénération dans laquelle ils se complaisent n'est qu'une façade, un habillage, sans aucune once de véritable foi. Nous ne pouvons ressentir à leur vue que de la répugnance et du dégoût.

Quant aux Etats-Unis, leur seul souci en acceptant qu’un représentant du FIS ait pignon sur rue est tout simplement de prendre la première place en tant que partenaire économique (sic) et par-là même évincer la France.

       Il y a une chose que tous devraient savoir et prendre en considération. C’est que malgré toutes les difficultés réelles ou supposées, malgré toutes les mésententes, malgré le poids de l’histoire dont chacun essaie de tirer parti à sa manière, l’Algérie fait partie du patrimoine de la France et la France fait partie de patrimoine de l’Algérie. Quoi qu’on puisse en dire, on ne peut pas chasser comme ça, d’un simple coup de chasse-mouches une histoire de 130 ans et faire en sorte qu’elle n’ait jamais existé. Ce que je dis ne plaira sans doute pas à certains, mais je m’en moque. C’est la vérité.

Même si en ce moment une faction d’esprits primaires indécrottables, mue plus par jalousie et envie, crache sur la France et sur tous ceux qui de loin ou de près lui sont proches, et bien cela ne changera rien. Les liens indéfectibles malgré tout qui unissent mes deux pays sont là et bien là. Et ce ne sont pas des assassinats et des attentats à la bombe qui vont les faire disparaître. Nous dépendons l’un de l’autre. Nous avons besoin l’un de l’autre. C’est un équilibre en soi. Et c’est très bien ainsi. Je sais bien que les Algériens préfèrent malgré tout que ce soit des entreprises françaises plutôt qu’américaines, canadiennes ou asiatiques qui s’installent au pays. Tout simplement parce que nous n’avons rien de commun avec ces dernières, à commencer par la langue.

 

 

 


 

VII

 

 

ASSASSINAT SUR COMMANDE

 

 

L’un de ces crimes les plus abominables fut perpétré sur un de nos voisins et amis. Il s’agit de Monsieur Khelladi Hassan. Ce n’était pas n’importe qui, venu d’on ne sait où. Il était fils du pays, aimé et estimé de tous.

Je vais vous le présenter en quelques mots. Je ne raconte pas sa vie, ni ne fais sa biographie. C’est juste pour lui rendre justice et remettre les choses à leur place.

Sa carrière fut bien remplie. Il fit son service militaire du 15 avril 1934 au 6 juillet 1935. Il avait reçu la croix de la valeur militaire, la médaille commémorative et la médaille du courage et du dévouement.

Rappelé le 31 août 1939, il fut démobilisé le 30 juin 1945. La police d’état n’existant pas alors, il fut nommé agent de police par arrêté communal du 14 février 1939 et c’est le 1er janvier 1959 qu’il fut nommé brigadier-chef.

Comme on le voit, Hassan ne faisait pas partie de ceux qui ont endossé la tenue militaire ou sont entrés dans la police au moment des « évènements » pour la solde ou pour toute autre raison. Il y était depuis bien plus longtemps que cela. C’était un fonctionnaire comme il y en avait tant et à qui l’on avait voué des ressentiments et des rancœurs mal placées. D’ailleurs, lorsque Hassan entra dans la police communale, certains de ceux qui ont été impliqués dans sa mort n’étaient même pas nés.

Hassan (je préfère l’appeler ainsi) était en outre un bel homme, ce qui ne gâtait rien. Il n’a jamais profité de sa fonction pour maltraiter les gens ou les torturer, non. Mais le fait qu’il fut policier le dénonçait à la vindicte aveugle des autres. Un jour, en plein marché, quelqu’un lui tira dessus, mais le rata quelque peu, puisqu'il reçut quand même trois balles dans la jambe.

 

Voici les circonstances :

 

Cet attentat eut lieu le 10 janvier 1956 (un mardi, jour de marché) vers 12h15 sur le chemin entre le commissariat et le domicile à hauteur pratiquement de l’ancienne menuiserie Benni, mitoyenne du restaurant de « Jeanna », comme on l’appelait alors à Nemours et connu aussi sous le nom du restaurant « Au Bon Accueil ».

Un détail très important, car en quelque sorte, Hassan lui devait la vie sauve : ce jour-là, il portait des bottes, car il avait plu la veille.

Sentant une présence derrière lui, flair de policier aguerri, il se retourna et vit un homme pointer un pistolet dans sa direction. Hassan le fixa dans les yeux et prit soin de ne pas dégainer sa propre arme.

Son sang-froid et cette attitude calme voulue par Hassan pour déconcerter son assaillant, désarçonna quelque peu le tueur, ce dont Hassan profita pour se mettre à courir tout en zigzaguant afin d’éviter les balles qui avaient été tirées sur lui. Il y en eut cinq. Hassan trouva refuge près d’un mûrier à l’emplacement de l’actuelle mairie, et c’est seulement là qu’il sortit son pistolet, mais il n’eut pas besoin de s’en servir, car le tueur s’était enfui, voyant qu’il avait raté son forfait.

Il avait quand même reçu trois balles et plus précisément au côté droit de son dos, sans heureusement toucher d’organe vital. Il se dirigea de lui-même vers le commissariat pour être conduit ensuite à l’hôpital où deux balles seulement furent décelées à la radio. La troisième balle, ne fut découverte que sept ou huit mois plus tard dans des circonstances assez fortuites.

C’est en effet bien après son opération que Hassan commençait à ressentir des douleurs qui devenaient de plus en plus violentes, malgré les massages et les médicaments. Le chirurgien militaire qui l’avait opéré décida de le transférer sur l’hôpital militaire d’Oran où l’on détecta enfin la troisième balle. Hassan n’en croyait pas ses oreilles ! Il avait vécu pendant près de huit mois avec une balle qui se baladait dans son corps ! Il avait tout à fait raison de dire qu’il lui devait lui rester quelque chose.

Il y a un fait certain, c’est que Hassan avait reconnu l’homme qui avait voulu attenter à sa vie. Mais il avait gardé le secret tout simplement pour éviter un bain de sang, car en donnant le nom de cet homme qui, une fois son forfait raté, s’était échappé, c’était toute sa famille qui en aurait pâtie. Et Hassan refusa que de malheureux innocents paient pour celui qui était venu le tuer.

Première semaine de l’indépendance. Hassan se trouvait à hauteur de l’actuel café de si Saïd, lorsqu’une personne bien connue, décédée depuis, l’interpella en ces termes :

 

-  Eh, Hassan, nous sommes indépendants ! 

 

Il y avait foule et c’est à dessein que cet individu lança cette pique.

 

- Oui, Elhamdoulillal, (grâce à Dieu), nous sommes indépendants, mais n’oubliez pas que vous êtes tous sur la liste rouge, lui répliqua Hassan.

Deux à trois jours plus tard, une autre personne, bien connue aussi elle aussi, et habitant Sidi-Amar, interpella Hassan sur la grand’place exactement dans les même termes que son acolyte les jours précédents et Hassan lui répondit comme il l’avait fait la première fois.

Par une belle journée, ce mardi 10 juillet 1962, comme à son habitude, Hassan faisait une partie de belote au Cercle Civil tenu par Louisette en compagnie de Messieurs Besse, Bensoussan et d’autres pieds-noirs qui comptaient rester à Nemours, comme Messieurs Sebban et Nicolas Falcone, entre autres.

Aux environs de 19h30, trois individus se présentèrent à lui et lui demandèrent de le suivre auprès des responsables FLN de la ville. Hassan, pas étonné du tout de cette  « convocation » acquiesça calmement à leur demande.

Pour comble de ridicule et de la honte, ces sinistres personnages lui ligotèrent les mains. Avaient-ils donc si peur qu’il leur échappe ? Etait-ce pour l’humilier en public ? Pour faire de la provocation gratuite ? En tout état de cause, Hassan savait déjà qu’il était face à son destin et que le moment de vérité était arrivé. Mais quelle vérité et pour qui ?

Bien sûr, il pensait qu’il allait être mis face à de véritables responsables, à des vrais militants avec lesquels il allait enfin pouvoir crever l’abcès. En un mot, à des hommes !

Mais, c’était sans compter sur la lâcheté et la veulerie de ces gens. Oh, non ! Hassan n’allait voir aucun de ces hauts responsables militaires, aucun de ces dignitaires. Par une extraordinaire coïncidence, tous ces malfrats en uniforme étaient tous partis du pays sous divers motifs plus ou moins fallacieux.

La machine à régler les comptes aveuglément venait d’être mise en marche. Elle n’avait rien à envier à la guillotine ! Elle allait broyer beaucoup de monde sur son passage. La bêtise humaine allait s’ériger en droit de vie et de mort sur tout un chacun. Elle allait permettre à l’homme de retrouver ses instincts bestiaux et les laisser le diriger.

En moins de temps qu’il ne faille pour le dire, la nouvelle de l’arrestation de Hassan avait déjà fait le tour de la ville. Oh, bien sûr, nous étions indépendants et libres, mais il y avait loin de la coupe aux lèvres et bientôt nous allions vivre les lendemains qui déchantent.

Après l’arrestation de Hassan, Nemours se drapa sous un manteau de peur et de terreur, mais aussi de grande lâcheté, de vilenie et d’indignité.

Après avoir passé quelques temps dans les locaux du FLN qui avait élu son siège dans l’ancienne maison Sahut, Hassan fut conduit à Tient en compagnie d’autres personnes arrêtées en même temps que lui.

Si son arrestation fut plus ou moins spectaculaire, ils se gardèrent bien de lui faire ne serait-ce qu’un simulacre de procès. Ils se sont conduits avec lui d’une façon ignoble et l’ont condamné à mort de manière odieuse et inhumaine. Ils avaient transformé un village, Tient, de sinistre renommée, en camp de torture.

Les gens qui étaient arrêtés et emmenés là n’étaient pas jugés et n'avaient aucune chance de s’en sortir, car, pour se donner bonne conscience, c’est à la populace qu’ils avaient laissé le soin de tuer les gens comme bon leur semblait. C’est là que Hassan fut jeté en pâture à des gens qui pour la plupart ne le connaissaient même pas mais à qui il avait suffit de dire que c’était un ancien “valet de la France”. « « Valet de la France » était un vocable tout trouvé pour accuser quelqu’un de collaboration, surtout ceux qui étaient des fonctionnaires. Si nous allions jusque là, alors tous les Algériens l’étaient, peu ou prou, même ces lâches qui abusaient de cet état de fait.

La mort de Hassan fut un véritable scandale. Les responsables s’en tirèrent, comme d’habitude, en rejetant leur faute sur d’autres. Si Hassan a été traité de cette façon, et tué de cette manière indigne d’un être humain, ce n’était pas du tout parce qu’il était un “valet de la France” selon leur expression favorite, mais tout simplement parce que, justement, de par son métier, il connaissait beaucoup de secrets et qu’ils craignaient qu’il ne les divulgue et qu’ainsi les gens apprennent bien des choses pas très nettes à leur sujet.

Les causes de la mort de Hassan sont divergentes. Il y eut plusieurs versions .Lorsque la famille de Hassan, en septembre 1962,  était allée du côté du village d’Elbyayett récupérer le corps du défunt, elle trouva un vieux fellah près de son puits et qui avait bien connu Hassan.

Voilà ce qu’il leur raconta : le jeudi 12 juillet 1962, la colonne de prisonniers qui venait de Tient passa près de son puits. Hassan se détacha du groupe pour aller saluer ce vieux qu’il connaissait bien et lui demander un peu d’eau. Il était 9h00 du matin. Après avoir goûter de cette eau fraîche, Hassan s’assit à côté du vieux. Dix minutes ne s’étaient pas écoulées et voilà que Hassan s’écroula à terre tout en portant sa main sur son cœur. D’après le vieux fellah, la mort de Hassan a été instantanée. Il venait juste d’avoir cinquante ans.

Il est vrai que le terrain entre Tient et l’endroit où serait décédé Hassan était très accidenté et que la distance entre ces deux endroits était assez longue.

Hassan était resté à peine un jour et demi entre les mains de ses tortionnaires (du mardi 10 juillet à 19h30 au jeudi 12 juillet 1962 à 9h00).

Mais néanmoins deux questions restent à poser :

1) Pourquoi a-t-on caché la mort de Hassan à sa famille ?

Pourtant, ce n’était pas faute de demander des renseignements à ce sujet aux responsables. Chacun d’entre eux disait qu’il n’en savait rien et qu’il n’était pas concerné par cette affaire. Comme ils étaient courageux ! Ce n’est que vers la fin du mois de juillet qu’ils osèrent enfin lui annoncer que Hassan était mort.

2) Pourquoi lui avoir caché aussi jusqu’au mois de septembre l’endroit exact où il avait été enterré ?

Pourquoi cette peur ? Pourquoi cette dérobade ? Pourquoi ne pas avoir assumé leurs responsabilités ? Pourquoi cette attitude de lâches et de couards ?

Parce qu’ils savaient en leur âme et conscience (mais en avaient-ils ?) qu’ils avaient mis à mort d’une façon ignominieuse un homme innocent et juste. Un homme cultivé et de grande valeur qui valait mieux que tous les prétendus libérateurs qui, pour la plupart, avaient passé leur temps au Maroc, et qui aurait pu faire de grandes choses, ce qu’ils n’auraient pu souffrir, cul-terreux, incultes et ignares qu’ils étaient.

Sans doute par peur aussi, car il était clair, et cela le petit peuple de Nemours en était conscient, que Hassan aurait été sans douté nommé commissaire. Car qui mieux que lui aurait rempli cette fonction ? Et c’est certainement pour empêcher cela qu’ils se sont empressés de le faire disparaître.

Mais quelques mois après la mort de Hassan, la population commençait enfin à sortir de sa léthargie et les langues à se délier. Des noms étaient avancés, les commanditaires étaient connus et leurs complices aussi, qui avaient été recrutés parmi les collaborateurs et les traîtres. De toute façon, il était clair pour tout le monde que la mort de Hassan n’était que la suite d’un vaste complot organisé pour le faire taire à jamais.

Lorsque la famille de Hassan était allée exhumer son corps, elle s’était aperçue que, tout comme un chahid (martyr), il avait été mis en terre avec ses habits (pantalon gris, chemisette verte, mocassins blancs). Mais les mafieux d’alors n’ont jamais restitué ses objets personnels, à savoir : une très belle gourmette en or avec son prénom inscrit dessus, une très belle bague en or avec une tête d’indien sur fond noir, son chéquier, sa montre.

Alors que le corps avait été déposé dans un cercueil et que les membres de la famille descendaient vers la camionnette qu’ils avaient dû laisser plus loin,  un homme vint en courant pour s’enquérir de leur identité.

Il s’avérait que cet homme était un ancien maquisard, qu’il connaissait bien Hassan et qu’il avait fait la 2ème guerre mondiale avec lui.

 - Les salopards ! Ces sales individus ont profité de notre absence de la région pour faire ce que bon leur semblait, s’écria-t-il.

Il alla chercher une mule sur laquelle le cercueil fut déposé et c’est lui-même qui conduisit le cortège jusqu’à la camionnette. Tout le long du chemin, il ne tarit pas d’éloges sur Hassan, ce qui mi un peu de baume au cœur de toute sa famille.

On peut dire, sans se tromper, que la mort de Hassan avait sonné le glas pour les pieds-noirs. En effet, beaucoup avaient l’intention de rester parce que Hassan leur avait demandé avec insistance de ne pas s’en aller, alors que de leur côté, ils l’exhortaient à partir, car il ne devait pas oublier la vindicte et la méchanceté des gens pour qui il pouvait représenter une menace.

Mais pour Hassan, partir ainsi, c’était se faire condamner aussitôt par la vox populi et ainsi prêter idéalement le flanc à ses détracteurs et transformer leurs supputations en vérité.

Ce n’était pas un lâche. Sa dignité d’homme, son intégrité, son innocence le lui interdisaient. Hassan ould Ramdane comme il aimait se faire appeler, restera chez lui, à Nemours !

La mort de Hassan a entaché les premiers jours de l’indépendance d’un souvenir sinistre et inoubliable, car c’était un véritable crime crapuleux, puisqu’il n’eut même pas le simulacre d’un procès. Quarante ans après, on en parle encore.

Et pour en terminer avec l’histoire de Hassan, sa femme, comme toutes les autres femmes, avait abondamment donné des bijoux et de l’argent pour le fameux « sandouk tadamoun », ce coffre que tout un chacun se devait de remplir pour ces brigands.

Ceci n’est qu’un humble témoignage, mais Hassan mériterait un livre à part entière, car il a fait tant de belles choses, inconnues de la plupart des gens, que ce serait juste que sa mémoire soit entièrement rétablie.

Et tous ceux qui auraient pu faire sortir l’Algérie du marasme dans lequel elle végétait, tous ceux qui avaient la capacité intellectuelle, le savoir, la sagesse, la volonté, ceux qui possédaient une véritable culture et une éducation certaine, ceux-là ont été radicalement et inévitablement éloignés du pouvoir. Par un moyen infaillible et irréversible : la mort. Ils ont tous eus un “malencontreux” accident. Que ce soit au pays même ou à l’étranger. Mektoub

 

 

 

 



Wagner le 06.04.10 à 07:48 dans r/ Livres - Lu 3026 fois - Version imprimable
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