Ce n'était pas le fait d'éléments isolés, ni des bavures : c'était une politique délibérée des responsables du FLN (Front de libération nationale). Les enlèvements d'Européens d'Algérie à la fin de la guerre répondaient à une volonté de « nettoyage ethnique », comme on dirait aujourd'hui.

C'est la constatation que fait Jean-Jacques Jordi, docteur en histoire, spécialiste de la colonisation-décolonisation, qui s'est plongé pendant quatre ans dans les archives réservées de différents ministères français.

L'historien a dressé une liste de 1 583 noms de civils européens, hommes, femmes, jeunes gens, vieillards... qui ont « disparu » entre 1954 et 1963: « Il y a eu trois périodes :

- pendant la guerre, de 1954 aux accords d'Evian, le 19 mars 1962, j'ai recensé, pour toute l'Algérie, 250 disparitions;

- des accords d'Evian jusqu'à la proclamation de l'indépendance, le 5 juillet 1962, il y en a eu 600;

- après l'indépendance, et jusqu'en 1963, encore 650».

Jean-Jacques Jordi affirme, documents à l'appui, publiés dans son livre, que c'était la volonté des certains dirigeants algériens : faire partir les Européens, les « pieds-noirs ».

Cette politique a été surtout appliquée à Alger et à Oran. En Kabylie, où le chef FLN, Belkacem Krim, avait pris position («Notre adversaire, c'est l'Organisation armée secrète, pas la population européenne»), les disparitions étaient proportionnellement beaucoup moins nombreuses.

Parmi les 1 583 disparus, l'historien a repéré « une dizaine d'activistes de l'OAS ». Tous les autres n'avaient rien à voir avec la lutte armée.

« Au début, on enlevait un membre de la famille, père, mère ou enfant. La famille devait comprendre qu'elle était menacée, et partir. Puis les responsables FLN se sont rendu compte que ce n'était pas efficace et en août 1962, le mot d'ordre est devenu : enlevez la famille entière. »

Le sort des disparus ne laisse pas de doute : la torture et la mort. Certains étaient enfermés dans des « cliniques du sang » pour servir de donneurs au FLN. Des femmes étaient envoyées dans des « centres de repos pour combattants », selon l'expression pudique du rapport d'un agent consulaire.

Les autorités françaises, encore présentes en Algérie, étaient parfaitement au courant de ce qui se passait par leurs nombreux informateurs payés.

« On connaissait des centres de torture comme la villa Laperlier, à 300m à vol d'oiseau de l'ambassade de j. » Mais les ordres étaient formels : « Vous ne bougez pas. C'est l'affaire des Algériens. »

Jean-Jacques Jordi a également pu réaliser un premier travail historique sur le massacre d'Oran du 5 juillet 1962, jour de proclamation de l'indépendance: «Le FLN accusait l'OAS d'avoir déclenché l'émeute, affirmant qu'il y avait eu 80 morts dont 60 musulmans. J'ai découvert que l'opération était planifiée par le FLN depuis le 26 juin. Ce fut une véritable chasse à l'Européen. Il y a eu 700 morts, dont 380 décès constatés. Les autres ont disparu. »

L'historien se refuse à toute considération politique ou diplomatique. Il a seulement voulu établir, pour la première fois, la vérité des faits, et à la veille de la Journée nationale d'hommage aux morts français d'Afrique du Nord, donner à 1 583 victimes, leur place dans l'histoire.