L’Aïd El Adha, c’est demain. Quel message adressez-vous aux Algériens ?
D’abord un message de paix. Je profite de cette occasion, chère aux musulmans, pour exprimer mes meilleurs vœux aux Algériens et à tous les musulmans. J’espère que l’Aïd apporte la joie et le bonheur au sein des familles, en souhaitant prospérité, progrès et stabilité à ce beau pays qui est le vôtre. Encore une fois, bonne fête à tout le monde et à El Watan qui m’a permis de délivrer ce message.
Peut-on avoir un aperçu de votre parcours ?
Je suis né en 1951 à Wahadneh près de Adjloun dans le nord de la Jordanie. Mon père Moussa, paysan faisait vivre la famille de la terre de nos ancêtres dans les massifs montagneux de Jilad, qui ressemblent à la Kabylie en moins grand évidemment. J’ai fait l’école primaire dans mon village natal. A 12 ans, je rentre au séminaire de Bejalah à Jérusalem. Le prêtre, qui me suivait, avait décelé en moi des vocations. J’ai eu mon bac en étant major de promotion. Ce qui m’a valu une bourse que j’ai refusée. Je voulais être prêtre. J’ai fait quatre années d’études en philosophie et en théologie. J’ai été ordonné prêtre en 1975 à 24 ans. Mon premier poste, je l’ai exercé en qualité de secrétaire privé du patriarche de Jérusalem. Parallèlement, j’ai préparé une licence en droit civil à Damas. En 1981, je suis envoyé à Rome, où j’ai poursuivi des études pour obtenir le doctorat en droit canon ecclésiastique, doublé d’un doctorat en philosophie. En 1987, je rentre à Jérusalem, où je suis nommé président du tribunal ecclésiastique. Parallèlement, j’enseigne la philosophie au séminaire et le droit du commerce à l’université de Bethleem. En 1992, je suis désigné comme curé de paroisse en Jordanie, mission que j’ai effectuée jusqu’à ma nomination, il y a quelques jours à Alger.
Vous vous êtes aussi distingué par vos écrits…
En effet, j’ai eu à donner de nombreuses conférences traitant de sujets divers. J’ai traduit la bible en plusieurs langues et j’ai à mon actif deux thèses de doctorat : l’une en philosophie (L’un et le multiple) et l’autre en droit (Etude critique du droit de famille en Jordanie). J’ai traduit le code droit de l’Eglise du français à l’arabe et des livres de philosophie et de religion de l’allemand à l’arabe.
C’est la deuxième fois que vous vous rendez en Algérie. A quand remonte la première et à quelle occasion s’est-elle effectuée ?
Cela s’est passé en 1998. J’étais l’invité des Rencontres des évêques du Maghreb. Le ministre algérien de la Culture nous avait reçus et nous avait dressé un tableau de la situation du pays qui était à l’époque encore tendue. De prime abord, l’Algérie m’avait plu. J’ai beaucoup aimé la configuration architecturale de la ville d’Alger.
Vous êtes le premier homme d’Eglise arabe à occuper ce poste en Algérie. Votre arabité est-elle un atout ou un inconvénient ?
Avant d’être un atout, je dirais que c’est un geste de bienveillance et de respect de la part de l’Eglise catholique, à l’égard de l’Algérie. Maintenant, pour répondre à votre question, je dirais que c’est une arme à double tranchant. Cela peut être considéré positivement par certains et négativement par d’autres. En tout cas cela ne change rien au caractère de l’Eglise d’Algérie, une église cosmopolite composée de fidèles venus de tous les horizons.
Mgr Teissier, votre prédécesseur, avait déclaré que tous les évêques qui sont passés par l’Algérie depuis 1837 étaient Français. En 2008, le pape en choisissant un Jordanien a signé une nouvelle étape. En quoi cette nouvelle étape se distingue-t-elle, en plus désormais qu’elle ne fait plus partie de l’héritage de l’ère coloniale ?
L’Eglise, quoiqu’on dise, n’a jamais de nationalité. Elle n’appartient à aucune nation et est ouverte à tous. De plus, la séparation est faite entre l’Eglise et l’Etat. La religion c’est notre rapport à Dieu. La nationalité, c’est notre rapport au pays. Parler de rupture, je crois que c’est trop dire. J’espère que le fait d’être Arabe m’aidera à régler quelques problèmes encore en suspens ?
Par exemple…
Les problèmes de permis de séjour, de visas, de liberté de déplacements. Je m’attacherai à faire le maximum et je ne ménagerai aucun effort pour coopérer avec les autorités algériennes. De toute manière, je me considère comme Algérien à cent pour cent. Ce n’est pas une simple déclaration d’intention. J’ai quitté mon pays pour travailler ici. Je ne suis pas un ambassadeur. C’est ce pays que je vais servir, aimer. C’est ce pays, qui j’espère m’accordera la nationalité algérienne. Pour la petite histoire, l’autre jour, j’en avais parlé au ministre des Affaires religieuses qui m’a dit qu’il faut y résider au moins cinq ans pour pouvoir l’obtenir… J’en ai pris acte.
Mais il n’y a pas que ça, il y a aussi quelques accrocs. Vous avez sans doute eu vent de la jeune fille arrêtée avec sa Bible qui a défrayé la chronique il y a quelques semaines…
Oui. Sur ce point, je peux dire qu’il y a des torts des deux côtés. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui vantent et qui font la propagande du Christ sur la place publique. C’est un manque de respect à l’égard de la liberté des gens. C’est une provocation inutile et inacceptable. D’un autre côté, il n’est pas acceptable aussi que le seul fait de porter une Bible soit considéré comme un crime passible de peines de prison. Si je suis chrétien, je suis en droit de porter ma bible. Je n’intenterai pas un procès contre un musulman portant le Coran. Cela touche à la liberté de penser et de s’exprimer. On n’a pas le droit de créer la pagaille, en attentant à la vie publique, mais je crois que cette affaire a pris des proportions qu’elle ne méritait pas…
Il y a aussi ces campagnes d’évangilisation dénoncées par les autorités...
Cela n’est pas le fait de l’Eglise catholique qui n’a rien à voir avec ces faits. Nous sommes au service des chrétiens qui vivent en Algérie. Nos lieux de culte sont connus et nous avons des relations très cordiales avec les pouvoirs publics. La semaine dernière et à l’instigation du président de l’APN, M. Ziari, j’ai eu à accompagner un groupe de parlementaires chinois en visite à l’église Notre-Dame d’Afrique. Ce que je peux dire, c’est que je suis contre toute forme de provocation. Il faut respecter les convictions des gens. L’important, c’est qu’on respecte l’autre, qu’on vive en paix, en harmonie, en bonne intelligence. Tout comme je suis contre tous les extrémismes qui ne mènent à rien, sinon au chaos et à la désolation.
Vous étiez à El Qods, avant de venir ici. La Terre sainte qu’on quitte comme ça, ça doit susciter chez vous une charge émotionnelle très forte...
Il n’est pas facile de quitter son pays quel qu’il soit. Ça vous coûte. Tout le monde comprend cette situation. Jérusalem est un symbole pour tous, surtout pour les trois religions monothéistes. Jérusalem a une dimension religieuse qui transcende toutes les pesanteurs et qui touche tout le monde. Je ne vous cache pas que je tenais à y rester et il n’était guère facile d’en partir.
Vous regrettez quelque part votre départ…
Ce que je veux dire, c’est lorsqu’on fait des choix, on n’a pas à regretter. Certes, le choix a été difficile, mais il fallait absolument le respecter, d’autant que ce choix a été encouragé par mon amour des Algériens et de l’Algérie.
Jeune, quelle image aviez-vous de l’Algérie ?
Que c’est l’un des plus importants des pays arabes. Un pays qui a fait des sacrifices, qui a durement souffert pour se libérer du joug colonial. Qui a offert des martyrs pour son indépendance. Un pays digne de respect, riche, grand, fier. C’est le symbole du Maghreb, dont il est le cœur battant. Vous savez, l’Algérie représente beaucoup pour nous. Elle est dans le cœur de tous les Arabes.
Quel est votre sentiment face à ce qu’il est convenu d’appeler le choc des civilisations ?
Je ne crois pas au choc, à la confrontation des civilisations, des religions. C’est la complémentarité des civilisations qui a fait l’histoire de notre monde. Chaque civilisation apporte sa touche. Ce fait de la complémentarité est plus que jamais aujourd’hui une nécessité si l’on se réfère à la déliquescence des valeurs, au climat tendu, en raison des crises aiguës qui secouent la planète. La confrontation ne sert qu’à détruire la paix et Dieu seul sait combien on a besoin de cette paix par les temps troubles qui courent. Remarquez qu’une seule civilisation dans le monde serait monotone. Dans un orchestre, tous les instruments sont nécessaires pour avoir une belle symphonie. L’enrichissement réciproque entre toutes les cultures est un bel avantage, un atout inestimable.
Mais ces tensions ne sont-elles pas la résultante des crises qui secouent le monde, dont la dernière, financière, a surpris les plus irreductibles...
La crise que nous vivons est le résultat des inégalités entre les nations. C’est aussi le constat amer des politiques qui ne tiennent pas compte de l’intérêt général de l’humanité. Cela a démontré toute la fragilité du système bancaire et financier. Même les milliardaires se sont retrouvés sur le carreau. Dans un autre registre, on ne pense pas à ce qui est essentiel à l’homme qui semble se détacher des valeurs religieuses et spirituelles. Tout cela devrait faire réfléchir. On a bien vu que les systèmes construits sont tellement fragiles qu’ils peuvent s’écrouler à tout moment.
Selon vous, le dialogue inter-religieux pourrait-il réduire le fossé et atténuer les tensions, réelles, qui marquent les rapports entre les différentes croyances ?
J’étais consulteur du Conseil du Vatican pour le dialogue inter-religieux. De mon point de vue, le dialogue est un impératif et non simplement une alternative de luxe. On doit se respecter les uns les autres, sinon c’est la confrontation et ce n’est pas souhaitable pour les sociétés qui ont déjà du mal à survivre dans un monde qui ne fait guère de cadeaux aux plus vulnérables.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de vos lectures en arabe et en français ?
J’ai étudié avec des prêtres français. J’ai pratiquement potassé toute la littérature française classique et moderne. Actuellement, je lis des livres relatifs à l’Algérie et l’histoire de l’Eglise dans votre pays en arabe, l’éventail est assez large. Je suis à l’aise aussi bien avec Taha Hussein, El Akad, Mohamed Abdou qu’avec Jabran Khalil Jabran ou Tewfik El Hakim. J’aime bien la poésie de Aboulkacem Echabi.
Mais ce dernier a été taxé d’apostasie par Al Azhar. Son poème qui avait fait à la suite de son poème qui avait fait sensation à l’époque, et dont la strophe incriminée est ainsi formulée.
« Si le peuple veut vivre, il est impérieux que le destin s’y plie... » La force du poète, c’est de transcender la réalité, de dire la vérité, de dénoncer le mal, d’éveiller les consciences. Partant de là, son action est positive, humaine, constructive…
S’il vous arrivait d’être sur une île déserte, quel livre emporteriez-vous ?
J’emporterait La Cité de Dieu, de saint Augustin, un Algérien. C’est l’histoire d’une cité que les hommes ont construite, comparée à la cité que Dieu voudrait. Cela ressemble un peu à la cité idéale d’El Farabi, que du reste j’ai lue à plusieurs reprises.
Dernière question. La politique est-elle pour vous un mal nécessaire ou une activité sérieuse ?
Je pense que la politique est effectivement une activité sérieuse. Ce qu’en font les hommes, c’est autre chose. Ce que j’entends par là, c’est que la politique est l’art de se mettre au service des gens, de les servir. Les hommes, qui en ont la responsabilité, sont tenus de trouver le meilleur moyen pour faire fonctionner la société humaine dans le respect du droit de tous les citoyens. Hélas, ce n’est pas toujours le cas…